Madame la ministre, tenter de tirer un bilan constructif de Parcoursup suppose d’éviter deux écueils : un optimisme débridé face à la capacité de l’outil à apparier un nombre important d’étudiants avec de multiples formations, sans même questionner la pertinence de cet appariement ; à l’inverse, une critique sans mesure, qui tend à confondre l’algorithme Parcoursup avec la procédure Parcoursup. En somme, il faut éviter tout manichéisme.
J’aborderai donc ce débat à travers une problématique générale : de quoi Parcoursup, par ses sous-jacents, ses modalités et ses implications, est-il le révélateur en matière d’orientation des jeunes ?
Si nous nous référons à la loi originelle de 2018, la création de Parcoursup répondait à un double objectif : mieux orienter les jeunes et garantir la réussite des étudiants, l’orientation étant la condition sine qua non de cette réussite.
Or, en l’état, Parcoursup révèle la prédominance d’une conception de l’orientation : celle de l’appariement, celle de la gestion urgente des flux eu égard à la démographie estudiantine. Conséquence directe : les étudiants n’ont plus nécessairement le choix de leur orientation. Ils peuvent la subir, en particulier lorsqu’ils se destinent aux filières en tension. Leur liberté de choix devient alors conditionnelle. C’est une réalité que notre groupe politique n’a eu de cesse de dénoncer et qui va à rebours de ce que préconisait le Conseil économique, social et environnemental (Cese) dans son avis de 2018 sur l’orientation des jeunes.
Il n’est pas admissible que le manque de places dans certaines formations contraigne des étudiants à accepter des choix parfois éloignés de leur vœu premier. Malheureusement et mécaniquement, cette tendance est aussi de plus en plus prégnante à l’entrée en master.
Ainsi, Parcoursup révèle l’institutionnalisation d’une sélection partielle à l’entrée dans le supérieur pour endiguer la pénurie de places résultant du manque de moyens. Pour la justifier, certains ont avancé qu’il valait mieux effectuer cette sélection qu’être confronté à l’échec qui prévalait en licence auparavant. Je répondrai que ni la généralisation de l’échec ni celle de la sélection ne sont souhaitables. S’il était insatisfaisant de se reposer uniquement sur le principe d’égal accès au supérieur sans œuvrer concrètement à la réussite de chaque étudiante, il est tout aussi inacceptable de fermer a priori les portes de certaines filières, pourtant censées être ouvertes à tous.
Dès lors que la sélection est de mise, l’enjeu de son acceptabilité par les candidats devient central. C’est pourquoi l’évolution vers le système Parcoursup a entraîné des transformations, parfois positives, dans les modalités d’orientation des jeunes. La politique d’orientation commence à se structurer autour d’un continuum bac–3/bac+3. En ce sens, la mise en place de Parcoursup doit impérativement se lire à l’aune de la réforme du baccalauréat.
En termes d’orientation, les améliorations sont de deux ordres.
En amont, comme vous l’avez souligné, madame la ministre, nous relevons une réelle amélioration de l’information mise à disposition des candidats : Parcoursup est un portail, qui peut être d’ailleurs vertigineux, comprenant les attendus nationaux et locaux pour chaque formation, leur taux d’insertion professionnelle, etc. Cependant, rendre accessible l’information ne signifie aucunement qu’elle sera décryptée comme il se doit, d’où l’importance – une fois de plus – de l’accompagnement dans l’orientation.
En aval, nous notons le début d’un accompagnement personnalisé en licence avec les « oui si ». Il serait opportun, madame la ministre, d’avoir une évaluation nationale sur la mise en œuvre des « oui si » dans les établissements du supérieur pour analyser les freins ainsi que les éventuels aménagements auxquels procéder pour rendre le dispositif plus opérant.
Rappelons que le législateur, singulièrement au Sénat, a concédé la création de Parcoursup sous réserve de l’effectivité des modules complémentaires, qui devaient permettre aux étudiants de se mettre à niveau pour suivre l’orientation de leur choix. Pour ma part, je pense que cet accompagnement doit être encore plus renforcé et personnalisé, car il est la clé de la réussite des étudiants.
Par ailleurs, Parcoursup révèle un changement profond en matière de responsabilité dans le processus d’orientation. D’aucuns ont évoqué un transfert de responsabilité. Ce transfert s’effectue dans deux directions.
Il s’opère d’abord vers les universités et les équipes pédagogiques, qui, à travers les commissions d’examen des vœux, sont maintenant responsables de la sélection qu’elles peuvent effectuer. Elles font un travail – vous l’avez rappelé, madame la ministre – très important, qu’il convient de saluer. Ce changement de paradigme, corollaire de l’autonomisation croissante des universités, explique le combat que nous avons mené en faveur de la transparence des algorithmes dits « locaux », combat mené en commun avec mon collègue Pierre Ouzoulias depuis plusieurs années.
Je me réjouis de l’obligation qui est désormais faite aux établissements de publier ex post un rapport d’examen des vœux faisant état des critères qui ont présidé à la décision. Il est indéniable que la transparence a progressé depuis 2018, malgré les dénis et refus répétés de la précédente ministre, mais elle peut encore être affermie, sans pour autant porter atteinte au secret des délibérations.
Le transfert de responsabilité s’opère ensuite vers les étudiants, rendus encore plus responsables de leur orientation. Deux lectures complémentaires sont possibles à cet endroit.
La première est méliorative : obliger les étudiants à penser leur projet d’orientation plus tôt au lycée, à le formaliser de manière plus détaillée et explicite, est positif. Cela les rend encore plus acteurs de leur orientation, les conduit à se l’approprier et facilite la transition vers le supérieur. Je pense, notamment, au projet de formation motivé, à la fiche Avenir, etc.
La deuxième est plus nuancée dès lors que nous raisonnons concrètement. Dans le monde de Parcoursup, tout se passe comme si les étudiants étaient égaux devant l’orientation. Or les sociologues de l’éducation l’ont démontré depuis longtemps : en l’espèce, comme dans nombre de domaines, nulle égalité réelle ne prévaut. D’ailleurs, la mission de suivi de l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur de 2020, réalisée par l’Assemblée nationale, ne s’y trompe pas.
Si l’octroi d’un second professeur principal dédié à l’orientation, la consécration de deux semaines destinées à l’orientation en terminale et la mise en réserve de cinquante-quatre heures sur l’ensemble du lycée sont bénéfiques, leur application et leurs contenus sont très inégaux et aléatoires.