Intervention de Sabine Drexler

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 15 novembre 2022 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2023 — Crédits « patrimoines » - examen du rapport pour avis

Photo de Sabine DrexlerSabine Drexler, rapporteur pour avis sur les crédits des patrimoines :

Le monde du patrimoine appréhendait le niveau des crédits en 2023 après les aides exceptionnelles dont il a bénéficié pendant la crise sanitaire. L'État maintient finalement son effort en 2023 : les crédits du programme continuent leur progression dans des proportions significatives : + 7,5 %. Il reste à espérer qu'il s'agira d'une hausse pérenne, compte tenu de la sous-dotation des crédits du patrimoine que nous constations jusqu'alors.

La moitié de cette hausse (37,4 millions d'euros) vise cependant à compenser l'inflation qui affecte le fonctionnement des opérateurs et l'activité des chantiers de restauration. Les montants sont répartis à parts égales entre ces deux enjeux.

Le directeur général des patrimoines n'a pas caché que cette enveloppe serait insuffisante pour couvrir le niveau de l'inflation. Les opérateurs devront puiser dans leurs ressources propres pour financer une partie des surcoûts de fonctionnement et d'investissement. Il est également possible que des chantiers de restauration de monuments historiques soient reportés à 2024, si leur renchérissement se révèle trop important.

Les mesures nouvelles, d'un montant de 38 millions d'euros, sont inégalement réparties entre les différentes actions du programme.

Elles sont concentrées sur les monuments historiques, les opérateurs nationaux et les moyens de l'archéologie préventive. Le Gouvernement justifie ces arbitrages par la volonté de parachever les mesures du plan de relance.

En ce qui concerne les monuments historiques, il me semble que nous pouvons nous réjouir du léger rééquilibrage des crédits entre l'Ile-de-France et les autres régions. Les crédits destinés aux grands chantiers, qui profitent habituellement principalement à l'Ile-de-France, sont en baisse en 2023. Par ailleurs, deux des trois nouveaux grands projets lancés portent sur des monuments non franciliens : la cathédrale de Nantes et l'abbaye de Clairvaux. Néanmoins, il reste à fournir des efforts conséquents pour assurer une plus grande équité territoriale.

De ce point de vue, j'avoue regretter que le ministère de la culture n'ait pas profité de ces nouveaux crédits pour corriger d'autres déséquilibres que nous signalons depuis plusieurs années.

Ainsi, les crédits destinés à la restauration des monuments historiques ou à la rénovation des équipements patrimoniaux des collectivités territoriales n'enregistrent, eux, aucune progression en 2023. Seule exception : les crédits du fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques situés dans des communes à faibles ressources, revalorisés à hauteur de 2 millions d'euros, pour un montant total de 18 millions d'euros.

Compte tenu de l'effet ciseaux auxquelles les collectivités territoriales sont confrontées, mais aussi des problèmes d'ingénierie qu'elles rencontrent, je regrette vraiment que la question des collectivités territoriales n'ait pas fait l'objet d'une attention spéciale dans ce budget, au-delà des opérations réalisées dans le cadre du plan de relance.

À cet égard, la situation des effectifs dans les services déconcentrés en charge du patrimoine me parait vraiment préoccupante. J'ai abordé cette question avec l'ensemble des personnes que j'ai auditionnées. Il apparait que les conservations régionales des monuments historiques (CRMH), comme les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) sont proches de la rupture. La progression des effectifs depuis 2013 a été sans commune mesure avec l'augmentation des charges de ces services.

La mise en oeuvre du plan de relance, la multiplication du nombre de demandes d'urbanisme suite à la crise sanitaire, ainsi que la nouvelle application de gestion déployée pour rendre possible la dématérialisation des procédures d'urbanisme, sont encore venues exacerber les tensions depuis un an.

Malheureusement, les départs à la retraite programmés de 36% des effectifs des CRMH et de 33% des effectifs des UDAP dans les trois ans à venir n'augurent rien de bon. Il faut absolument parvenir à inverser la tendance. La tâche s'avère d'autant plus délicate que ces métiers semblent souffrir d'une réelle désaffection. Ce manque d'attractivité s'explique à la fois par le manque d'attrait de la rémunération, des perspectives de carrière limitées et une dégradation de l'intérêt des missions exercées, avec une part croissante prise par les tâches d'instruction, de contrôle, de surveillance et de reporting.

Le ministère de la culture a pris plusieurs mesures afin de pallier ces problèmes d'effectifs : l'embauche de contractuels a été encouragée afin de pourvoir les postes vacants ; un concours est organisé en 2023 pour recruter une centaine d'ingénieurs et de techniciens ; un plan de rattrapage indemnitaire est en cours ; et une revue des missions a été engagée en Nouvelle-Aquitaine afin d'améliorer les conditions d'exercice des métiers.

Ces mesures méritent, à mon sens, d'être complétées par d'autres actions destinées à améliorer l'offre de formation, à promouvoir ces métiers et à revaloriser les missions des agents.

Je crains à terme pour la capacité de l'État à assumer ses missions régaliennes en matière de protection du patrimoine. Ces moyens humains sont indispensables à l'efficacité de la politique et des crédits de l'État en faveur du patrimoine.

Je ne me résous pas non plus à accepter que les services déconcentrés ne soient plus en mesure de répondre aux demandes d'accompagnement des collectivités territoriales et des particuliers, faute de personnel. Il serait dangereux, à mon sens, de sacrifier cette mission d'expertise et de conseil, qui contribue à la solidité de l'ancrage territorial du ministère de la culture et répond à une attente forte des préfets comme des élus locaux. Cela conduirait à fragiliser et à remettre en cause l'autorité des services déconcentrés : nous l'observons bien avec les architectes des Bâtiments de France.

Le second déséquilibre sur lequel je souhaite attirer votre attention, c'est la faiblesse des crédits alloués à l'architecture et aux sites patrimoniaux remarquables (SPR) en comparaison de ceux alloués au patrimoine monumental. Face à la montée en puissance des enjeux de revitalisation des centres anciens, mais aussi de transition écologique et énergétique, il me semble indispensable que le ministère de la culture s'engage davantage. Il reste aujourd'hui très en retrait sur ces questions, qui sont l'apanage du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Son association à l'élaboration de ces politiques publiques me semble primordiale afin de garantir une articulation correcte entre celles-ci et la protection du patrimoine.

J'ai choisi de vous proposer ici un gros plan sur le défi que constitue la transition écologique du patrimoine, dans la mesure où la Première ministre, Élisabeth Borne, a assigné comme priorité à la nouvelle ministre de la culture de réaliser la transition énergétique de son ministère.

Sur le volet patrimoine, l'action du ministère de la culture m'apparait encore partielle et timide. La seule traduction budgétaire de cette priorité, ce sont des crédits fléchés vers l'amélioration des performances énergétiques des bâtiments occupés par les opérateurs. Or, l'enjeu pour le ministère de la culture me semble dépasser largement ce champ, puisque la transition pourrait affecter l'aspect et la pérennité de tout le patrimoine urbain et paysager, dont le ministère est chargé d'assurer la préservation.

En effet, la loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience » crée une véritable urgence à agir, compte tenu des mesures coercitives qui frapperont progressivement les passoires thermiques dans les années à venir : gel des loyers, interdiction à la location. En dehors des monuments historiques, tout le patrimoine est assujetti à ces nouvelles obligations.

Le problème, c'est que les modalités de calcul du nouveau diagnostic de performance énergétique, qui sont désormais identiques quel que soit le type de bâti, ne permettent pas de rendre compte des performances réelles du bâti ancien et conduisent à le classer dans la catégorie des passoires thermiques. Des études montrent que ce bâti est pourtant beaucoup moins énergivore que les constructions datant de la seconde moitié du XXe siècle, notamment des Trente Glorieuses, grâce à ses caractéristiques particulières : parois perspirantes, conception bioclimatique, forte inertie thermique procurant un confort en été sans besoin de climatisation.

Il ne faudrait pas que tout ce patrimoine non protégé disparaisse progressivement ou se banalise au point de faire perdre aux différentes régions leurs caractéristiques architecturales. Et c'est le risque que font peser ces mesures, sous l'effet conjugué du « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui accroit la pression foncière, mais aussi de solutions de rénovations thermiques inappropriées, soutenues par des aides de l'État, qui ont pour effet de faire pourrir peu à peu les bâtiments de l'intérieur.

Une telle mise à sac du patrimoine me paraitrait d'autant moins légitime que je suis convaincue que la réhabilitation du bâti ancien constitue, d'un point de vue écologique, l'avenir de la construction. À la différence de la construction neuve, responsable de plus de 25 % des gaz à effet de serre dans notre pays, son empreinte environnementale est faible, puisqu'il n'est besoin que d'une faible quantité de matériaux, qui plus est durables et disponibles sans recours à l'importation.

Il est de notre devoir d'insister pour que le ministère de la culture se mobilise très fortement autour de cet enjeu.

Mon objectif n'est pas de soustraire le patrimoine aux impératifs de transition écologique. D'une part, parce que ce patrimoine représente environ 30 % du parc de logements en France et que sa rénovation constitue donc un gisement potentiel d'économies d'énergie significatif. D'autre part, parce que les occupants des logements anciens ont besoin d'améliorer leur confort thermique.

En revanche, il me semble utile de faire en sorte que les travaux de rénovation énergétique appelés à se multiplier ne se traduisent pas par la perte de patrimoine et de savoir-faire ainsi que par un gaspillage d'argent public.

À mon sens, le ministère de la culture doit agir sur plusieurs fronts :

Premièrement, il doit se mobiliser pour obtenir une modification du cadre réglementaire, avec notamment l'enjeu d'une révision urgente des modalités de calcul du DPE pour le bâti ancien.

Deuxièmement, il doit intervenir pour améliorer la formation des professionnels intervenant dans le cadre de rénovations énergétiques. La restauration du patrimoine doit devenir un axe majeur de l'enseignement dispensé au sein des écoles d'architecture. Des certifications sur le bâti ancien m'apparaitraient également primordiales pour les diagnostiqueurs, les accompagnateurs « Rénov », les maitres d'oeuvres et les entreprises spécialisées dans la rénovation thermique.

Troisièmement, le ministère doit accompagner l'enrichissement des connaissances relatives au bâti ancien et aux moyens d'améliorer ses performances énergétiques. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), ainsi que plusieurs associations de sauvegarde du patrimoine (Maisons Paysannes, Sites et Cités remarquables), essaient de rassembler depuis quelques années un maximum de données. Une solution pourrait consister à mobiliser des crédits de l'action 2 pour sélectionner, dans chaque région, un échantillon de bâtiments anciens représentatifs afin d'étudier leurs défaillances thermiques et les solutions qui seraient les plus adaptées pour y remédier.

Quatrièmement, il faut absolument soutenir l'activité de recherche des filières professionnelles en faveur de solutions de rénovation thermique compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien ou moins impactantes sur le plan visuel. Il y a aujourd'hui un problème de coût qui pousse les particuliers à se tourner vers les solutions standards qui ne sont pas adaptées. Parallèlement, il faut accompagner le développement de filières locales de production de matériaux de construction et d'isolation.

Sixièmement, le ministère de la culture doit agir pour mieux sensibiliser les différentes catégories de propriétaires aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse des caractéristiques du bâti ancien. C'est tout l'enjeu du recensement et de la diffusion de bonnes pratiques, de la publication de guides pratiques, de la nomination de référents sur les questions énergétiques dans les directions régionales de l'action culturelle (Drac) ou du renforcement de la collaboration avec les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) dans ce domaine.

Enfin, il me semble que le ministère de la culture devrait initier une réflexion autour des aides financières. Il apparait absurde sur le plan écologique qu'il soit aujourd'hui moins cher de démolir pour reconstruire que de réhabiliter. Il me semble nécessaire de mieux encadrer les aides à la démolition en les soumettant, par exemple, à la réalisation d'un diagnostic patrimonial préalable. Il faudrait aussi mettre en place des aides à la restauration patrimoniale dans les centres anciens valorisant les éco-matériaux en circuit court. La Fondation du patrimoine estime que son label pourrait se voir adjoindre un volet pour les travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien.

Évidemment, le ministère de la culture ne pourra pas mener cette bataille seul. Il est indispensable qu'un dialogue interministériel régulier se mette en place. La nomination d'un référent « patrimoine » au sein du ministère de la transition écologique pourrait contribuer à garantir une meilleure articulation entre les objectifs poursuivis par les deux ministères.

L'organisation de concertations avec les différentes parties prenantes (ministère, collectivités territoriales, acteurs du patrimoine et de la rénovation énergétique) pourrait constituer une piste pour mieux identifier les différents enjeux et les meilleurs voies et moyens pour y répondre. Après les journées européennes du patrimoine sur le thème du patrimoine durable en 2022, pourquoi pas, en 2023, des « États généraux du patrimoine durable » ? Ce serait une première étape pour permettre progressivement au patrimoine de ne plus être l'otage de la transition écologique, mais bien l'un des leviers de la sobriété énergétique.

Pour le reste, et compte tenu de l'augmentation significative des crédits, je vous propose d'émettre un avis favorable à leur adoption.

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