Intervention de Dominique Faure

Réunion du 17 novembre 2022 à 10h30
Développement économique de la filière du chanvre — Adoption d'une proposition de résolution

Dominique Faure :

Dans un contexte d’accroissement des surfaces, multipliées par trois en dix ans, la culture du chanvre alimente ainsi de nombreux marchés, qui vont de la papeterie à l’automobile, du bâtiment au jardinage, en passant par la plasturgie, l’alimentation animale et humaine ou encore le textile.

J’ajoute – il s’agit d’un point absolument essentiel du point de vue du dynamisme et de la vitalité économique de nos territoires, notamment ruraux – que la filière se caractérise, notamment, par l’existence d’un grand nombre d’acteurs de taille modeste, fonctionnant en circuits courts, avec un ancrage territorial particulièrement fort. J’y suis, comme vous, profondément attachée.

La proposition de résolution examinée aujourd’hui s’inscrit résolument dans cette logique de soutien au développement de la filière chanvre en France. Le Gouvernement estime que cette initiative sénatoriale viendra utilement enrichir les réflexions à mener dans cette perspective.

Le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire est prêt à continuer à travailler en lien très étroit avec le Sénat sur la dimension agricole du sujet.

J’en viens maintenant au second volet de cette proposition de résolution, qui concerne un sujet dépassant largement le champ de l’agriculture, celui de l’amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre.

Il s’agit d’un sujet auquel le Gouvernement apporte une attention toute particulière et sur lequel, loin des caricatures qui peuvent parfois caractériser ces débats – tel n’est pas ici le cas –, nous souhaitons poser les enjeux avec exigence et méthode.

Je voudrais aller dans le sens de ce qui a été dit par plusieurs orateurs. Oui, il existe incontestablement des enjeux autour de la réglementation des produits issus du chanvre, dont la consommation de cannabidiol est naturellement le plus évident, mais pas le seul.

Ces sujets importants ont été posés avec plus d’acuité encore avec la suspension, par le Conseil d’État, du cadre réglementaire global dont la France s’était dotée.

Ce dernier devait permettre le développement sécurisé de la filière agricole du chanvre, ainsi que des activités économiques liées à la production d’extraits de chanvre, à la commercialisation de produits qui les intègrent, tout en garantissant la protection des consommatrices et des consommateurs ainsi que le maintien de la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.

L’absence d’une réglementation claire soulève, il est vrai, un certain nombre de difficultés. J’en citerai trois.

Tout d’abord, je pense à une forme d’instabilité pour les acteurs de la filière, que ce soit le monde agricole et industriel, les laboratoires ou le commerce de détail, qui manquent de visibilité dans la conduite de leurs projets économiques.

Ensuite, si la commercialisation est possible en France, elle concerne une immense majorité de fleurs et d’extraits commercialisés issus de l’importation, ce qui constitue un enjeu pour notre filière et sa place de leader.

Enfin, il s’agit d’assurer la sécurité en termes de consommation. En effet, je tiens à le souligner ici, si le cannabidiol n’est pas classé comme un stupéfiant, il s’agit tout de même d’une substance à effet psychoactif, dont les risques pour la santé continuent d’être expertisés.

Partant de ces constats, je voudrais partager avec vous quelques éléments de réflexion.

Premièrement, que nous dit le Conseil d’État ? Que les produits dont la teneur en tétrahydrocannabinol n’est pas supérieure à 0, 3 % ne revêtent pas un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur vente et de leur consommation.

En effet, à ce stade, il n’a pas été établi que le CBD est dangereux. Mais il n’a pas non plus été établi scientifiquement qu’il ne l’est pas ni dans quelle limite de consommation il ne l’est pas.

C’est la raison pour laquelle je nous invite collectivement à faire preuve de prudence sur ce sujet, mais aussi à suivre le travail scientifique que mène actuellement l’Autorité européenne de sécurité des aliments, car seule la science, me semble-t-il, doit éclairer nos décisions s’agissant d’un sujet aussi délicat. Il s’agit, je crois, du chemin que nous devons emprunter, sans précipitation.

Deuxièmement, je tiens à le souligner, en l’état actuel de la réglementation, les services de police et de gendarmerie sauront rechercher et relever les infractions comme la provocation, même non suivie d’effet, à l’usage illicite de stupéfiants. Il n’est pas acceptable, par exemple, que des publicités en faveur du cannabidiol entretiennent la confusion avec le cannabis, faisant ainsi indirectement la promotion de ce stupéfiant.

En dépit de la suspension de certaines dispositions de l’arrêté du 31 décembre 2021, nous ne sommes donc pas dans un no man ’ s land juridique. Nous sommes bel et bien en mesure de lutter contre tout ce qui peut s’apparenter à la promotion et à la banalisation du cannabis. Il s’agit, je le rappelle, de la manière la plus claire possible, de la position ferme et constante du Gouvernement sur ces sujets.

Naturellement, au-delà de ces réponses, qui sont absolument nécessaires, des réflexions interministérielles sont en cours sur ce qui pourrait constituer une politique de contrôle aboutie de la commercialisation des extraits de chanvre. Certaines des orientations de cette proposition de résolution pourraient d’ailleurs en partie être intégrées dans le cadre de ces réflexions.

Je vois trois enjeux à ces contrôles, qui relèvent de la compétence à la fois de nos services et des services de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes).

Le premier est de contrôler l’absence de pratiques commerciales trompeuses et de tromperie sur les qualités substantielles du produit relevant du code de la consommation, notamment en cas d’allégations trompeuses, par exemple en matière de santé, non autorisées ou thérapeutiques, en lien avec l’utilisation d’extraits de chanvre.

Le deuxième enjeu est de donner des informations claires aux consommateurs sur les « bonnes pratiques d’utilisation » et sur les publics pour lesquels la consommation d’extraits de chanvre est à éviter, à savoir les jeunes enfants et les femmes enceintes.

Le troisième enjeu concerne la réalisation de contrôles aléatoires sur les produits commercialisés en France, afin de vérifier notamment l’absence de contamination des extraits par le THC et d’éviter ainsi des risques de santé publique. Ces produits n’échapperont pas aux retraits et rappels en cas de non-conformité.

J’ajoute, s’agissant du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, qu’un nouveau conseil scientifique, piloté par l’interprofession Interchanvre, a été créé en février 2022, afin d’accompagner au mieux les agriculteurs qui souhaitent produire des fleurs de chanvre. Trois groupes de travail ont été constitués sur la génétique, sur l’itinéraire technique du chanvre à destination de la production de fleurs, sur la mécanisation de la récolte des fleurs. Une feuille de route est donc en cours de définition.

Enfin, je tiens tout de même à vous faire partager des interrogations sur les conséquences agricoles, alimentaires et environnementales que pourrait avoir un développement débridé des débouchés liés à la consommation de cannabidiol et autres extraits de chanvre qui se vendent à prix d’or. Allons-nous nous nourrir d’extraits de chanvre ? À ce jour, la production de chanvre à fleurs est bien distincte de celle du chanvre destiné à la production de graines et de fibres.

Il nous appartient ainsi de peser les conséquences d’un tel choix sur les autres débouchés, qui pourraient mécaniquement perdre de leur attractivité, parfois déjà fragile. Je pense en particulier à l’alimentation humaine et animale, enjeu de souveraineté alimentaire, ou encore à l’isolation des bâtiments, enjeu d’indépendance énergétique et de transition écologique. Or ce sont bien ces priorités qui sont à l’agenda des priorités du Gouvernement.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, sans en partager toutes les orientations, en particulier s’agissant des préconisations formulées sur la réglementation des produits issus du chanvre, le Gouvernement considère que cette proposition de résolution est très utile au débat et se saisira du vote du Sénat pour poursuivre et accélérer les réflexions indispensables à un développement maîtrisé et ambitieux de cette filière.

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