Je voudrais évoquer un ouvrage récent, écrit par l’ancien conseiller en management de l’équipe du P-DG de France Télécom, qui détaille les procédures à suivre pour mettre en place un management consistant à briser des salariés afin de pouvoir mieux les faire partir sans être contraint les licencier. L’auteur, alors en contact régulier avec les formateurs qui animaient les stages de management nous y décrit des stages efficaces, vivants et concrets, illustrés d’exercices pratiques inspirés de la réalité.
Par exemple, lors d’un stage, la mise en situation était la suivante : on proposait aux stagiaires de réduire de moitié les effectifs de leur plate-forme, soit vingt-cinq personnes.
Sur ces vingt-cinq personnes, un homme avait une mère atteinte d’une maladie grave. Or, ce salarié va la visiter chaque jour et sa mutation doit l’envoyer à plus de cent kilomètres. L’exercice était alors de répondre à la question suivante : « Comment vous y prenez-vous pour le faire partir ? ». Après l’exercice, le formateur donnait la réponse. II faut, disait-il, faire comprendre avec humanité l’importance de ce choix : soit le collaborateur emmène sa mère avec lui, soit il démissionne pour rester auprès d’elle. Le formateur concluait ainsi : « culpabilisé, le collaborateur prendra lui-même la bonne décision : démissionner ».
Ce type de mises en situation a même été théorisé à la demande de France Télécom par un cabinet de conseil – Orga consultant – au sein d’un tableau intitulé « Les phases du deuil ». Cet outil devait permettre au manager de comprendre l’état psychique du salarié qui subit une mutation forcée dans une ville éloignée ou dans un autre service. Le deuil y est ainsi décrit comme un processus chronologique qui passe par six étapes : tout d’abord « l’annonce de la mutation », puis « le refus de comprendre », « la résistance », « la décompression », et, enfin, « la résignation » et « l’intégration du salarié ».
Toutefois, le document mettait en garde les managers contre les risques potentiels : par exemple, en phase 3, dite de « résistance », l’employé peut se livrer à des actes de sabotage. Puis, en phase 4, dite de « décompression », il peut chuter dans le désespoir et la dépression. La légende apparaissant sous la courbe conseille alors au manager de faire entendre à son employé dépressif que « l’évolution des besoins est à la source du changement ».
Nous connaissons tous le résultat de cette politique managériale : dépressions des salariés, suicides en séries, drames humains innombrables et des centaines de vies brisées.
Jadis, les entreprises licenciaient. Aujourd’hui, elles harcèlent moralement les indésirables pour les pousser à la démission. De nombreux médecins du travail, qui ont observé de près les effets dévastateurs de ces politiques managériales, les ont dénoncées avec vigueur.
En plaçant désormais ces médecins sous la tutelle de l’employeur, ce dernier sera désormais assuré de leur silence.