Un grand merci pour ces questions très pertinentes et difficiles.
S'agissant des prix de l'énergie, l'Allemagne n'a pas encore pris de décision sur les modalités d'aides aux ménages et aux entreprises. La commission indépendante sur le gaz, incluant des universitaires, des experts, mais également des représentants politiques et syndicaux, a insisté sur la nécessité d'aider les ménages et les entreprises mais également d'encourager aux économies d'énergie. Au lieu de subventionner les prix, la commission a proposé de couvrir la facture de gaz du mois de décembre puis de subventionner à partir du mois de mars 80 % de la consommation de l'année précédente. En revanche, chaque mégawatt supplémentaire consommé sera pénalisé. C'est un mécanisme qui encourage à la réduction de la consommation de façon substantielle.
Les ménages et l'industrie allemandes consomment beaucoup moins que l'année dernière, en réaction aux prix élevés. La baisse est à peu près de 20 %. L'Allemagne a ainsi utilisé l'instrument du marché pour forcer à un nécessaire changement de la consommation allemande, les livraisons de l'étranger ne pouvant être suffisantes. C'est un grand soulagement pour le marché européen du gaz. Si l'Allemagne consommait comme l'année dernière, le marché unique du gaz en serait lourdement affecté.
Beaucoup d'industriels allemands craignaient que la baisse de la consommation entraîne une baisse significative de la valeur ajoutée. Cette crainte ne s'est pas confirmée. Nous avons pu réduire la consommation sans que la production en soit négativement affectée.
Le Parlement allemand discute en détail des moyens d'adapter les propositions de cette commission d'experts sur le gaz. Je ne crois pas que des décisions définitives aient déjà été prises pour l'année prochaine. Le débat porte notamment sur l'opportunité d'introduire ce système pour le mois de février ou pour celui de mars. Mais toute la classe politique s'accorde sur la nécessité de réduire les incitations à consommer et de veiller à ne pas subventionner le prix.
À moyen terme, la stratégie de l'Allemagne pour sa transition écologique repose sur le développement de ses énergies renouvelables. Il existe un consensus pour mettre en place le Pacte vert européen, réduire la consommation des énergies fossiles, augmenter le poids du renouvelable et développer l'hydrogène vert. Le nucléaire ne joue aucun rôle à moyen ou long terme dans cette stratégie, depuis la décision prise par Angela Merkel après la catastrophe de Fukushima. Vous avez raison de souligner que le plan allemand prévoit des importations d'hydrogène vert. Cela passe par des projets de subvention à l'échelle européenne, qui doivent être approuvés par la Commission européenne.
S'agissant de l'Ostpolitik, d'importantes discussions ont actuellement cours sur les échecs de cette politique. Les verts, les libéraux et une partie significative des sociaux-démocrates sont convaincus que le rapprochement de l'Allemagne avec la Russie a été une grande erreur. Nous avons compris que la sécurité de notre continent ne peut être garantie que contre la Russie et non avec la Russie. C'est un changement notable d'attitude. Les discussions sont assez vives sur les erreurs des époques des chanceliers Schröder et Merkel.
Je ne pense pas que la population allemande soit favorable à une entrée à court terme de l'Ukraine dans l'Union européenne. La priorité est de s'assurer que l'Ukraine gagne cette guerre. C'est d'une importance centrale pour la France et l'Allemagne et cette urgence devrait être encore plus affirmée. Un conflit permanent en Ukraine pèserait sur toute l'Union européenne.
L'intégration de l'Ukraine à l'Union européenne n'est aujourd'hui qu'une question théorique. Si l'Ukraine gagne la guerre, plusieurs années seront nécessaires pour reconstruire le pays et pour lui permettre de remplir les critères d'accession à l'Union européenne, notamment s'agissant du respect de l'État de droit, de la lutte contre la corruption ou de la convergence économique. L'opinion publique allemande sait le défi que cette intégration représenterait pour l'Ukraine. Le chemin est encore long !
La communauté politique européenne est selon moi un rassemblement assez informel, dont le but premier est d'envoyer un signal d'unité contre la Russie. 44 chefs d'État étaient réunis pour la première réunion à Prague, ce qui a permis de présenter un front uni. Il paraît cependant difficile que cette communauté prenne des décisions concrètes. En matière de sanctions, d'énergie ou de sécurité, les mécanismes existent au niveau de l'Union européenne. Or, il ne pourrait y avoir une concurrence entre l'Union européenne, qui a des responsabilités dans ces matières, et un groupe de chefs d'État, qui n'a pas de légitimité pour prendre des décisions sur ces sujets. À mon avis, cette communauté a vocation à assurer une coordination entre les pays, à permettre des discussions ouvertes et à donner un signal à la Russie plutôt qu'à évoluer vers une nouvelle institution.
S'agissant de la Chine, j'ai publié un article récemment dans le Financial Times sur la visite du chancelier Scholz à Pékin. Celle-ci intervient trop tôt. En outre, il aurait été nécessaire de transmettre trois messages essentiels.
Le premier est d'insister sur la sécurité européenne. Si la Chine aide la Russie de façon plus significative qu'aujourd'hui, par exemple via des livraisons d'armes, les conséquences doivent être immédiates s'agissant de la relation économique Europe-Chine. L'Union européenne ne peut pas accepter que la Chine soutienne la Russie.
Le deuxième message devrait être de rappeler que les questions de commerce et d'investissement sont des questions devant se traiter à l'échelle de l'Union européenne. C'est à l'Union européenne de négocier avec la Chine sur le commerce et les investissements. L'Allemagne ne devrait pas accepter une politique chinoise qui essaie de diviser l'Union européenne, comme cela a été le cas avec la coalition économique inacceptable qu'a tenté de mener la Chine contre la Lituanie.
Le troisième message est de préparer les entreprises allemandes au cas d'une escalade des tensions géopolitiques entre les États-Unis et la Chine ou entre l'Europe et la Chine. Les entreprises peuvent faire du commerce avec la Chine mais elles doivent être prêtes à ce que ce commerce s'arrête brutalement s'il y a une escalade des tensions.