Intervention de Nicole Duranton

Réunion du 17 novembre 2022 à 10h30
Développement économique de la filière du chanvre — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Nicole DurantonNicole Duranton :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsqu’on additionne toutes les vertus du chanvre, on ne peut être que conquis.

Aucune autre plante ne semble cumuler autant d’avantages, ne coche autant de cases en ce qui concerne les bénéfices environnementaux et économiques.

Nous sommes tous d’accord pour dire que le chanvre – cela a déjà été avancé par mes collègues – est avant tout une plante consommant peu d’eau. Au sortir d’une année marquée par la sécheresse, alors que la question de la préservation de la ressource en eau est de plus en plus aiguë, cet atout est considérable.

Notre climat est particulièrement propice à son développement ; ce dernier est rapide : entre la graine et la récolte, il ne s’écoule que quatre mois, pour un rendement maximal.

Cette plante n’a pas besoin d’herbicides, de fongicides ou d’insecticides. Là encore, c’est une bonne nouvelle pour la ressource en eau : pour se développer, cette plante n’a pas besoin de polluer les nappes phréatiques avec des traitements ou des intrants chimiques.

Autre atout : cette plante est tout indiquée dans la rotation des cultures. En effet, elle régénère la terre et permet, à la culture suivante, un gain de rendement de 5 % à 10 % pour les céréales.

En outre, le chanvre est un excellent piège à carbone ; on considère qu’un hectare de chanvre absorbe au moins autant de CO2 qu’un hectare de forêt.

Le chanvre a également l’avantage d’intéresser de multiples secteurs, ce qui lui garantit de nombreux débouchés, comme mes collègues l’ont déjà indiqué.

Dans l’alimentaire, les graines de chanvre et l’huile de graines sont des compléments alimentaires reconnus pour l’humain comme pour l’animal.

Dans l’industrie cosmétique, de nombreux produits utilisent de l’huile de graines de chanvre, dont les vertus sont reconnues.

Dans le bâtiment, la laine de chanvre est l’un des isolants naturels les plus efficaces. De même, le béton de chanvre est de plus en plus reconnu pour ses qualités naturelles.

Dans l’industrie automobile, le lin et le chanvre ont de nombreuses propriétés communes ; on les retrouve dans les matériaux composites.

Dans l’industrie textile, les tiges de chanvre, possédant une forte résistance, peuvent être utilisées pour faire des vêtements et des cordages.

Dans mon département, l’Eure, une coopérative du Neubourg vient d’inaugurer une toute nouvelle usine de teillage du lin : la French Filature. C’est une petite révolution dans le milieu textile. En effet, la Normandie, terre de lin, détient la moitié des surfaces de culture en Europe, mais elle n’avait plus aucune filature, le lin étant systématiquement expédié vers l’Asie. Avec cette filature, on peut désormais produire pour l’habillement du lin 100 % tracé made in France. Cette usine représente un investissement de 5 millions d’euros, qui va permettre de produire plus de 250 000 tonnes de fils de lin par an. À l’avenir, cette filature pourrait aussi servir au filage du chanvre.

En Normandie, l’enjeu est réel : 10 500 agriculteurs ont plus de 60 ans et se préparent à partir à la retraite d’ici à 2028. Autrement dit, un agriculteur sur trois va cesser son activité et devra être remplacé.

La culture du chanvre pourrait constituer un marché extrêmement prometteur, ouvrir de nouveaux horizons à nos agriculteurs et, même, motiver les plus jeunes à s’installer ou à reprendre les exploitations familiales.

Tout bien considéré, cette plante a un seul inconvénient, mais pas des moindres : il faut maîtriser et limiter son taux de THC, cette substance psychotrope qui la différencie de la marijuana. En dépit des propriétés formidables de cette plante, de ses nombreuses applications et de toutes ses perspectives prometteuses, il nous faut donc faire preuve de prudence sur les produits de consommation à base de cannabidiol.

En effet, le CBD n’est pas classé comme un stupéfiant, mais il demeure tout de même une substance à effet psychoactif, dont les risques pour la santé des consommateurs n’ont pas encore été complètement évalués. Malgré la pression de tout un secteur et le fait que ce sont les cultivateurs de chanvre de pays étrangers qui profitent à l’heure actuelle de notre marché intérieur, nous devons approfondir nos connaissances scientifiques sur le CBD avant de délimiter un cadre législatif.

Le CBD est autorisé à la commercialisation en France, mais des progrès doivent être faits pour mieux contrôler les produits mis sur le marché. La filière, qui voit dans ce débouché « bien-être » une opportunité de développement, pousse pour établir des normes, pour procéder à des contrôles de teneur, mais aussi pour encadrer les méthodes d’extraction et d’analyse, et fixer des seuils réglementaires transitoires.

Ce sujet est technique, mais il est fondamental et ne supporte pas l’approximation. En effet, lors de l’extraction du CBD de la plante – le chanvre –, il existe un risque, si l’extraction est mal maîtrisée, de concentrer l’extrait en THC. Or le seuil de toxicité aiguë de celui-ci est très bas.

Une réflexion interministérielle en cours vise à délimiter le cadre d’une politique de contrôle pour écarter du marché les produits les plus problématiques ; le ministère de la santé s’interroge sur la toxicité du CBD, le ministère de l’intérieur sur son caractère addictif. La proposition de résolution prévoit des orientations intéressantes sur une telle politique de contrôle ; elles méritent d’être approfondies.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA, ou EFSA, selon l’acronyme anglais) procède actuellement à des évaluations plus précises sur le CBD. Nous gagnerions, sans nul doute, à définir nos politiques publiques sur la base de ces données scientifiques affinées, même si les résultats de ces études ne seront pas connus avant plusieurs mois.

En outre, il faut être attentif à ce que le développement de la filière CBD n’assèche pas mécaniquement, par sa rentabilité, les autres débouchés, porteurs de souveraineté alimentaire ou énergétique.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI s’abstiendra sur cette proposition de résolution.

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