Intervention de Guillaume Chevrollier

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 16 novembre 2022 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « écologie développement et mobilité durables » - programmes 113 « paysages eau biodiversité » et 159 « expertise information géographique et météorologie » - examen du rapport pour avis

Photo de Guillaume ChevrollierGuillaume Chevrollier, rapporteur pour avis :

J'ai le plaisir de vous présenter mon rapport consacré à l'analyse des crédits des programmes 113 et 159 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », portant sur la politique des paysages, de l'eau et de la biodiversité pour le programme 113, et sur l'expertise, l'information géographique et la météorologie pour le programme 159.

En préambule, je voudrais vous exposer quelques éléments relatifs à l'impact environnemental du budget de l'État. Depuis trois ans, une cotation environnementale est présentée dans le cadre d'un « jaune budgétaire » afin de catégoriser les crédits budgétaires et les dépenses fiscales en fonction de leurs effets sur le climat et l'environnement. Cette approche novatrice est intéressante car elle favorise la lisibilité environnementale des engagements budgétaires et ancre le réflexe du climat et de la biodiversité dès la conception des politiques publiques et au moment d'examiner les financements qui leur sont alloués en loi de finances. Sa méthodologie doit cependant être affinée : 90 % des dépenses budgétaires échappent encore à ce cadre d'analyse et sont considérés comme neutres, faute de pouvoir qualifier leurs effets. Une catégorisation plus poussée permettra d'améliorer les marges de manoeuvre budgétaires afin d'arbitrer à une échelle plus adéquate entre dépenses vertes et brunes.

Le « budget vert » pour 2023 fait ressortir une nette détérioration de la trajectoire environnementale du budget de l'État : les dépenses vertes baissent de 11 % (- 5,7 Md€), mais le phénomène le plus marquant est l'augmentation de 90 % des dépenses défavorables (+ 9,3 Md€), majoritairement en raison des « boucliers tarifaires » gaz et électricité, dont les dépenses sont chiffrées à 8,9 Md€. Cette évolution conduit à un net brunissement du budget de l'État et une sensible atténuation des efforts budgétaires consolidés en faveur du climat. Si le soutien énergétique aux ménages modestes est bien entendu une nécessité dans le contexte inflationniste que nous connaissons, on peut déplorer l'absence de compensation et espérer que cette déviation de trajectoire ne sera que temporaire, une fois les coûts énergétiques revenus à la normale.

À ce sujet, au cours des sept auditions que j'ai conduites, les opérateurs entendus ont souligné à quel point les tensions inflationnistes contribuaient à réduire leurs marges d'action, avec deux points de vigilance : la revalorisation du point d'indice en juillet dernier, non compensée pour le second semestre 2022, et la hausse de la facture énergétique, qui peut peser de façon significative sur les budgets en fonction de l'intensité de leur consommation. Pour Météo France, le surcoût de la facture énergétique est estimé, en année pleine, à 2,4 M€ et l'augmentation de la masse salariale à 6,3 M€. Ces facteurs contribuent à amoindrir les moyens d'action des opérateurs. L'augmentation nominale des dotations doit être mise en perspective avec la hausse de l'inflation, qui conduit à une hausse moins marquée en valeur réelle, une fois les prix déflatés.

Il est en revanche un point de satisfaction souligné par les opérateurs : la stabilité du schéma d'emplois, après une décennie marquée par d'importantes baisses de moyens alors que les missions des opérateurs n'ont cessé de s'étoffer. Le ministre Christophe Béchu l'a rappelé devant notre commission, les moyens humains des opérateurs sous tutelle du ministère de la transition écologique ne baisseront pas au cours des prochaines années. C'est donc une pause bienvenue, qui donne de la lisibilité aux opérateurs en leur permettant d'accompagner les pouvoirs publics ainsi que les collectivités territoriales pour renforcer la résilience des territoires dans un contexte de profondes mutations induites par le changement climatique.

Venons-en maintenant aux programmes budgétaires à proprement parler. Les moyens consacrés à la biodiversité dans le cadre du programme 113 progressent de 12 % par rapport à 2022 pour atteindre près de 275 M€, soit une hausse de 30,4 M€. Cette hausse doit être tempérée par le fait que les mesures nouvelles ne concernent que 7 M€, 25 M€ étant consacrés à la résorption du déficit de l'OFB et à la compensation de la hausse du point d'indice de la fonction publique.

Disons-le d'emblée : les moyens budgétaires affectés à la lutte contre l'érosion de la biodiversité ne permettent pas d'inverser la tendance. La France défend de fortes ambitions environnementales sur la scène diplomatique internationale, notamment en amont de la COP15 qui se tiendra le mois prochain à Montréal, mais ces ambitions ne trouvent pas de traduction budgétaire à la hauteur des enjeux.

Je l'illustrerai à travers l'exemple de la politique de l'eau. Cet été, notre pays a fait face à des épisodes caniculaires inédits et à des sécheresses d'une intensité extrême. Beaucoup de territoires sont encore en tension hydrique. Les collectivités ont eu à gérer des situations particulièrement alarmantes, avec plus d'une centaine de communes dans l'incapacité de distribuer de l'eau potable à leurs habitants. Notre pays au climat tempéré fait face à des perturbations importantes de son régime pluviométrique, qui démontre la centralité de la gestion quantitative de l'eau.

Les conflits d'usage ne sont plus une hypothèse d'école, on a pu le mesurer dans le cas des réserves de substitution dans les Deux-Sèvres. Dans le même temps, le rythme d'investissement dans le petit cycle de l'eau est insuffisant et les infrastructures de distribution de l'eau sont vieillissantes, avec un taux de fuite moyen des réseaux de distribution de l'ordre de 20 %. Avec un chiffre qui interpelle : un déficit annuel d'investissement sur le petit cycle de l'eau estimé à 4,6 Md€ selon l'Union des industries et entreprises de l'eau (UIE).

Afin de mener à bien la politique de l'eau pour le compte de l'État, les agences de l'eau sont des opérateurs qui ont démontré leur efficacité à travers leurs capacités d'intervention réactives, au plus près des territoires, au niveau du bassin hydrographique. Mais le mécanisme du « plafond mordant », bien connu de la commission, limite leurs recettes, à 2,2 Md€ par an. Plusieurs effets pervers en découlent : les taux sont modulés pour s'ajuster à cet effet de seuil, faussant ainsi le signal prix du coût de l'eau. La tarification actuelle de l'eau n'inclut donc pas la raréfaction croissante de la ressource et n'incite pas à la sobriété des usages. Mais surtout, cet écrêtement limite les capacités d'intervention des agences de l'eau, pour l'atteinte du bon état des masses d'eau fixé par la directive-cadre sur l'eau, la restauration de la biodiversité aquatique et la cohérence des trames vertes et bleues restent un enjeu majeur.

Il me paraît à terme essentiel de lever cette contrainte de financement pour les agences de l'eau, si nous voulons renforcer la résilience hydrique de la France et préparer notre pays à la nouvelle donne pluviométrique. La secrétaire d'État chargée de l'écologie a reconnu la semaine dernière devant notre commission qu'un relèvement de ce plafond - ou mieux, sa suppression - serait à envisager dans un avenir proche. Je ne peux que lui donner raison.

Je souhaite mettre l'accent sur un autre point de vigilance : l'ambitieuse stratégie nationale pour les aires protégées (SNAP) n'a pas encore trouvé de financement à la hauteur des objectifs. La stratégie fixée par le législateur dans la loi « Climat et résilience » vise une superficie de 30 % d'aires protégées et 10 % sous protection forte d'ici 2030. Si le premier objectif est d'ores et déjà atteint, avec 33 % du territoire terrestre et maritime couvert, grâce à l'extension de la réserve naturelle des terres australes françaises - plus d'un million de km², couvrant l'ensemble des eaux sous juridiction française de la zone australe -, il est loin d'être atteint pour les zones sous protection forte. Au 1er janvier 2022, on compte seulement 1,86 % du territoire sous ce régime de protection.

Un rapport de l'IGF et du CGEDD a montré que le compte n'y était pas pour le financement de la SNAP : 600 M€ sont actuellement consacrés aux aires protégées, alors qu'il en faudrait le double pour le cadre actuel et le triple pour l'atteinte des 10 % sous protection forte. Il faudra sans doute envisager de nouvelles sources de financement, tout ne peut pas se faire par le canal des dotations budgétaires. Le fonds vert et les 150 M€ consacrés à la biodiversité sont une première étape, qu'il faudra sans doute renforcer par une fiscalité dédiée à la biodiversité, qui reste encore à inventer. Plusieurs contributions ont dessiné des pistes intéressantes, dont le rapport « Jerretie-Richard ». Ce sera un axe fort de la COP15 biodiversité du mois prochain, en lien avec la réforme des aides publiques défavorables à la biodiversité.

Sur ce thème, je signale l'article 15 B du projet de loi de finances, qui ouvre la voie à un loto et des jeux de grattage consacrés à la biodiversité, dont les fonds seraient affectés à l'OFB pour des missions de renaturation et de préservation de la biodiversité. Cette initiative innovante, qui permettrait de lever environ 10 M€, s'inspire du loto sur le patrimoine.

Les parcs nationaux m'ont également alerté sur l'insuffisance des moyens humains consacrés aux aires protégées. Le parc national de forêts, créé en 2019, bénéficie d'effectifs qui ne lui permettent pas de remplir correctement ses missions, avec 30 ETP partagés avec l'ONF, alors qu'il faudrait 50 agents pour remplir les missions de protection de la nature et d'animation territoriale. Cette dynamique défavorable peut expliquer les retards pris par la mission de préfiguration pour la création d'un douzième parc national consacré aux zones humides.

J'en viens maintenant au programme 159 et à ses principaux opérateurs, le Cerema, l'IGN et Météo France. L'expertise publique de ces opérateurs représente un enjeu majeur de souveraineté et de pilotage de la transition écologique. Ces opérateurs seront fortement mobilisés pour enrichir des modèles de prévision très intensifs en données publiques, afin d'anticiper les effets du changement climatique, élaborer des modèles de résilience territoriale et planifier les mesures à décliner selon un séquençage pertinent et adapté aux enjeux. L'État l'a compris, en stabilisant leurs effectifs : c'est un signal budgétaire positif.

Ils auront la mission d'accompagner l'État et les collectivités afin d'interpréter, comprendre et agir dans un monde rendu plus incertain par le changement climatique. Nos territoires feront face à un besoin d'accompagnement sans précédent, en termes d'ingénierie et de capacité d'innovation. C'est pourquoi il me paraît opportun de stopper la réduction des implantations territoriales de ces opérateurs. Le Cerema, qui depuis la loi « 3DS », a évolué vers un modèle de quasi-régie avec les collectivités territoriales, dispose de 25 implantations, soit un maillage territorial qui permet de conserver ce lien de proximité essentiel, notamment au profit des communes rurales. Il s'est donné pour mission d'accompagner les territoires dans le défi de l'adaptation au changement climatique, à travers des boîtes à outils, des prestations sur mesure et un savoir-faire mis au service des territoires. La libre administration des collectivités ne prend tout son sens que si les élus sont en capacité d'analyser et d'anticiper les effets de leurs décisions ; c'est une des raisons d'être du Cerema, que d'améliorer la profondeur stratégique des collectivités. Je salue à ce titre la stabilité de la subvention pour charges de service public pour cet opérateur en 2023.

La capacité de calcul de Météo France, accrue à travers les investissements dans le supercalculateur, permet quant à elle d'obtenir des prévisions plus fiables, sur une maille plus fine, contribuant à un meilleur accompagnement des acteurs météo-sensibles et une sécurité renforcée des biens et des personnes. Cinq bouées seront déployées au large de la Corse afin de mieux anticiper les phénomènes orageux, à la suite des violents orages qui ont eu lieu en août dernier. Une météo des forêts et des feux verra également le jour, avec 17 ETP dédiés : elle permettra de produire des cartes de sensibilité au feu, en fonction notamment du vent et de la sécheresse des sols, afin d'anticiper les zones dangereuses et prépositionner les moyens. En la matière, le modèle météorologique français est l'un des meilleurs en Europe, concurrencé néanmoins par les Britanniques et les Allemands ; il me paraît donc essentiel de veiller à préserver notre expertise.

Quant à l'IGN, il a un rôle central à jouer afin de produire une cartographie du territoire faisant autorité ; cette expertise géographique est notamment essentielle pour la mise en oeuvre du « Zéro artificialisation nette », l'élaboration d'un recensement exhaustif des plans d'eau et l'établissement d'un plan de corps de rue simplifié, avec la cartographie des réseaux et des canalisations afin d'éviter leur endommagement lors de travaux. Ce ne sont là que quelques exemples, la décision publique s'appuyant de plus en plus sur des informations géographiques, le besoin en informations géographiques de qualité ne fera que croître.

En outre, l'IGN s'est donné l'ambition de cartographier l'anthropocène, en produisant des cartes thématiques sur un nombre limité d'enjeux écologiques majeurs qui rendent compte des changements rapides du territoire et des conséquences sur l'environnement, afin de développer une capacité d'observation en continu.

On le voit, ces acteurs seront fortement sollicités par l'État et les territoires pour répondre aux enjeux posés par le changement climatique. Dans un contexte où l'ouverture et la gratuité des données pèsent sur leur modèle économique, ces opérateurs doivent être soutenus dans le cadre de leur transformation. Il s'agit à mes yeux d'une question de souveraineté environnementale, afin de répondre aux besoins grandissants d'expertise face aux complexités induites par le changement climatique et l'érosion de la biodiversité.

Pour l'ensemble de ces raisons, et sous le bénéfice des réserves et des points de vigilance que je viens d'évoquer, je vous propose d'émettre un avis favorable aux crédits des programmes 113 et 159. Je tiens à signaler que cette position a été établie en concertation avec la commission des finances.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion