Comme l'an dernier, j'ai le plaisir de vous présenter les principales orientations de mon rapport sur les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2023 au programme 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui contribue au financement de la recherche dans les domaines du développement durable, de l'énergie, des risques, des transports, de la construction et de l'aménagement.
Dans un contexte marqué par les conclusions des négociations de la COP 27 en Égypte, je souhaite rappeler avec force combien les travaux des opérateurs stratégiques concernés par ce programme constituent un levier essentiel au service de la transition écologique et énergétique.
Notre commission a pris ses responsabilités en la matière, avec l'adoption, pour ne citer que quelques exemples, de la proposition de loi sur l'empreinte environnementale du numérique, devenue une loi, d'origine sénatoriale, avec l'adoption en première lecture de la proposition de loi visant à permettre l'implantation de panneaux photovoltaïques sur les sites dégradés, ou encore, plus récemment, l'adoption en première lecture du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Autant de sujets qui reposent sur des travaux de recherche approfondis et entraînent donc des besoins de financement à la hauteur des enjeux, ciblés et pérennes.
Par définition, la recherche s'inscrit dans le temps long. C'est pourquoi nous devons être vigilants sur la pérennité des moyens alloués au programme 190 dans une perspective pluriannuelle.
À l'instar des années précédentes, sept actions composent ce programme. La quasi-totalité des crédits affectés ont pour objet de financer des subventions pour charges de service public versées à sept opérateurs de l'État stratégiques pour la décarbonation de notre économie parmi lesquels notamment le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l'Institut de radioprotection et de la sûreté nucléaire (IRSN), l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) ou encore l'Université Gustave Eiffel (UGE).
S'agissant du PLF pour 2023, je souhaiterais évoquer avec vous les deux principaux axes de mon rapport :
- d'une part, j'aimerais souligner l'augmentation des moyens budgétaires alloués à la recherche, qui est plus que nécessaire en raison du contexte actuel marqué par l'inflation ;
- d'autre part, je vous ferai part de la nécessité de pérenniser le soutien aux opérateurs afin de maintenir le niveau d'excellence de la recherche française.
S'agissant d'abord de la question de l'augmentation des montants affectés à la recherche prévue par le projet de budget pour 2023, je tiens à saluer l'augmentation des enveloppes allouées : il est, en effet, prévu d'affecter 72 millions d'euros supplémentaires au programme 190 par rapport à la loi de finances initiale pour 2022. Cette augmentation, de près de 4 % permet de rattraper la diminution des crédits qui avait été prévue par la loi de finances pour 2022. Ainsi, en comparaison avec l'année dernière, cinq des sept actions bénéficient d'une augmentation des crédits, dont en particulier l'action 15 « Charges nucléaires des installations du CEA » avec 40 millions d'euros supplémentaires accordés à ce dernier, soit l'augmentation la plus importante prévue pour l'année prochaine. L'action 12 « Recherche dans le domaine des transports, de la construction, de l'aménagement », connaît une légère diminution. Enfin, l'action 13 « Recherche partenariale dans le développement et l'aménagement durables » reste stable.
En outre, à l'instar de l'année précédente, plus des deux tiers des crédits sont concentrés au bénéfice du CEA au titre de l'action 15, que j'ai citée à l'instant et de l'action 16 « Recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire ».
Au-delà des crédits budgétaires, certains opérateurs bénéficient d'une augmentation de leur schéma d'emplois, comme l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), de l'IRSN ou encore du CEA pour lesquels le PLF 2023 prévoit des augmentations respectives de 2, 12 et 124 équivalents temps plein.
Je me félicite de cette revalorisation des moyens budgétaires et humains ; le programme 190 est en effet un levier déterminant à la transition écologique et énergétique. Il est donc fondamental d'accorder à nos opérateurs les moyens à la mesure de nos ambitions en matière de développement durable.
Par ailleurs, j'estime indispensable ce soutien financier apporté aux organismes de recherche dans le contexte actuel. Je ne vous apprends rien, en rappelant que celui-ci est marqué par une inflation grandissante des prix de l'énergie, les exposant ainsi à une explosion de leurs dépenses. À titre d'illustration, la facture énergétique du CEA va être triplée et ainsi augmenter de 60 millions d'euros, celle de l'IFPEN de 10 millions d'euros, celle de l'IRSN de 4 millions d'euros. Dans le cadre de mon cycle d'auditions, l'Université Gustave Eiffel a également manifesté son inquiétude en affirmant, qu'elle s'attendait, je cite, « à de nombreuses coupures d'électricité durant cet hiver ». Malheureusement, l'augmentation des crédits prévue pour 2023 ne permettra a priori pas de compenser les surcoûts auxquels devront faire face les opérateurs.
Je souhaite également appeler l'attention de la commission sur la situation fragile de l'Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV). Il s'agit là d'une nouveauté au sein de mon avis budgétaire, puisque les crédits de l'IPEV relèvent du programme 172 « Recherches scientifiques et technologies pluridisciplinaires », qui figure au sein de la même mission « Recherche et enseignement supérieur » que le programme 190 que je viens d'évoquer. L'IPEV est un opérateur qui permet la mise en oeuvre de la recherche française dans des zones polaires en offrant les moyens humains, matériels, techniques financiers nécessaires. Pour le dire autrement, l'institut ne fait pas de la recherche, mais permet aux organismes publics de conduire des projets de recherche. Par exemple, la station franco-italienne Concordia, implantée en Antarctique, permet aux chercheurs de retracer le climat terrestre des années passées. Les recherches réalisées ont ainsi permis de lire le climat des 800 000 dernières années et les prochains carottages visent à dépasser le million d'années. Grâce à la compétence et à la technicité de l'IPEV la France rayonne à l'international dans le domaine polaire et promeut une recherche de haut niveau.
Pourtant, le budget de cet institut est aujourd'hui en déficit de 3,7 millions d'euros en raison du financement, sur son fonds de roulement, des surcoûts en matière d'hydrocarbures, de fret maritime, de transports aériens et les quatorzaines liés à la pandémie. La situation s'est révélé tellement critique que l'Institut a envisagé de réduire ses activités de recherche s'il n'était pas doté de fonds supplémentaires cette année. L'IPEV a tiré la sonnette d'alarme, et à bon escient, puisque le Gouvernement a annoncé le 27 octobre dernier qu'il allait amplifier son soutien - et celui d'autres opérateurs - afin de permettre aux organismes spécialisés dans le domaine de la recherche de faire face aux surcoûts énergétiques, et en créant au sein du projet de loi de finances rectificative pour 2022, un fonds de compensation de 275 millions d'euros. Ainsi, l'IPEV devrait bénéficier d'une rallonge budgétaire de 3 millions d'euros, ce qui lui permettra de compenser son déficit, ainsi que de cinq nouveaux équivalents temps plein. Ce nouveau positionnement de la part du gouvernement s'avère évidemment bienvenu et devrait permettre de répondre à la stratégie nationale polaire adoptée en avril dernier.
Je profite de cet exemple de l'IPEV pour soutenir qu'il est essentiel de veiller, d'une part, à ce que nos opérateurs bénéficient de moyens justes et cohérents afin de mener en toute sérénité la réalisation des travaux de recherche, et d'autre part, de compenser les fragilités financières auxquelles ils peuvent être confrontés.
Si nous parvenons à maintenir cet effort, et cela m'amène à mon deuxième point, nous préserverons la recherche française à un niveau d'excellence.
Les opérateurs du programme 190 sont, chacun dans leurs domaines respectifs, des pionniers en matière de recherche. Comme je l'avais déjà souligné l'année dernière, le nombre de demandes de brevets témoigne de ce dynamisme, et traduit une véritable reconnaissance de l'expertise française et la capacité d'opérateurs à investir sur de nouveaux sujets de recherche. Ainsi, le CEA et l'IFPEN occupent respectivement les 1er et 4e rangs mondiaux des organisations de recherche publique ayant déposé le plus de demandes de brevets internationales dans le domaine des technologies bas-carbone au cours de la période 2000-2019. Très concrètement, le CEA est à l'origine de 3,9 % des dépôts de brevets mondiaux dans le domaine de l'énergie nucléaire et l'IFPEN, à l'origine de 1,4 % des dépôts de brevets mondiaux dans le domaine de la capture de dioxyde de carbone, ce qui est très significatif.
D'autres exemples de projets déployés à l'échelle européenne ou internationale mettent en lumière la maturité de la recherche française. Je pourrais vous en citer des dizaines, mais en voici trois que je trouve révélateurs. Tout d'abord l'IFPEN est fortement impliqué au sein du programme de recherche et d'innovation de l'Union européenne : « Horizon Europe ». Dans ce cadre, il pilote le projet européen Modalis (MODelling of Advanced LI Storage Systems) qui a pour objectif de modéliser les futures générations de batteries pour véhicules électriques. Également dans le cadre de ce programme Horizon Europe, l'UGE participe au financement du projet Bison, qui vise à identifier les besoins futurs en matière de recherche et d'innovation pour une meilleure intégration de la biodiversité dans la planification, la construction, l'exploitation et le déclassement des infrastructures. Aussi, depuis 2017, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) est investi dans la création de villes durables en Chine. Ainsi, une dizaine d'écocités bâties selon une approche française durable devraient voir le jour. Parmi elles, cinq villes chinoises ont reçu le prix Eco-cités. Enfin, la filière aéronautique française se mobilise fortement depuis 2019, aux côtés de l'État et au sein du conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), pour faire émerger à l'horizon 2030 une nouvelle génération d'avions de ligne « bas carbone » capables de décarboner le transport aérien mondial. La position de la France à ce niveau est déterminante et son pouvoir d'orientation est considérable car son industrie, la plus complète en Europe, joue un rôle de leader au niveau continental.
Je terminerai mon propos en évoquant le double objectif auquel nous répondrons si nous parvenons à pérenniser, sur le long terme, le soutien accordé aux opérateurs.
Le premier objectif est celui de préserver notre position d'expert en matière de recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables. Car oui, même si la France rayonne à l'international, nous ne devons pas oublier le risque d'une perte de leadership. En effet, à titre d'illustration, les moyens alloués à la recherche polaire en France demeurent bien inférieurs à ceux d'autres États, tels que l'Allemagne et le Royaume-Uni. Il en va de même pour des États dont le PIB est inférieur à celui de la France, tels que l'Italie et l'Australie. En conséquence, si la France figure aujourd'hui au 5e rang mondial en matière de publications scientifiques en Antarctique, elle risque de rejoindre, à moyen terme, le club des États d'ambition moindre en matière de recherche dans les milieux polaires et plus particulièrement en Antarctique.
En outre, la France risque d'être confrontée à une perte d'attractivité et de souveraineté technologique en raison des difficultés récurrentes d'attractivité des emplois et des compétences. Les opérateurs que j'ai entendus m'ont alerté sur les difficultés de recrutement auxquelles ils sont confrontés, le domaine de la recherche étant soumis à une forte concurrence géographique et sectorielle. Ainsi, d'après l'IRSN, il est difficile d'attirer les chercheurs issus des entreprises privées compétentes dans le domaine du nucléaire. Force est de constater que les rémunérations proposées dans ces secteurs sont plus attractives que celles proposées dans le secteur public.
Notre deuxième objectif est celui d'éclairer les choix publics et privés pour, d'une part, améliorer notre compréhension et la connaissance du changement climatique et trouver des réponses plus efficaces à ses conséquences, et d'autre part, garantir une maîtrise des risques environnementaux, industriels et nucléaires. Sur ce point, j'aimerais évoquer l'Ineris qui a été mobilisé lors de l'incendie de Lubrizol en 2019, puis à la suite de l'explosion sur le port de Beyrouth en 2020 et également lors des feux extrêmes de Gironde en 2022. Pour sa part, le CEA produit des travaux de recherches sur les sources de production renouvelables, et notamment sur l'énergie photovoltaïque à haut rendement et bien intégrable au réseau.
En outre, les travaux de recherche en matière de développement durable ne se limitent pas seulement à informer les « décideurs », mais permettent également de sensibiliser l'ensemble de nos concitoyens. Selon le baromètre de 2022 de l'IRSN, le dérèglement climatique et la santé sont, à égalité, les deux préoccupations principales des Français. De même, 64 % des Français font confiance aux institutions scientifiques.
Pour mieux s'imprégner des enjeux en matière de recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables, la commission pourrait d'ailleurs utilement se déplacer auprès des opérateurs pionniers qui font vivre et donnent chair à cette recherche par le biais de travaux plus innovants les uns que les autres. Cela permettra à la fois de mieux comprendre les enjeux auxquels ils font face et d'orienter nos prises de position en tant que législateur.
Compte tenu des moyens supplémentaires affectés, mais aussi de la résilience et de la mobilisation des opérateurs concernés, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 190.