Dans l'attente de la nouvelle LPM, un travail d'ensemble a été entrepris par le ministère des armées et les acteurs industriels afin de mettre en place ce qu'il est désormais convenu d'appeler une « économie de guerre ».
Deux grands objectifs sont recherchés : de la part de l'État, il s'agit de simplifier, en réduisant les exigences documentaires et en optimisant l'expression des besoins ; de la part des industriels, un réexamen de l'ensemble des cycles de production est demandé, afin de déterminer les conditions de leur accélération si cela se révélait nécessaire.
L'accent est mis sur un « top 12 » de gros objets, pour lesquels les livraisons devront pouvoir être anticipées dans le temps, à la demande du ministère, ce qui signifie que les pièces devront être stockées en amont. L'exercice a toutefois ses limites ; en l'absence de commandes, les industriels ne bénéficient pas de la visibilité nécessaire pour se préparer.
Je rappelle que la base industrielle et technologique de défense est constituée de 4 000 entreprises alimentant 200 000 emplois directs et indirects, très peu délocalisables. Ces entreprises sont aujourd'hui confrontées à la hausse des prix de l'énergie, des matières premières et des composants. La mise en place de stocks stratégiques mutualisés, pour les composants et matières les plus critiques, s'impose. La création de filières de recyclage pour certains métaux permettrait de progresser en ce sens.
C'est une réflexion à l'échelle nationale qui doit se poursuivre, dans le sillage du rapport de Philippe Varin sur la sécurisation de l'approvisionnement en matières premières minérales. Par ailleurs, il semble que le ministère envisage un dispositif de priorisation de l'industrie de défense par rapport à d'autres activités, en cas de crise, comme cela existe par exemple aux États-Unis. Ce dispositif pourrait être inscrit dans la prochaine LPM.
Le ministère des armées et la base industrielle et technologique de défense (BITD) ne sauraient toutefois porter, à eux seuls, une ambition aussi vaste que celle de mettre en place une « économie de guerre ». Une mobilisation interministérielle est nécessaire. Il s'agit d'impulser une prise de conscience, par l'ensemble de la société, de la nécessité de soutenir les activités de souveraineté.
Il faut d'abord pouvoir trouver les compétences nécessaires à ces activités. Or, toutes les industries sont aujourd'hui confrontées à une pénurie de main d'oeuvre ; par exemple, plus de 30 métiers sont en tension dans l'industrie navale. Les métiers industriels ont trop longtemps été déconsidérés, au profit du secteur tertiaire. Pourtant, les conditions de travail s'y sont améliorées, et les salaires et perspectives d'évolution sont souvent meilleurs que dans certains métiers qui recrutent à des niveaux de diplôme plus élevés.
Actuellement, 50 000 emplois sont non pourvus dans l'industrie en général ; et 200 000 emplois supplémentaires pourraient être créés s'il était possible de recruter, afin de répondre à de nouvelles commandes.
Un travail de fond doit être effectué auprès des jeunes et des femmes. Ces dernières représentent, en effet, moins de 30 % des salariés de l'industrie ; elles sont encore plus minoritaires dans les fonctions de conception et de production, ainsi que dans les postes de direction. Attirer les femmes nécessite de changer profondément l'image de l'industrie.
L'État et les régions doivent engager un grand chantier de rénovation des formations. Les industriels doivent venir à la rencontre des jeunes, y compris en dehors de leurs bassins d'emplois. Des campus de formation pourraient être créés et enrichis. Pour l'industrie de défense en particulier, constituer une réserve industrielle, fondée sur le volontariat, avec des cycles réguliers de formation, permettrait de mieux faire connaître les métiers concernés.
Enfin, le soutien des acteurs financiers privés est indispensable pour passer à l'échelle de l'« économie de guerre ». Nous avons souvent évoqué ce sujet. Malgré la guerre en Ukraine, l'industrie de défense reste confrontée au durcissement des conditions d'accès au financement des banques et fonds d'investissement.
Les 3 milliards d'euros supplémentaires du budget, dont on nous avait dit qu'ils serviraient à financer le renouvellement de la dissuasion, sont répartis entre : les programmes à effets majeurs - Scorpion et les autres ; le programme 212, « Soutien de la politique de la défense » ; les infrastructures ; les munitions et le fonctionnement.
Ce budget poursuit néanmoins la remontée en puissance prévue par la LPM en 2018 ; mon avis sera donc favorable.