Le rapport pour avis que je vous présente, au nom également de ma co-rapporteur Dominique Vérien qui n'a pu être présente aujourd'hui, porte sur les crédits dévolus, dans le projet de loi de finances pour 2023, à quatre programmes de la mission « Justice » : le programme 166 « Justice judiciaire » ; le programme 101 « Accès au droit et à la justice » ; le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature ».
Ce projet de budget intervient alors que des concertations sont en cours sur la mise en oeuvre, vous le savez chers collègues, du rapport du comité des États généraux de la justice, qui s'inscrivaient dans un contexte de crise de l'institution judiciaire.
L'effort de rattrapage devrait donc se poursuivre en 2023 avec des crédits de paiement en hausse de 8 % par rapport à 2022, hors charges de pensions. C'est la troisième année que ces crédits augmentent, et l'on peut s'en féliciter.
Il faut toutefois noter le décrochage de plus en plus marqué de la part alloué aux juridictions judiciaires qui ne représente plus que 36 % du total (contre presque 40 % en 2018), au profit notamment de l'administration pénitentiaire qui en représente désormais 43 % (contre 40 % en 2018).
Il convient également d'être attentif au taux d'exécution du budget qui cache des disparités. S'il semble à première vue relativement correct - 98,39 %, en 2021 - en matière d'investissement, ce taux chute à 68 % avec près de 311 millions d'euros non consommés dont 80 millions pour les juridictions ou 112 millions pour l'informatique.
Après ces quelques éléments d'introduction, je vous propose de structurer mon propos autour de quatre axes.
Tout d'abord il faut relever la hausse conséquente des crédits alloués aux juridictions judiciaires, qui concerne tous les postes de dépense. 300 millions d'euros supplémentaires leur seraient alloués en 2023, soit une hausse de 9 % hors charges de pension. Les dépenses de fonctionnement augmenteraient de 5,5 %, et l'investissement dans l'immobilier, dont les juridictions ont cruellement besoin, de 12,5 %. La programmation retenue cible les situations les plus critiques parmi lesquelles le tribunal judiciaire de Bobigny ou celui de Mamoudzou.
Il s'agit surtout de financer la hausse des dépenses de personnel selon une trajectoire bien plus ambitieuse qu'en 2022. Il est ainsi proposé de créer 1 220 postes nets en 2023 contre seulement 40 en 2022. Il s'agit de 546 postes de titulaires dont 200 de magistrat, 191 de greffier et 155 de directeur de greffe. Comme en 2021 et 2022, le ministère poursuit également sa politique de recrutement de contractuels et propose de créer 674 postes nouveaux à cet effet, dont 300 de juristes assistants et 100 destinés à assurer des fonctions techniques de proximité.
Cette dynamique devrait se poursuivre dans les cinq prochaines années puisqu'est annoncé la création de 1 500 postes de magistrat, 1 500 de greffier et 2 000 de juriste assistant. Il faudrait pour cela former 500 auditeurs de justice et 1 000 greffiers par an, ce qui implique d'importants aménagements à l'École nationale de la magistrature et à l'École nationale des greffes. Ce sont donc des objectifs particulièrement ambitieux.
Pour renforcer l'attractivité des fonctions de magistrat, le PLF propose une revalorisation indemnitaire des magistrats judiciaires de 1 000 euros bruts en moyenne par mois. Si nous saluons ce geste, nous relevons que les primes seront attribuées proportionnellement à l'ancienneté, ce qui tendrait à nuancer cet apport pour les magistrats en début de carrière. Pour les fonctionnaires de greffe, le ministère de la justice fait valoir un effort de 165 euros bruts mensuels en moyenne pour les greffiers et 250 pour les directeurs de greffe.
Cette augmentation massive des effectifs doit impérativement s'accompagner d'une politique solide en matière de ressources humaines. Les besoins des juridictions doivent tout d'abord être mieux évalués. Les effectifs théoriques retracés dans la circulaire annuelle de localisation des emplois restent aujourd'hui fondés sur une évaluation imparfaite des besoins. De surcroît, les vacances de postes de magistrats, qui étaient devenues résiduelles en 2021, atteignent 3,52 % en 2022, ce qui n'est pas bon signe. La situation reste encore plus préoccupante dans les greffes, où l'on observait encore un taux de vacance de 7 %.
Le garde des Sceaux a indiqué dans nos échanges que les travaux sur l'évaluation de la charge de travail des magistrats, que nous appelons de nos voeux depuis le rapport d'information « Cinq ans pour sauver la Justice ! » d'avril 2017, devraient aboutir en fin d'année, ce qui est heureux.
Il importe également de moderniser les méthodes de travail des magistrats en créant des équipes pour lui permettre de se concentrer sur son office, de revaloriser le rôle des greffiers et de donner un avenir aux contractuels. Encore faut-il que les missions de chacun soient clarifiées au sein de cette « équipe », tant il devient difficile de s'y retrouver entre les assistants de justice, les juristes assistants, les contractuels de catégorie A « justice de proximité », les assistants spécialisés...
Le rapport rendu au garde des Sceaux en septembre dernier par Dominique Lottin sur « La structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires » pourrait permettre d'engager enfin ce changement sur des bases plus concrètes. Toutefois, ce sujet n'est pas consensuel car la coexistence de ces différents statuts crée des tensions importantes au sein des juridictions.
Deuxième axe de mon propos : les délais et les stocks d'affaires dans les juridictions, qui demeurent toujours bien trop importants.
En matière civile, le délai de traitement des affaires est passé de 11,4 mois en 2019 à 13,7 mois en 2021 devant les tribunaux judiciaires. Conséquence de ces délais, le stock d'affaires des tribunaux judiciaires a vieilli, passant de 13 à 18 mois en dix ans, même si le garde des Sceaux nous a indiqué avoir commencé à le faire diminuer entre 2021 et 2022, de 13 %. En matière pénale, la situation est particulièrement inquiétante puisqu'il faut désormais presque 50 mois en moyenne (49,4) en 2021 pour juger un crime en première instance.
Troisième axe, le numérique. Le ministère poursuit ses efforts dans ce domaine, mais le chemin est encore long... Près de 82 % des crédits d'investissement prévus au titre du premier plan de transformation numérique (PTN) du ministère auront été dépensés, soit près de 431,7 millions d'euros entre 2018 et 2022. L'effort sera poursuivi par un nouveau plan de transformation numérique (PTN 2) sur 2023-2027 ; doté de195 millions d'euros en 2023.
Le problème ne réside plus vraiment dans les moyens car les crédits sont là et les projets sont financés... Lors de nos auditions, les services du ministère ont indiqué avoir revu leurs méthodes et leurs priorités pour assurer une gestion de projet plus efficace. Malgré ces efforts, on constate toujours des dysfonctionnements structurels sur le terrain.
Le projet PORTALIS (qui concerne le civil) a connu d'importantes difficultés de gestion. Priorité est donnée désormais aux applicatifs métiers. Pour autant, le projet est toujours en phase d'expérimentation dans les conseils de prud'hommes et n'est toujours pas déployé dans les cabinets des juges aux affaires familiales alors que cela était annoncé pour 2022.
Le projet PPN (procédure pénale numérique) a semble-t-il mieux pris en compte les processus métiers. Il est jugé opérationnel par le ministère dans les 160 juridictions où ce projet est testé sur les classements sans suite. Il faut espérer que cette procédure fera réellement gagner du temps aux greffiers...
Enfin, dernier axe : le budget de l'accès au droit.
Il augmente de 26 millions d'euros pour financer l'augmentation de la rétribution des avocats à l'aide juridictionnelle consentie en 2021 et 2022 dans le cadre du rattrapage prévu sur la base du rapport « Perben » - même si la profession la juge inférieure à leurs attentes. En effet, l'unité de valeur est à 36 euros aujourd'hui, à comparer aux 40 euros préconisés par le rapport Perben et aux 42,2 euros souhaités désormais par le Conseil national des barreaux compte tenu de l'inflation.
Il augmente également de 2,4 et 2,7 millions d'euros pour les structures de proximité et l'aide aux victimes.
Quelques mots enfin sur les deux articles rattachés qui concernent la justice judiciaire.
Tout d'abord, l'article 44 du projet de loi, qui propose de prolonger de deux nouvelles années l'expérimentation de la tentative de médiation préalable obligatoire dans certaines affaires familiales votée en 2016. Nous n'y sommes pas opposées mais il sera grand temps de faire ensuite un réel bilan de ce dispositif avant une éventuelle généralisation, cette mesure ayant été votée il y a plus de six ans ;
Ensuite l'article 44 bis du projet de loi, qui a pour but de faciliter le recouvrement de l'aide juridictionnelle (AJ) versée par l'État à des personnes finalement non éligibles. Il s'agit du corollaire logique du dispositif qui permet dans certains contentieux de verser l'AJ à l'avocat sans vérifier a priori l'éligibilité du demandeur. La modification proposée vise à conférer aux bureaux d'aide juridictionnelle compétence pour constater l'inéligibilité du demandeur a posteriori et recouvrer les sommes versées.
Au bénéfice de ces observations, nous vous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes examinés dans cet avis.