Nous n'y manquerons pas...
La guerre en Ukraine impose une LPM de renouveau. Nous aurons déjà au moins un an de retard lorsqu'elle sera promulguée, alors que nombre de nos partenaires ont annoncé un effort conséquent dès l'après-24 février. Notre modèle d'armée reste structuré autour de la dissuasion nucléaire et de forces expéditionnaires. Ce modèle doit être complété pour tenir compte de la possibilité, désormais avérée, d'une guerre de haute intensité en Europe.
D'éventuels arbitrages défavorables sur de grands programmes, dont la presse se fait écho, remettraient sérieusement en cause l'ambition affichée d'une « économie de guerre ». Je vous donne un exemple : l'an dernier, dans le cadre d'une mission à Madrid, nous avions évoqué avec les Espagnols le projet de modernisation du Tigre 3, afin de pallier les carences allemandes sur ce sujet ; si les assertions de la presse se révèlent exactes et que le Tigre 3 est effectivement abandonné par la France pour des raisons budgétaires, nous aurons bonne mine d'avoir sollicité les Espagnols.
Alors qu'on s'attendrait à une accélération, on n'entend en effet parler que de recherche d'économies, ce qui est pour le moins paradoxal. Il est d'ores et déjà acquis que plusieurs capacités n'atteindront pas le jalon 2025 fixé par la LPM : le format Rafale air, en raison de l'export croate ; les frégates de défense et d'intervention, en raison de l'export grec ; ou encore l'Eurodrone - annoncé aujourd'hui pour 2030, alors que sa livraison était prévue pour 2025 -, le système de drones tactiques et les véhicules blindés légers régénérés.
Un effort particulier doit, en outre, être rapidement entrepris sur nos lacunes qui sont connues : dans le domaine des camions de transport, des moyens de déminage et de franchissement, en matière de défenses sol-air, de suppression des défenses aériennes adverses et, bien sûr, concernant les drones, domaine dans lequel nous accusons un retard considérable.
Des acquisitions sur étagère se révèleront probablement inéluctables ; encore faut-il bien en examiner les conséquences sur notre souveraineté.
Dans un désordre qui en dit long, un accord entre industriels est annoncé concernant le Scaf. Au-delà des effets d'annonces, le Gouvernement doit donner des garanties sur la préservation d'un certain nombre d'intérêts stratégiques de la France. L'amendement adopté par la commission des finances sera l'occasion de le rappeler. Les besoins de nos armées devront être pris en compte - dissuasion et navalisation -, de même que la protection de la propriété intellectuelle. Les règles d'exportation doivent être clarifiées.
En effet, des voix s'élèvent en Allemagne en faveur d'une européanisation de ces règles d'exportation, qui entraînerait des risques de blocage de certains programmes. Les mêmes sujets de protection de la propriété intellectuelle et de contrôle des exportations se posent pour les projets soutenus par le Fonds européen de la défense (FED). Compte tenu des financements européens sur un certain nombre de projets, la question va se poser significativement.
La LPM sera le moment de vérité. Dans l'attente, sous réserve de ces observations et sans être naïf sur les tours de passe-passe, mon avis sur ce budget sera favorable, afin de permettre à nos armées de bénéficier de la remontée en puissance en cours.