Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs membres de la Commission des affaires européennes, Mesdames et Messieurs, merci de m'avoir donné l'opportunité d'être parmi vous ce matin, c'est un honneur pour moi. Je vous remercie aussi pour votre visite en Espagne, dont je sais qu'elle a été positive et fructueuse. Je m'en réjouis.
La diplomatie parlementaire est, aujourd'hui, tout aussi importante que la diplomatie gouvernementale traditionnelle. Elle nous permet d'aborder des sujets qui ne sont pas forcément dans l'agenda politique plus immédiat.
Cela nous permet aussi d'élargir la relation bilatérale, d'une manière souvent plus large et apaisée. Dans le cas de la France et de l'Espagne, c'est d'autant plus important que nos relations vont bien au-delà du voisinage ; je dirais qu'il s'agit d'une communauté d'intérêts et de valeurs partagés, depuis des décennies et surtout depuis notre accession à l'Union européenne en 1986.
Je remercie les autorités françaises, et particulièrement le Parlement, pour la réussite de la Présidence française de l'Union européenne (PFUE), qui a eu lieu dans des circonstances très difficiles, entre l'après-pandémie et les élections présidentielle et législatives.
L'Espagne est pleinement déterminée à réussir aussi bien sa présidence, après la République tchèque et la Suède, au deuxième semestre 2023, qui marquera en effet la fin opérationnelle de la législature européenne avant les élections législatives de mai 2024. Il appartiendra donc à l'Espagne d'achever un grand nombre de dossiers, ce pour quoi le contact avec les présidences précédentes, et la collaboration avec la France en particulier, est une richesse indispensable.
La pandémie du covid-19, avec ses conséquences économiques et sociales, et l'invasion russe de l'Ukraine ont souligné la nécessité de se préparer à la gestion des crises et d'intégrer la résilience aux programmes des présidences du Conseil de l'Union européenne.
La présidence espagnole devra aussi se projeter dans le plus long terme pour peser sur les travaux de la prochaine Commission. L'Espagne accueillera 22 réunions ministérielles informelles, ainsi que plus de 300 événements techniques, culturels et de participation citoyenne. L'Espagne accueillera aussi un sommet entre l'Union européenne et la Communauté d'Etats latino-américains et caraïbes (UE-CELAC) en vue de faire avancer les accords commerciaux, le programme d'investissements de la stratégie européenne « Global Gateway », et un mécanisme de dialogue institutionnel permanent.
L'invasion russe de l'Ukraine accélère la nécessaire transition énergétique. Le développement des énergies renouvelables, la diversification des fournisseurs d'hydrocarbures et la nécessaire interconnexion énergétique de l'Europe marqueront l'agenda les années à venir.
La définition des priorités du programme de la présidence espagnole avance à bon rythme. Elle mettra l'accent sur : l'autonomie stratégique ouverte ; la reprise économique ; la sécurité énergétique ; la double transition écologique et numérique, qui doit être inclusive ; les valeurs européennes ; le pilier social ; les défis institutionnels pour l'Union européenne.
Pendant notre Présidence, nous continuerons à miser sur l'Amérique latine et les pays du voisinage sud, afin qu'ils jouent le rôle qu'ils méritent dans la politique étrangère européenne.
Vous avez parlé du « mécanisme ibérique ». Nous avons beaucoup parlé d'énergie, de la montée des prix de l'énergie et de l'inflation ces derniers mois, depuis l'invasion russe de l'Ukraine, il y a plus de 250 jours. Après avoir cru être tirés d'affaires après la crise sanitaire, nous sommes à nouveau dans une situation extrême et inattendue ; malheureusement, ce sont ces crises-là qui font le plus convertir à la cause européenne, car nos citoyens constatent que chaque pays individuellement ne peut pas les surmonter.
Dans ce contexte, l'Espagne et le Portugal ont mené un double combat au sein des institutions européennes, afin de briser leur isolement énergétique et d'adapter les plafonds du prix de l'énergie à la situation ibérique.
Par le décret-loi royal 10/2022 du 13 mai, l'Espagne a instauré le « mécanisme ibérique », qui établit temporairement un mécanisme d'ajustement des coûts de production pour réduire le prix de l'électricité sur le marché de gros. La Commission européenne a approuvé ce mécanisme le 8 juin 2022. Il restera en vigueur pendant un an, à compter du 15 juin 2022.
Grâce à ce « mécanisme ibérique », le prix final de l'électricité pour les consommateurs en Espagne (et au Portugal) est inférieur à ce qu'il aurait été sinon. Les conclusions du Conseil européen des 20 et 21 octobre appellent à un plafonnement temporaire du prix du gaz utilisé pour la production d'électricité au niveau européen. C'est le coeur du « mécanisme ibérique ». La position française y est favorable, avec un prix plafond du gaz - très élevé, selon l'Espagne - de 180 euros/MWh. Nous estimons que, pour que le mécanisme découple efficacement le prix du gaz du prix de l'électricité, le prix maximum du gaz pour la production d'électricité doit être fixé suffisamment en-dessous du prix actuel du gaz sur le marché.
La crise que nous vivons nous a montré l'importance de l'autonomie stratégique de l'Europe, la nécessité de réduire nos dépendances - comme l'a dit récemment le Président Macron - et, ajouterais-je, la nécessité d'être interconnectés à l'échelle européenne. C'est une demande de longue date de la part de l''Espagne, pour sortir d'un isolement historique qui l'a parfois empêchée de se rapprocher du coeur de l'Europe, à conditions égales. Nous avons beaucoup parlé du gazoduc « Midcat », mais ce débat porte aussi sur le trafic ferroviaire, maritime, ainsi que sur les routes et les autoroutes entre nos deux pays.
Le « Midcat » a finalement été laissé de côté au profit d'un nouveau type de connexion et de trafic, celui de l'hydrogène « vert », avec un pipeline sous-marin entre Barcelone et Marseille. Nous devons nous réjouir de cette initiative, mais sans perdre de vue l'importance d'éléments plus immédiats, dans l'espace et dans le temps, comme la réouverture, demandée par l'Espagne, des passages frontaliers aux Pyrénées. Huit d'entre eux demeurent fermés côté français, empêchant un exercice normal de la liberté de circulation dans l'espace Schengen.
Je voudrais également vous parler de la situation économique et sociale complexe - comme vous avez pu le constater - qui reflète bien ce qui arrive au reste de l'Europe : la montée des prix touche de plein fouet les plus vulnérables, délite notre classe moyenne et atteint nos travailleurs et travailleuses dans leur quotidien.
C'est pourquoi nos citoyens se tournent vers leur gouvernement pour chercher des réponses à des situations dont ils ne sont certainement pas responsables, d'où l'importance des institutions, nationales comme européennes, des aides d'État, des allocations, du fonds Next Generation EU, et de la solidarité intra-européenne, afin de ne pas gripper l'économie, de ne pas alourdir les coûts de production au-delà du raisonnable, tout en essayant de sauvegarder l'emploi et le pouvoir d'achat des foyers.
Ce n'est pas une tâche facile. Cela demande un certain consensus politique. Cela exige que les partis représentés au Parlement agissent en responsabilité, politique comme institutionnelle, conscients de la gravité de l'heure que nous vivons. Cela demande aussi que certaines grandes entreprises prennent leur part de l'effort, même si cela implique de gagner un peu moins. Le dialogue social est clé dans de telles situations. La France est toujours un exemple dans ce domaine.
Mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, l'Europe est mise à l'épreuve comme jamais depuis la chute du mur de Berlin. 1989 nous a permis d'élargir notre horizon historique ; 2022 nous oblige à agir vite et unis. Les circonstances imposent désormais des accords, des réformes, une accélération dans la gestion des dossiers, de la créativité politique, au-delà des différences.
Nous ne savons pas combien de temps cette situation va durer, mais nous savons que l'Europe ne sera plus la même. Ce sera une Europe triomphante face à des menaces existentielles, face à ses propres faiblesses. Ce sera aussi l'occasion de renforcer les liens avec ses voisins transméditerranéens et transatlantiques. N'ayons pas peur de nous rapprocher davantage de ces pays amis, toujours dans le respect mutuel des règles du jeu, de respect de nos valeurs respectives, de nos intérêts et nos différences. Si nous ne le faisons pas, d'autres le feront.
Je vous remercie, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de la commission, et reste à votre disposition pour toute question que vous souhaiteriez me poser.