Madame la ministre, les résultats de la plateforme Parcoursup sont désolants.
Le ministère a beau indiquer que seuls 160 lycéens n’ont pas trouvé de place, ce sont en fait plusieurs dizaines de milliers de bacheliers qui n’ont pu accéder à l’enseignement supérieur cette année.
Parcoursup est un instrument de gestion de la pénurie au sein de l’enseignement supérieur. Depuis 2008, le budget par étudiant ne cesse de baisser et le taux d’encadrement de régresser.
Entre 2012 et 2017, seules 19 universités sur 68 ont vu la part des enseignants titulaires augmenter. Le taux d’encadrement s’est timidement amélioré dans uniquement douze d’entre elles. Cela a de lourdes conséquences pour l’ensemble de la société.
Ainsi, alors que nous manquons de médecins dans un nombre grandissant de territoires, alors qu’il y a une véritable affluence des candidatures pour les études de santé sur Parcoursup – avec les instituts en soins infirmiers, ce sont celles qui sont les plus demandées –, les capacités d’accueil dans nos universités empêchent non seulement des jeunes d’épouser les carrières auxquelles ils aspirent, mais également de lutter efficacement contre la désertification médicale.
La saturation de notre système public d’enseignement supérieur pousse de plus en plus d’élèves à se tourner vers des formations privées : 25 % des étudiants du supérieur y sont inscrits. Rien que pour l’année 2021-2022, le marché privé de l’enseignement supérieur a progressé de 10 %, quand le périmètre de l’université n’a augmenté que de 0, 4 %.
Parcoursup est aussi un système qui accroît les inégalités, ces inégalités que la réforme du lycée et du bac renforce en faisant peser sur les épaules d’adolescents âgés de 15 ans ou 16 ans la responsabilité du choix des disciplines de spécialité, lesquelles doivent correspondre aux attendus de l’établissement d’enseignement supérieur qu’ils souhaitent intégrer. Les cinquante-quatre heures d’orientation dispensées par les profs principaux sont d’un bien maigre secours dans ce contexte !
Dans une enquête de l’Observatoire national de la vie étudiante, 56 % des étudiants des classes populaires indiquent que leurs proches ou leur famille leur ont permis de construire leurs choix d’orientation, contre 76 % dans les classes dominantes. Le constat du Conseil d’analyse économique est implacable : un jeune issu d’une famille aisée a trois fois plus de chances d’accéder à l’enseignement supérieur qu’un jeune d’une famille aux revenus modestes.
Il y a donc une disparité entre jeunes, mais aussi entre les universités. À l’université Paris I, le nombre de néobacheliers avec mention accueillis progresse significativement. À l’inverse, la part de ceux qui sont âgés de plus de 19 ans diminue. En revanche, l’université d’Évry, elle, voit diminuer sa part de néobacheliers généraux, ainsi que celle de bacheliers ayant été reçus avec mention.
On pourrait aussi évoquer les bacheliers des filières professionnelles, qui accèdent de plus en plus rarement à la licence, leur nombre dans les filières sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) étant en baisse notable.
Certains diront sans doute que nous faisons une lecture idéologique de Parcoursup et de ses algorithmes. Adoptons donc une lecture pragmatique et voyons si la plateforme assure la régulation des métiers dont notre société a besoin. En réalité, tel n’est pas le cas non plus !
Le récent rapport de notre collègue Catherine Deroche et de la commission d’enquête sénatoriale sur la situation de l’hôpital a montré, par exemple, que les candidats à l’entrée en instituts de formation en soins infirmiers étaient près de 690 000 en 2021, contre 180 000 il y a quatre ans, à l’époque où existait le concours. De quoi résorber la pénurie de soignants que nous connaissons aujourd’hui ? Au contraire ! On connaît actuellement un taux d’abandon sans précédent au cours de la formation, qui alimente la pénurie.
La trop faible mixité dans certaines filières et la ségrégation sociale à l’œuvre constituent un problème qui dépasse largement la seule éthique. Par exemple, 2 000 bacheliers titulaires du baccalauréat technologique sciences et technologies de la santé et du social (ST2S), soit tout de même plus de 20 % des effectifs de ce bac, se sont trouvés exclus en 2019, via Parcoursup, de la formation d’infirmiers à laquelle ils s’étaient pourtant destinés en choisissant, précisément, ce baccalauréat. Combien d’autres ont connu le même sort depuis ? Ils nous manquent aujourd’hui, notamment dans les hôpitaux.
Il en est de même pour ce qui concerne les études de médecine. Nous ne résorberons pas les déserts médicaux qui gagnent nos villes moyennes et nos zones rurales tant qu’accéderont à ces études quasi exclusivement des jeunes issus de filières scientifiques, ayant obtenu leur bac avec mention « très bien » et grandi dans des métropoles ou des villes universitaires.
La démocratisation de l’enseignement supérieur est donc une nécessité pour répondre aux besoins de notre pays, tout comme l’investissement massif dont il doit bénéficier.