Intervention de Max Brisson

Réunion du 14 novembre 2022 à 18h00
Enseignement professionnel — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Max BrissonMax Brisson :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec 650 000 élèves, soit un élève du second cycle du secondaire sur trois inscrit après la classe de troisième dans une formation allant du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) au baccalauréat, l’enseignement professionnel est une voie importante de notre système éducatif.

Pourtant, cette filière a perdu 100 000 élèves en vingt ans et ses résultats pour l’obtention d’un emploi sont décevants. En effet, deux ans après avoir obtenu leur diplôme, seuls 41 % des titulaires d’un CAP et 51 % des bacheliers professionnels ont trouvé un emploi.

Pour nombre de jeunes, l’enseignement professionnel est vécu comme une voie de relégation, une sanction pour leurs difficultés scolaires, une filière de l’échec. Alors que les formations professionnelles sont valorisées dans d’autres pays, comme en Allemagne, en Suisse ou aux Pays-Bas, elles souffrent en France d’une image dégradée et elles ne font rêver ni les jeunes ni leurs parents.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’affectation en filière professionnelle reproduise les inégalités existantes. Ainsi, un élève issu d’un milieu défavorisé a 93 % de chances d’être orienté vers un lycée professionnel et plus de la moitié des lycéens de cette filière viennent de quartiers défavorisés, selon une étude réalisée par Sciences Po. Un tiers des élèves de l’enseignement professionnel sont boursiers, soit une proportion deux fois plus élevée que dans l’enseignement général et les enfants de cadres ne représentent que 7 % des effectifs de la voie professionnelle.

L’éducation nationale a une responsabilité en la matière, car elle valorise par trop les disciplines générales et ses enseignants ne connaissent pas ou pas assez les filières professionnelles ni même les métiers auxquels ces dernières mènent. Il est également incontestable que trop de jeunes suivent des formations qui ne débouchent pas sur un emploi après le bac. Ainsi, 60 % des « lycéens professionnels » sont scolarisés dans les filières tertiaires du bac professionnel, alors que ces filières recrutent au niveau bac+2. Plus largement, les effectifs sont surtout concentrés en commerce et vente et en sanitaire et social, alors que, mis à part l’aide à domicile et l’hôtellerie et la restauration, les pénuries de compétences se focalisent aujourd’hui dans l’industrie.

En outre, c’est dans ce secteur que les lycées professionnels réussissent le mieux et ce sont ces établissements qui ont les synergies les plus fortes avec les entreprises locales. Ainsi, au lycée Éric-Tabarly des Sables-d’Olonne, où s’exprimait, le 13 septembre dernier, le Président de la République, on trouve en effet des formations « insérantes », telles que la chaudronnerie ou la maintenance nautique, preuve que le système abrite aussi de réelles pépites.

C’est justement à la suite des déclarations du Président de la République que le groupe Les Républicains a demandé l’organisation du présent débat. L’annonce, à cette occasion, d’une réforme d’ampleur par le chef de l’État suscite des interrogations, sur le fond et sur la forme. La réforme de 2019 n’entendait-elle pas déjà favoriser les synergies entre la voie scolaire et le monde de l’apprentissage, afin que les deux systèmes jouent la carte de la complémentarité ? Ne s’agissait-il pas, selon les termes mêmes du ministre d’alors, de transformer les établissements professionnels en « Harvard professionnels » ? Cette ambition semble avoir tourné court…

Pourtant, alors même que la réforme de 2019 n’a pas été analysée, les annonces faites par le Président de la République fixent déjà un cadre précis : doublement des heures de stages, révision de la carte des formations, réorientation des enseignants et recrutement d’un personnel issu du monde professionnel. Après avoir annoncé ces mesures très précises, le président Emmanuel Macron a maintenant recours à une série de débats calqués sur le modèle du Conseil national de la refondation ; on peut s’interroger sur la méthode…

En effet, quatre groupes de travail doivent se réunir jusqu’aux vacances de Noël, avant de rendre leurs conclusions à la fin du mois de février. Malgré la profusion de rapports et d’études déjà disponibles sur cette question, ces groupes devront trouver des solutions aux questions que vous leur avez soumises, madame la ministre : comment réduire le nombre de décrocheurs ? Comment mieux préparer la poursuite des études dans le supérieur ? Comment améliorer le taux d’accès à l’emploi ? Et comment donner des marges de manœuvre aux établissements, tout en conservant le caractère national des diplômes ?

Ces groupes, composés de représentants des syndicats, des régions, des parents d’élèves, des établissements, des entreprises ou encore des collectivités, sont pilotés par un recteur accompagné d’un inspecteur général. Après les inquiétudes provoquées par les réformes annoncées par le chef de l’État aux Sables-d’Olonne, on comprend que le Gouvernement tâche, manifestement, de rassurer. Toutefois, les principaux syndicats d’enseignants, qui dénoncent un passage en force, ont refusé de participer à ces groupes de travail. Une mobilisation a eu lieu le 18 octobre dernier et elle doit être renouvelée cette semaine. Elle traduit les difficultés de mise en œuvre des pistes proposées par le chef de l’État.

La double tutelle exercée dorénavant sur la réforme des lycées professionnels par les ministères chargés du travail et de l’éducation nationale est également l’objet d’inquiétudes. Certains y voient le renforcement bénéfique du lien entre le lycée professionnel et le marché du travail ; d’autres y voient le signe d’une atteinte à la spécificité de leur statut et craignent que l’augmentation, pouvant aller jusqu’au doublement, de la durée des stages ne prive les jeunes qui en ont le plus besoin de centaines d’heures d’enseignement.

Sans vouloir trancher ce débat, en observant simplement les évolutions des différents pays, on constate que les formations professionnelles de qualité reposent sur un solide socle commun de culture et de compétence générales.

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