Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 15 novembre 2022 à 14h30
Établissement d'une paix durable entre l'arménie et l'azerbaïdjan — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Nous seulement tout abandon ferait peser sur nous un sentiment de honte, mais, plus encore, il devrait nous inspirer un sentiment de crainte, et même de peur.

Et là, je veux dire qu’il y a deux poids, deux mesures : la Russie viole le droit international, viole la souveraineté de l’Ukraine, viole le droit de la guerre et est, à ce titre, justement condamnée et sanctionnée ; en revanche, rien de tel pour l’Azerbaïdjan, rien de tel pour la Turquie !

Des crimes de guerre ont été commis en Ukraine, mais également en Arménie. Dans un cas, ces crimes font l’objet de poursuites ; dans l’autre, rien ne se passe.

Mes chers collègues, ce « deux poids, deux mesures » est une véritable honte ! Qu’est-ce que cela signifie ? Que la souveraineté de l’Arménie vaudrait moins que celle de l’Ukraine ? Que les vies arméniennes valent moins que les vies ukrainiennes ? Que les souffrances des uns valent moins que les souffrances des autres ? Bien sûr que non !

Pis encore, lorsque la présidente de la Commission européenne s’est rendue à Bakou pour signer un accord gazier, alors que le gaz russe est frappé de sanctions, où étaient les belles âmes et les grandes consciences pour protester ?

Finalement, pourquoi ce silence ? C’est un scandale moral que seules peuvent justifier à la fois une forme de cynisme et une forme de relativisme de la part d’une Europe oublieuse de ses valeurs, de ses principes, oublieuse aussi de ses propres racines.

Mes chers collègues, si ce sentiment de honte nous est étranger, alors peut-être qu’un sentiment de crainte, de peur, pourrait nous saisir. Quel est-il, ce sentiment ? On le voit bien, le contexte, l’équilibre géopolitique de l’Europe est ébranlé par l’impérialisme russe sur son flanc Est. Eh bien, demain, ce même équilibre géopolitique pourrait l’être aussi par un autre impérialisme, celui de la Turquie, cette fois-ci sur son flanc Sud.

Que ferons-nous alors ? Car, là encore, n’en doutez pas un seul instant, ce conflit n’est pas un conflit local : il s’inscrit dans une stratégie turque globale visant à reconstituer un grand ensemble néo-ottoman, un ensemble panturc. C’est d’ailleurs ce que dit et répète à l’envi – il suffit de l’écouter – le président de la Turquie, M. Erdogan, quand il déclare que, si l’Azerbaïdjan et la Turquie sont deux États, ils constituent en réalité une seule et même nation. Je le répète, ce n’est pas moi qui le dis, c’est M. Erdogan !

Ce plan qu’il déroule avec son allié azéri comprend trois étapes : d’abord, attaquer le Haut-Karabagh, pour tenter de le vider de sa population, d’en effacer toute trace d’arménité ; ensuite, transpercer de part en part l’Arménie grâce à un couloir qui relierait le Nakhitchevan, en territoire azéri, à la Turquie ; enfin, effacer de la carte de l’Europe la nation, le peuple et l’État arméniens.

Ce qui fait la singularité tragique de l’Arménie, c’est que son peuple porte à jamais la marque indélébile du génocide.

Que voulons-nous faire ? Quels choix s’offrent à nous ? Devant quelle alternative sommes-nous placés ?

Le premier choix serait de ne pas choisir, de ne rien faire, comme à l’habitude. Ce serait un choix funeste, ce serait en réalité, comme l’avait dit un jour Churchill, le choix du déshonneur et de la défaite : du déshonneur, parce que nous ne serions pas à la hauteur de nos principes, pas à la hauteur de notre histoire ; de la défaite, parce que, face à la Turquie et à l’Azerbaïdjan, qui ne raisonnent qu’en termes de rapport de force, que croyez-vous qu’il arrivera demain en Méditerranée orientale ? Voyez ce qui se passe avec la Grèce ! Car cet espace géographique concerne l’Europe non seulement comme continent, mais également en tant qu’Union européenne. C’est la raison pour laquelle je parle non seulement de déshonneur, mais aussi d’une probable défaite, demain.

Il existe un autre chemin, celui du courage, que nous vous invitons à suivre avec le vote de cette proposition de résolution. Emprunter ce chemin, c’est montrer à l’Arménie notre solidarité plutôt que notre passivité, notre fermeté plutôt que de laisser aller les choses comme nous les avons souvent laissées aller.

Bien entendu, cette réaction doit aller de pair avec l’adoption de sanctions, par exemple le gel des avoirs des dirigeants, notamment azéris, ou un embargo sur le pétrole et le gaz. Mais, monsieur le ministre, ces sanctions doivent également s’accompagner d’une action diplomatique et politique résolue de la France, notre pays, en raison notamment de ses liens d’amitié avec l’Arménie.

D’abord, tous les prisonniers arméniens doivent être rapatriés sur le sol arménien. Ensuite, il faut convoquer le Conseil de sécurité des Nations unies pour que soit saisie la Cour pénale internationale et que les crimes de guerre ne restent pas impunis. Par ailleurs, la France doit agir diplomatiquement en faveur de la création non pas d’une force d’observation – ces deux mots sont antinomiques –, mais plutôt d’une mission d’interposition sur le sol du Haut-Karabagh et de l’Arménie. Enfin, et ce n’est pas le moins important, la France doit aider les Arméniens en leur fournissant des armes défensives.

Mes chers collègues, pour conclure, je veux rappeler que, grâce à Jacques Chirac, la France est le premier pays à avoir reconnu le génocide arménien, et, monsieur le président, c’est au Sénat qu’avait été votée en première lecture, voilà vingt ans, la loi relative à cette reconnaissance.

Il y a deux ans, le Sénat a été la première assemblée parlementaire d’Europe et du monde à voter, à l’unanimité moins une voix, une résolution similaire à celle-ci, un signal autant qu’un geste à l’attention du peuple arménien.

Aujourd’hui, l’Arménie appelle de nouveau la France à son secours. Soyons fidèles à ce sentiment d’amitié, à notre histoire, à nos principes, à ce lien multiséculaire qui nous unit à ce grand peuple d’Arménie, peuple courageux d’une petite nation, mais une grande nation sentinelle d’une belle civilisation. Les liens qui nous unissent à ce pays ont traversé les générations, ont traversé les siècles ; ils tiennent tout autant par notre amitié que par ce que nous représentons les uns pour les autres.

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