Intervention de Jean Hingray

Réunion du 14 novembre 2022 à 21h30
Bilan de la plateforme parcoursup — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Jean HingrayJean Hingray :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, combien d’entre vous sont des parents ou des grands-parents inquiets face au désespoir de leurs enfants ou petits-enfants, confrontés à la difficulté de faire des choix pour leur avenir ?

Je partagerai ici le vécu de deux jeunes.

Antoine, 20 ans, a formulé en 2020 neuf vœux au total. Au premier soir des réponses, il n’a reçu aucune réponse favorable. Il a dû attendre quelques semaines avant d’en recevoir une première. Cette situation angoissante a été résolue quelques jours avant le début des épreuves du baccalauréat ; il a été chanceux. Mais combien d’étudiants subissent à la fois le stress des épreuves du baccalauréat et le stress des admissions Parcoursup ?

Lisa, 17 ans, qui a obtenu en 2022 d’excellents résultats au bac, souhaite suivre une double licence en droit et sciences politiques à Rennes, une ville qui n’est pas dans son secteur. Elle a été classée deux millième sur la liste d’attente !

L’accès à l’enseignement supérieur cristallise de nombreuses inquiétudes et incompréhensions. Au-delà des interrogations immédiates sur la formation souhaitée ou l’organisation de la vie étudiante se pose la question plus large de l’avenir de nos jeunes. Ils ont parfois le sentiment de faire des choix importants sans pour autant maîtriser tous les paramètres de leurs décisions.

Pour tenter de répondre à ces enjeux, Parcoursup a été mis en place en 2018, en remplacement du dispositif Admission post-bac (APB). Depuis son lancement, de nombreux élus, notamment au Sénat, ont interpellé le Gouvernement sur les difficultés rencontrées par les élèves et leurs professeurs lors de son utilisation, sur l’opacité des algorithmes de la plateforme ou encore sur l’anxiété provoquée par la procédure en ligne. En septembre 2022, ce sont 82 % des bacheliers qui déclaraient avoir trouvé la procédure trop stressante. Bref, après quatre années d’existence, le système demeure trop peu compréhensible et difficilement lisible.

Si l’on ne regrette pas les écueils d’APB, comme le tirage au sort ou encore les files d’attente devant les facultés – le premier arrivé était le premier inscrit –, il faut convenir que le dispositif Parcoursup et, plus largement, l’orientation de nos élèves de terminale doivent être repensés.

Tout d’abord, l’accompagnement à l’orientation est la clé de voûte de la réforme du lycée, mais le parent pauvre de l’éducation nationale. Avant même que les élèves ne s’inscrivent sur la plateforme, nous constatons un déficit de formation des professeurs, alors même que ce sont eux qui ont la charge d’accompagner leurs élèves dans leur orientation.

Selon la Cour des comptes, de nombreux proviseurs et professeurs principaux déclaraient en 2020 n’avoir reçu aucune formation spécifique pour exercer leur mission d’orientation.

Les récents modules mis en place par les rectorats à la suite de la loi ORE portent principalement sur des points pratiques, et ce au détriment de l’accompagnement et du conseil aux élèves dans leurs choix de formation et de métier. Faire de l’orientation une matière à part entière, avec des accompagnants spécifiquement formés, peut être une piste de réflexion pour obtenir davantage d’efficacité.

Ensuite, les heures destinées à l’orientation, intégrées à la dotation horaire globale, servent trop souvent d’heures d’ajustement pour l’enseignement des spécialités : une fois les heures de spécialités et d’options posées, il ne reste quasiment plus rien pour faire de l’orientation.

Ce système renforce les inégalités territoriales entre les établissements qui ont une culture de l’orientation et ceux qui sont moins mobilisés sur ces problématiques. Il peut également être source d’inégalités sociales et favoriser l’émergence de coachs privés en orientation.

Le passage du système APB à Parcoursup a fait passer les élèves d’une logique d’affectation à une logique de classement.

Alors qu’APB demandait à chaque lycéen un classement a priori de ses vœux pour l’enseignement supérieur, Parcoursup met fin à ce système de hiérarchisation dès le début de la procédure. Le lycéen doit désormais effectuer de nombreux choix, sans pouvoir indiquer ses préférences. Son affectation semble davantage dépendre de sa place dans le classement de chaque formation que de son projet d’orientation ou de sa motivation.

Parcoursup a conduit à la mise en place de plus de 15 000 algorithmes remplaçant des critères objectifs, nationaux et non académiques. En l’absence d’harmonisation nationale, comment distinguer deux dossiers scolaires construits par des enseignants différents, dans des établissements différents et selon des critères différents ?

Les fortes disparités entre les lycées conduisent certaines formations à prendre en compte le lycée d’origine des candidats pour effectuer leur classement, sans que l’objectivité de la méthode soit garantie. Nous sommes donc en droit de nous interroger sur la pertinence de certains critères d’évaluation.

Toujours selon le rapport de la Cour des comptes, il apparaît également que l’information des candidats sur les critères de classement des formations auxquelles ils prétendent n’est pas complète. Les attendus publiés ne semblent pas toujours correspondre aux critères retenus par les commissions d’examen des vœux. Souvent, ces dernières utilisent des outils informatiques d’aide à la décision pour effectuer un préclassement des étudiants. Il convient donc de rendre publics les algorithmes utilisés afin que le dispositif soit plus transparent.

L’instauration de cette nouvelle procédure a entraîné un surcroît de travail très significatif pour les équipes de l’éducation nationale, qui doivent souvent effectuer des opérations administratives sans aucune plus-value pédagogique. Dans l’enseignement supérieur, ce sont des milliers d’enseignants qui examinent des dossiers, pour plus de 15 000 formations.

Enfin, Parcoursup n’a pas permis de réfléchir à des solutions pérennes face au défi que représente la massification de la population étudiante et à la nécessité d’accueillir ces nouveaux bacheliers dans de bonnes conditions. En cinquante ans, cette population est passée de 20 % à 79 %, soit autant de candidats potentiels voulant légitimement accéder à des études supérieures.

Alors que l’on nous annonce la mise en place du nouveau dispositif trouvermonmaster.gouv.fr, pour les étudiants postulant en master 2, nous sommes inquiets : celui-ci va-t-il suivre la même logique que Parcoursup ?

Quatre ans après la mise en œuvre de Parcoursup, les bénéfices de la nouvelle procédure d’orientation sont difficiles à évaluer.

Aujourd’hui, le taux d’échec à l’issue d’une première année d’études post-bac reste très élevé et concerne près d’un étudiant sur deux, particulièrement dans les filières non sélectives. Aussi, nous nous félicitons de la mise en place d’une mission d’information sur le dispositif Parcoursup, dont nous suivrons attentivement les travaux et les conclusions.

Madame la ministre, l’éducation nationale ne devrait-elle pas aider les jeunes à trouver leur voie, plutôt que les forcer à emprunter des voies sans issue ?

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