Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 17 novembre 2022 à 10h30
Développement économique de la filière du chanvre — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une grande satisfaction que je défends aujourd’hui devant le Sénat cette proposition de résolution, dont l’initiative revient au groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, mais qui est cosignée par plus de cinquante collègues issus de tous les groupes de la Haute Assemblée, que je tiens une nouvelle fois à remercier vivement.

Cette proposition de résolution vise à encourager le développement de la filière du chanvre et à clarifier la réglementation des produits issus de cette culture. Ce thème aura constitué l’un des fils rouges de mon mandat, à Paris comme dans l’Isère, de ma participation, en 2018, à la mission d’information sur l’herboristerie, constituée à la demande de notre collègue Joël Labbé, à l’accueil dans nos murs, au mois de mai dernier, de la deuxième rencontre de l’interprofession du chanvre.

Entre-temps, l’Assemblée nationale s’est saisie du sujet dans le cadre d’une mission d’information hors norme, la réglementation environnementale 2020 (RE2020), qui fait la part belle aux matériaux biosourcés, a été adoptée et la réglementation incompréhensible sur le cannabidiol (CBD) a défrayé la chronique judiciaire.

Je suis heureux de la place que prend la filière du chanvre dans le débat public et des progrès accomplis, même si beaucoup reste à faire. C’est tout l’objet de cette proposition de résolution, qui invite le Gouvernement à accompagner cette filière indispensable pour la transition écologique et à clarifier une fois pour toutes la réglementation sur le CBD.

Vous me pardonnerez, mes chers collègues, si je répète ce matin certains éléments de mon propos du 3 février dernier. C’est d’ailleurs le débat tenu ce jour-là en séance sur l’initiative de mon groupe, au cours duquel était apparue une large majorité de vues sur cette problématique, qui a motivé le dépôt de la présente proposition de résolution. Néanmoins, nous avons choisi, en lien avec les acteurs de la filière, de ne pas nous cantonner à l’imbroglio juridique relatif au CBD, mais d’évoquer l’ensemble de la filière, qui, même si elle se porte bien, mérite toute l’attention du Gouvernement.

Je le disais en février dernier, depuis l’antiquité, le chanvre a continuellement habillé, nourri, soigné les hommes et recueilli leurs écrits. Aujourd’hui, il fait encore tout cela, mais pas seulement : il nous loge aussi et il peut également représenter un substitut au plastique.

Les débouchés industriels de cette filière sont considérables, mais largement sous-exploités. La France est le troisième producteur mondial de chanvre et le premier producteur européen, avec pourtant 22 000 hectares seulement. Les surfaces cultivées ont triplé depuis dix ans et devraient doubler au cours des cinq prochaines années.

Rappelons-le, la culture du chanvre ne nécessite pas de produits phytosanitaires ni d’irrigation, elle restructure et dépollue les sols et elle s’inscrit opportunément dans la rotation des cultures. Mieux, elle capte plus de carbone que la forêt, avec 15 tonnes par hectare et par an.

Le chanvre peut constituer une chance formidable pour nos agriculteurs, tant en bio qu’en conventionnel, à condition de multiplier les débouchés. Cela tombe bien, ces derniers sont nombreux et toute la plante est valorisable : les fleurs et les feuilles servent à produire le CBD ou à extraire des arômes pour la parfumerie ; les graines, très riches en protéines, nourrissent l’humain et les animaux – bétail, oiseaux, poissons ; enfin, la paille permet de produire, avec la fibre, du textile, de l’isolant thermique, du bioplastique ou des papiers spéciaux, et, avec le corps solide – la chènevotte –, du béton végétal et de la litière.

En ce qui concerne le CBD, je laisse mon collègue Thomas Dossus préciser les choses.

Je précise toutefois que nous demandons au Gouvernement de ne pas attendre la décision au fond du Conseil d’État pour autoriser la vente au détail des fleurs et des feuilles du catalogue autorisé, que nous proposons d’élargir à toutes les variétés contenant moins de 1 % de tétrahydrocannabinol (THC), contre 0, 3 % actuellement. Des milliers d’acteurs économiques attendent la fin de cette mauvaise comédie judiciaire. Ce flou juridique n’est souhaitable pour personne. Nous avons besoin de règles claires, facilement contrôlables, et d’un encadrement adapté de la production, de la transformation et de l’utilisation du chanvre.

En outre, pour favoriser les contrôles, nous demandons la cartographie de toutes les cultures de chanvre, même celles qui ne font pas l’objet d’une déclaration dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Les agriculteurs et la filière le demandent.

Nous proposons par ailleurs d’équiper nos forces de l’ordre, comme en Suisse, de tests portatifs permettant de mesurer très rapidement le taux de THC de la fleur, afin de déterminer sa légalité.

Enfin, sur le volet alimentaire, l’arrêté de décembre 2021 ne règle pas toutes les questions posées par la consommation de CBD. Nous invitons donc le Gouvernement à définir les doses journalières recommandées de CBD, à exclure les produits qui ne sont pas enrichis en CBD de la réglementation relative aux nouveaux aliments et ingrédients alimentaires (Novel Food) et à définir clairement les produits issus du chanvre qui relèvent d’une consommation de bien-être et non du régime de la pharmacopée.

Venons-en à la filière textile, qui a, par rapport au coton, rappelons-le, un impact carbone cinq à huit fois inférieur et une consommation d’eau plus de deux fois moins importante, le différentiel de cette consommation, variable selon les climats, pouvant être beaucoup plus grand. Nous sommes en train de passer un cap sur cette question, avec une réglementation européenne plus exigeante sur l’origine des textiles et avec l’engagement de grands industriels du vêtement à utiliser la fibre de chanvre.

Néanmoins, les lignes de production et les outils industriels qui utilisent la fibre de coton ne sont pas toujours adaptés à la fibre de chanvre et ils exigent des réglages importants. Il faut donc procéder à de lourds investissements, qui doivent, selon nous, être accompagnés par la puissance publique. Nous pensons notamment aux crédits de France 2030, qui n’ont pas été intégralement consommés et qui, au-delà des technologies de rupture chères au Président de la République, doivent également financer le retour à des savoir-faire ancestraux, s’ils sont aussi bien adaptés que celui-ci au défi écologique.

Nous invitons également le Gouvernement à mettre en place un label pour le textile biosourcé, en s’appuyant sur la nouvelle réglementation européenne, sorte de « Nutri-score des textiles », puis à l’utiliser dans les critères environnementaux de la commande publique.

Le bioplastique, qui équipe principalement les tableaux de bord des voitures, est, je le rappelle, 30 % plus léger que le plastique, recyclable 7 fois et, sur le parc des 13 millions de véhicules équipés, il représente une économie de 100 000 tonnes d’équivalent CO2. Le Gouvernement devrait donc y accorder plus d’attention dans son soutien aux filières industrielles vertueuses, d’autant que la fibre de chanvre peut également remplacer aisément la fibre de verre dans de nombreux composites et faciliter le recyclage ; des études sont en cours pour la réalisation des pales d’éolienne.

Pour ce qui a trait au bâtiment, nous devons redoubler nos efforts, tant le chanvre répond aux exigences de la transition et de la rénovation énergétiques, et limite notre dépendance aux hydrocarbures. J’ai visité, en septembre dernier, l’une des premières entreprises produisant des modules préfabriqués en béton de chanvre. Mélangez de la chènevotte, de la chaux et du bois, et vous aurez un mur qui stocke 35, 5 kilogrammes de carbone au mètre carré, quand le béton classique émet 126 kilogrammes de CO2 au mètre carré…

En outre, ce mur permet d’obtenir une hygrométrie inégalée, nécessitant très peu de chauffage et de climatisation, et entraînant 70 % d’économie d’énergie selon le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). J’ajoute qu’il est biodégradable ou recyclable, ce qui n’est pas un détail, le bâtiment étant responsable des trois cinquièmes des déchets du pays.

Pourtant, il reste des blocages réglementaires, issus notamment des réglementations professionnelles.

Le béton de chanvre étant plus qu’adapté aux exigences de la RE2020, il convient de massifier son développement et, pour ce faire, de former à l’utilisation des matériaux biosourcés les architectes mais également les métiers de la construction, les « accompagnateurs France Rénov’ » et les conseillers de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).

Par ailleurs, grâce à la laine de chanvre, l’isolation thermique, dans le neuf ou dans la rénovation, n’est pas en reste. Actuellement, 90 % des matériaux du bâtiment sont issus de la filière pétrolière ou minière, et leur transformation est très énergivore. Selon une étude de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), le polystyrène utilisé en isolation émet 2, 8 tonnes de CO2 par tonne produite, alors que la laine de chanvre permet au contraire de stocker du carbone et est, au surplus, recyclable et biodégradable.

Aussi, en cohérence avec la RE2020, nous invitons le Gouvernement à fixer des critères ou des bonus pour les aides à la rénovation thermique – MaPrimeRénov’, éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) – en lien avec la performance environnementale des matériaux utilisés. Au passage, cela vaut non seulement pour le chanvre, mais encore pour l’ensemble des autres matériaux biosourcés. Je vous annonce d’ailleurs en exclusivité un amendement au projet de loi de finances pour 2023 émanant de notre groupe écologiste et allant en ce sens sur le PTZ.

Il découle de tout ce qui précède, vous l’aurez compris, mes chers collègues, qu’il faut massifier la culture et l’utilisation du chanvre. Cela passe notamment par une grande campagne de communication publique à destination des collectivités, des professionnels et du grand public, campagne promise en 2018 via le plan d’action Une Stratégie bioéconomie pour la France, mais qui n’a jamais été mise en œuvre.

Cela étant, nos capacités de production agricole pour 2023 nous inquiètent. La guerre en Ukraine a fait tellement exploser le prix des grandes cultures, notamment des céréales, que nos agriculteurs n’auront pas d’incitation financière à planter du chanvre cette année. En 2023, le chanvre rapportera entre 20 % et 25 % de moins à l’hectare que le maïs, le blé ou le colza.

Par conséquent, la filière formule une demande supplémentaire, qui n’était pas saillante au moment de la rédaction de cette proposition de résolution, mais qui nous semble désormais ô combien légitime : la reconnaissance sur le marché carbone réglementé du carbone stocké par l’ensemble de la filière. J’ai suffisamment détaillé, je crois, le bilan carbone phénoménal de la culture et de l’usage du chanvre pour vous convaincre du bien-fondé d’une telle demande.

Dans cette perspective, la filière a demandé un accompagnement de la part des corps d’inspection de l’État, afin de créer un mécanisme de reconnaissance du stockage du carbone au bénéfice des producteurs, car les spécificités de la filière chanvre – profondeur racinaire, poursuite du stockage de carbone dans les débouchés – sont mal prises en compte par le modèle du label bas-carbone.

La stratégie nationale bas-carbone pourrait également être renforcée par une prime au stockage de carbone dans la rénovation thermique des bâtiments, afin d’inciter à l’utilisation d’isolants biosourcés.

Enfin, il conviendrait de favoriser les matériaux biosourcés via la réduction de la TVA. Nous comptons sur le Gouvernement pour obtenir satisfaction à Bruxelles sur ce point, dans le cadre de la refonte de la directive TVA.

Voilà, mes chers collègues, une présentation succincte de notre proposition de résolution.

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