Intervention de Carole Grandjean

Réunion du 14 novembre 2022 à 18h00
Enseignement professionnel — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Carole Grandjean :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur Lafon, monsieur le sénateur Brisson, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue le choix du groupe Les Républicains d’avoir proposé ce débat consacré à l’enseignement professionnel. Nous pensons tous, au sein de cet hémicycle, qu’il est nécessaire de faire reconnaître l’enseignement scolaire professionnel comme une véritable voie de réussite aux yeux des jeunes, de leurs familles et des employeurs.

La réforme engagée par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que vous avez adoptée en 2018, a permis de lever certaines contraintes administratives entravant le développement de l’apprentissage. Elle aura ainsi rendu possible, en se combinant aux primes exceptionnelles mises en place pendant la crise, un décollage sans précédent de cet enseignement, puisque nous atteignons, cette année encore, un nombre historique de contrats : les organismes de formation nous indiquent que nous allons dépasser cette année le cap de 735 000 contrats signés et probablement atteindre le nombre de 800 000. Cela correspond à deux ou trois fois le nombre d’apprentis que comptait notre pays en 2018. L’essor considérable de l’apprentissage a contribué à faire diminuer le taux de chômage des jeunes de manière durable, en le situant à 15, 9 %.

Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, et moi-même nourrissons une même ambition : faire de la voie professionnelle une voie de choix et d’excellence.

Le changement d’image du lycée professionnel est possible – nous l’avons observé concernant l’apprentissage – et il est nécessaire.

Nous devons le reconnaître, aujourd’hui, le lycée professionnel ne joue pas suffisamment son rôle d’insertion professionnelle de l’élève. La situation actuelle est source de frustrations tant pour les jeunes et leurs familles que pour les enseignants eux-mêmes. L’impression d’être déclassé, méprisé par un système qui semble punir les enfants en difficulté nourrit le ressentiment et l’échec.

Des transformations de la voie professionnelle ont déjà été accomplies lors du précédent quinquennat, dans le contexte pourtant difficile de la crise sanitaire. Cette première transformation fournit un socle sur lequel nous devons continuer de bâtir pour aller plus loin, dans le cadre d’un investissement structurel et résolument tourné vers la réussite des élèves. C’est notre responsabilité à tous : rétablir l’ascenseur social pour ces jeunes et permettre de rendre tangible l’égalité des chances pour les publics les plus fragiles.

Les lycées professionnels, on le sait trop peu, accueillent un tiers des jeunes lycéens en France, qui sont souvent des enfants cumulant des vulnérabilités scolaires et sociales. En effet, les 627 000 « lycéens professionnels » sont majoritairement issus de milieux défavorisés et se retrouvent souvent en situation d’échec pendant ou après leur scolarité. Voici quelques données pour vous en convaincre : 33 % de ces élèves sont issus d’une famille ouvrière et 3 % d’une famille de cadre ; une forte proportion est issue de l’immigration ou est allophone ; 5 % des élèves sont en situation de handicap, contre 1 % des « lycéens généraux » ; les difficultés de lecture concernent 28 % des élèves en CAP et 16 % en bac pro, contre 3, 5 % en bac général ; la voie professionnelle comprend les deux tiers des décrocheurs, déjà en difficulté au collège ; enfin, après deux ans, sans compter ceux qui poursuivent leurs études, seulement la moitié des élèves sont en emploi.

En outre, l’organisation pédagogique actuelle ne prend pas suffisamment en compte les mutations économiques, les réalités des difficultés des élèves et les défis du territoire. Elle ne s’adapte pas non plus suffisamment aux trajectoires et aux profils des élèves.

De surcroît, les formations sont insuffisamment tournées vers l’emploi. Ainsi, les diplômes sont parfois en décalage : ils sont sans débouché ou sans niveau pertinent de qualification, à moins qu’ils ne reposent sur un référentiel d’activités dépassé. De même, la carte des formations est parfois déconnectée des enjeux du marché du travail : de nombreuses formations tertiaires ne sont pas suffisamment « insérantes » ; les investissements dans les plateaux techniques et les efforts déployés pour la reconversion des enseignants se révèlent souvent mal connectés aux réalités économiques. Par ailleurs, la préparation au monde professionnel n’est pas satisfaisante et n’offre pas aux jeunes la maîtrise nécessaire des codes de l’entreprise ou des techniques de recherche d’emploi pour s’insérer efficacement dans le monde du travail.

Enfin, les formations post-bac sont inadaptées. D’une part, les sections de technicien supérieur, préparant au brevet de technicien supérieur (BTS), préfèrent recruter des titulaires d’un baccalauréat général et technologique et ils ne sont pas adaptés aux sortants de bac professionnel, alors même que, dans certains secteurs, c’est le BTS qui est demandé par les employeurs plutôt que le niveau baccalauréat professionnel. D’autre part, l’offre de formation préparatoire aux études supérieures, du type « mention complémentaire » ou « diplôme de spécialité professionnelle » en une année, est insuffisante.

Dans ce contexte, nous nous sommes assigné trois objectifs clairs pour réussir cette réforme, que nous allons bâtir avec l’ensemble des acteurs concernés.

Premièrement, nous souhaitons réduire le nombre de décrocheurs, éviter cette fuite des élèves qui ne trouvent pas leur place en lycée professionnel. Entendons-nous bien : personne n’accuse les lycées professionnels d’être la cause unique du décrochage ; ils en sont souvent le réceptacle, héritant de difficultés liées à la fois aux fragilités personnelles des élèves et au manque de souplesse des parcours de formation.

Nous devons dès lors trouver des réponses au sein de ces établissements et bâtir ensemble une organisation nouvelle, plus souple, qui permette d’accroître collectivement la prévention et l’accompagnement, la motivation des élèves, le sens et l’engagement des jeunes dans leurs parcours.

Deuxièmement, nous souhaitons faire progresser significativement le taux d’insertion dans l’emploi. Le baccalauréat professionnel et, a fortiori, le CAP doivent tenir la promesse républicaine d’insertion dans l’emploi, qui est la raison d’être de ces diplômes, leur ADN en même temps que le gage de leur légitimité.

Troisièmement, enfin, je veux sécuriser la poursuite des études. Lorsque le projet et le métier le requièrent, nos jeunes doivent pouvoir être mieux préparés aux attendus des études supérieures, notamment à ceux des BTS.

Je veux à présent esquisser quelques pistes pour atteindre ces trois objectifs et réformer le lycée professionnel de sorte que chaque élève connaisse la réussite.

Nous allons investir dans les lycées professionnels comme jamais auparavant. C’est la première fois qu’un Président de la République apporte un tel soutien, lors d’une campagne et dans son projet présidentiel, à la voie professionnelle. Cela procède d’une véritable volonté d’accompagner l’amélioration de la formation initiale et continue des professeurs eux-mêmes, mais également de construire des formations d’avenir qui soient plus en phase avec la préparation des grands défis collectifs de demain. Je pense évidemment aux transitions écologiques et numériques, mais également à la révolution de la longévité, c’est-à-dire aux enjeux du vieillissement de la population, au défi de la transition vers une société plus inclusive et plus solidaire, qui passe par un meilleur accompagnement du handicap dans tous les secteurs, ainsi qu’à notre politique de souveraineté économique et de réindustrialisation du pays.

La multiplication des périodes de formation en milieu professionnel – les stages –, combinée à la gratification des élèves pendant ces périodes, doit permettre de rapprocher encore davantage le lycée professionnel du monde de l’entreprise et de conforter la motivation des élèves ainsi que leur engagement à réussir. Les stages contribuent à donner du sens, de l’expérience et des contacts, ils renforcent le lien entre la formation et le milieu professionnel.

Nous souhaitons également renforcer les enseignements généraux, M. le Président de la République y a insisté, car les entreprises ont autant besoin de compétences professionnelles techniques que de citoyens éclairés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion