Intervention de Valérie Boyer

Réunion du 15 novembre 2022 à 14h30
Établissement d'une paix durable entre l'arménie et l'azerbaïdjan — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Valérie BoyerValérie Boyer :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est une nouvelle fois avec émotion, inquiétude et même colère que je prends la parole dans cet hémicycle.

Le 29 janvier 2001, le président Chirac promulguait la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 ; onze ans plus tard, la Haute Assemblée votait le texte que je défendais à l’Assemblée nationale pour assurer la pénalisation du négationnisme.

Reconnaître un crime de génocide, c’est rouvrir les pages sombres de notre histoire commune, qu’il s’agisse des Arméniens massacrés ou de l’industrialisation de la mort, avec comme objectif l’anéantissement d’un peuple. C’est redécouvrir la passivité mondiale face à des régimes sanguinaires et même génocidaires.

Ces souvenirs auraient dû nous imposer une plus grande vigilance, pour que plus aucun peuple ne subisse ces horreurs, pour que les victimes de cette haine soient définitivement protégées.

À cet égard, je tiens à saluer la diplomatie parlementaire. En 2020, sous l’égide de Gérard Larcher, de Bruno Retailleau et de tous les présidents de groupe de cette assemblée, nous avons voté la reconnaissance de l’Artsakh.

En effet, dès septembre 2020, les Arméniens ont dû de nouveau compter leurs morts, les corps mutilés par les bombes au phosphore et les bombes à fragmentation au Haut-Karabagh, lors d’une guerre asymétrique qui a fait tant de morts.

Malgré nos alertes, malgré les votes des deux assemblées, malgré les cris des Arméniens, notre gouvernement a préféré la neutralité ; il prouve encore aujourd’hui sa passivité, comme l’a souligné le président Retailleau.

Pendant la guerre des 44 jours, le ministre des affaires étrangères prônait la neutralité. Aujourd’hui, il semble indifférent à l’appel du Sénat. À quoi cela sert-il de proclamer, le 24 avril, une journée nationale pour se cantonner aujourd’hui dans la neutralité ? Soyons cohérents.

La communauté internationale s’est elle aussi réfugiée dans le mutisme et la passivité, tandis qu’à Bakou, le 10 décembre 2020, le président Erdogan rendait hommage à Enver Pacha, ministre de la Guerre en 1915 et architecte du génocide, en s’engageant à poursuivre son œuvre ; comme si le drame des Arméniens devait encore se répéter.

Désormais, face à la passivité de la communauté internationale, pleinement mobilisée, à juste titre, par l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, s’attaque non plus à l’Artsakh, mais à la République souveraine d’Arménie.

Plus de 200 personnes, soldats arméniens et civils, ont été massacrées en quelques heures, s’ajoutant aux plus de 6 500 morts déplorés lors de la guerre des 44 jours, en 2020. Les crimes de guerre sont fièrement exhibés sur la toile par des militaires azerbaïdjanais se filmant dans leurs œuvres de viol, de torture et de démembrement.

Toujours la même barbarie, toujours les mêmes crimes, toujours la même passivité des démocraties occidentales et, surtout, européennes : si l’histoire est un perpétuel recommencement, elle ne doit pas être un renoncement éternel. Ces crimes de guerre doivent être punis.

Ne nous y trompons pas : nous sommes bien face à une nouvelle guerre de conquête aux portes de l’Europe.

Bien sûr, depuis la chute de l’Union soviétique, se pose la question du statut de la région de l’Artsakh, territoire dont la majorité arménienne vit sous la menace permanente du nettoyage ethnique, des injures, des incursions et des opérations de terreur. Mais désormais s’y ajoute la question des frontières de la République d’Arménie.

En effet, le président autocrate Ilham Aliyev ne se contente plus de massacrer les Arméniens de l’Artsakh : il attaque le territoire de l’Arménie, État reconnu par la communauté internationale. L’Institut Lemkin pour la prévention des génocides a d’ailleurs lancé, il y a un mois, sa troisième alerte en moins d’un an.

Cette barbarie s’inscrit dans la logique génocidaire, bien présente dans le Caucase.

N’oublions pas l’arménophobie et le racisme d’État pratiqué par l’Azerbaïdjan avec le soutien de la Turquie, lequel n’a pas vocation à s’arrêter aux frontières de ce pays.

N’oublions pas que l’Europe aussi est menacée, notamment la Grèce et Chypre, occupée depuis 1974 par la Turquie. C’est précisément là qu’Aliyev et Erdogan ont fêté leur sombre victoire de 2020.

Ilham Aliyev a toujours déclaré vouloir chasser « ces chiens d’Arméniens », qu’Erdogan appelle quant à lui « les restes de l’épée », par allusion au génocide de 1915.

Alors, demandons-nous pourquoi l’Europe, qui refuse à juste titre toute compromission avec la Russie dans la guerre en Ukraine, se contente d’être spectatrice de la guerre en Arménie. La vie des Arméniens vaut-elle moins que celle des Ukrainiens ?

Rappelons-le : fin juillet, Aliyev a obtenu un blanc-seing de la Commission européenne sous la forme d’un accord gazier prévoyant le doublement des livraisons de gaz à l’Europe. Ursula von der Leyen voit d’ailleurs en Aliyev un « partenaire fiable et sur lequel on peut compter ». Quelle indécence ! J’invite la présidente de la Commission à se rendre, comme nous, sur les tombes de nos alliés arméniens et de leurs enfants massacrés.

L’Azerbaïdjan est dirigé depuis plus de trente ans par le clan Aliyev, qui pratique la diplomatie de la menace et qui est à la tête de la caviar connection. Ce pays, qui enferme volontiers les journalistes, a comme ami un membre de l’Otan, à savoir la Turquie ; de quel droit l’invite-t-on à la table des négociations, malgré le sang que ses dirigeants ont sur les mains ?

Mes chers collègues, cette guerre témoigne de la lâcheté des nations occidentales, qui, s’abritant derrière le principe de neutralité, n’ont jamais clairement défendu la position de l’Arménie.

Comment a-t-on pu abandonner cette terre emblématique des chrétiens d’Orient, qui essaient d’y survivre au milieu d’un environnement hostile ?

Au nom des valeurs qui sont les nôtres et pour lesquelles nous défendons l’Ukraine, il faut sauver l’Arménie.

Notre tradition universaliste et humaniste de défense des droits de l’homme, de lutte contre les discriminations et de protection des libertés fondamentales exige que nous, parlementaires, soutenions les Arméniens.

Aussi, je vous invite à voter massivement cette proposition de résolution, au-delà de tous nos clivages politiques.

Souvenons-nous de l’Évangile selon Saint-Luc : « S’ils se taisent, les pierres crieront. »

Aujourd’hui, les églises d’Arménie sont détruites l’une après l’autre. Les traces de la culture arménienne sont systématiquement effacées.

Nous ne pouvons pas laisser les Arméniens dans leur solitude. Il faut geler les avoirs azerbaïdjanais. Il faut exiger des sanctions contre l’Azerbaïdjan. Soyons au rendez-vous de l’histoire au lieu de verser des larmes de crocodile : après, il sera trop tard. Préservons l’honneur de la France en étant aux côtés des Arméniens : les liens qui nous unissent sont vieux de plusieurs siècles !

Votons et agissons pour que les Arméniens puissent enfin vivre libres, en paix et en sécurité sur leurs terres : nous n’avons que trop tardé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion