Intervention de Jean-Pierre Moga

Commission des affaires économiques — Réunion du 22 novembre 2023 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « recherche et enseignement supérieur » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Pierre MogaJean-Pierre Moga, rapporteur pour avis de la mission « Recherche et enseignement supérieur » :

Nous examinons aujourd'hui les crédits de la mission interministérielle pour la « recherche et l'enseignement supérieur » (Mires), dans le cadre du périmètre suivi par la commission des affaires économiques depuis désormais plusieurs années.

Au total, en 2023, les crédits de la Mires devraient s'élever à 31,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 30,8 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse respective de 6,3 % et 5,1 % par rapport à l'an dernier. Derrière cette hausse globale de crédits, nous pouvons distinguer deux tendances : l'une de long terme, à savoir la mise en oeuvre de la trajectoire pluriannuelle prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR) ; l'autre récente, mais qui pourrait perdurer, le début de la mise en oeuvre des mesures compensatoires liées au dégel du point d'indice des fonctionnaires, à l'inflation, à la hausse des prix des consommables et des coûts de l'énergie.

Concernant la mise en oeuvre de la LPR, la trajectoire prévue par ce projet de loi de finances (PLF) pour 2023 est conforme à la trajectoire budgétaire votée par le Parlement en 2020, avec une hausse prévue de 400 millions d'euros sur l'ensemble de la Mires, dont 226 millions d'euros pour le seul programme 172, qui finance entièrement ou en partie les principaux organismes de recherche de notre pays.

La trajectoire d'emplois prévue par le PLF 2023 est également conforme à la LPR, avec une hausse de 650 emplois prévue dont 237 emplois pour les opérateurs relevant du programme 172. Sur les trois dernières années, cela représente une hausse cumulée de 2 000 emplois.

Comme les années précédentes, les effets de la LPR sont amplifiés par les moyens alloués aux programmes et aux organismes de recherche au travers des programmes d'investissements d'avenir (PIA) et du plan France 2030. Pour vous donner un exemple concret, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) bénéficiera d'une hausse de 90 emplois financée par le volet microélectronique de France 2030, ce qui est une bonne chose.

Si la dispersion des crédits dédiés à la recherche et à l'innovation ne facilite pas le travail de contrôle parlementaire, nous commençons tout de même à constater des effets positifs sur le budget, le recrutement et les activités des organismes de recherche.

Depuis deux ans, j'ai pris l'habitude de vous dire que je n'auditionne que des « dirigeants heureux », je dois reconnaître que, cette année, je les trouve plutôt « heureux, mais soucieux ».

En effet, ce PLF 2023 est marqué par la hausse des prix et des coûts de l'énergie, dont les répercussions sont importantes et sous-estimées.

En 2020, le Sénat avait attiré l'attention du Gouvernement sur le fait que la trajectoire budgétaire prévue par la LPR était calculée en euros courants, et non en euros constants, c'est-à-dire sans prise en compte de l'inflation. À l'époque, il nous avait été répondu que l'inflation était une donnée économique qui appartenait au passé. Force est de constater que la situation que nous vivons depuis plusieurs mois nous donne raison.

Concrètement, si nous comparons les trajectoires budgétaires de la LPR en euros courants et en euros constants pour les années à venir, cela conduit à des écarts prévisionnels à la baisse de 50 millions d'euros pour 2023, 120 millions d'euros pour 2024, 200 millions d'euros pour 2025, 300 millions d'euros pour 2026 et 400 millions d'euros pour 2027 si aucune mesure n'est prise d'ici là.

Les budgets des opérateurs de recherche sont d'ores et déjà impactés par l'inflation, et en particulier par la hausse des coûts de l'énergie. Pour vous donner des exemples, le surcoût énergétique pour 2023 est estimé à 90 millions d'euros pour le CEA et à 40 millions d'euros pour le Centre national d'études spatiales (Cnes). Ces surcoûts ne seront que partiellement compensés par les dégels de crédits autorisés en gestion et par l'annonce de la ministre de la recherche de la mise en place d'un fonds d'intervention à hauteur de 275 millions d'euros dédié à l'énergie. Les modalités de mise en oeuvre de ce fonds, envisagé comme un véritable « amortisseur électricité », demeurent floues, c'est pourquoi je souhaite insister sur deux points.

D'une part, l'ensemble des grands organismes de recherche, et non pas seulement ceux qui relèvent exclusivement ou principalement de la tutelle du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri), doivent pouvoir bénéficier, au moins partiellement, de ce fonds. D'autre part, les versements doivent s'effectuer au prorata des surcoûts énergétiques et non de façon forfaitaire par établissement.

En plus des surcoûts énergétiques, les budgets sont également impactés par le dégel du point d'indice des fonctionnaires décidé en juillet 2022 : si des compensations sont prévues pour 2023, avec, par exemple, une hausse de 121 millions d'euros prévue à cet effet dans le programme 172, ce n'est pas le cas pour le second semestre 2022, obligeant les opérateurs à mobiliser leur fonds de roulement et leurs réserves de trésorerie.

À ce propos, je réitère ma demande d'évolution des normes prudentielles et comptables des opérateurs de recherche afin de « libérer » des moyens supplémentaires en faveur de leurs efforts de recherche et d'innovation.

Je souhaite ici être très clair : les objectifs de la LPR ne doivent pas être détournés pour amortir les surcoûts engendrés par l'inflation et la hausse des coûts de l'énergie. Les hausses budgétaires permises par la LPR doivent avant tout permettre de soutenir nos activités en matière de recherche et de porter notre effort national de recherche à 3 % du PIB alors que nous stagnons depuis plusieurs années à seulement 2,2 % du PIB, accusant un retard certain par rapport à nos voisins européens. Autrement dit, la clause de revoyure de la LPR prévue en 2023 devrait désormais permettre de définir une trajectoire budgétaire en euros constants pour les années à venir.

En parlant d'avenir, permettez-moi d'aborder le budget alloué à la politique spatiale, un sujet particulièrement cher à notre présidente et à notre commission.

Lors de l'ouverture du Congrès international d'astronautique (IAC - International Astronautical Congress) à Paris en septembre dernier, la Première ministre a annoncé une hausse de 9 milliards d'euros sur trois ans. D'un point de vue budgétaire, cette hausse correspond essentiellement à des crédits d'ores et déjà engagés : 2 milliards d'euros pour le Cnes ; 3,4 milliards d'euros pour l'Agence spatiale européenne ; 400 millions d'euros pour la recherche duale ; 2,2 milliards d'euros pour la loi de programmation militaire (LPM) et 1 milliard d'euros prévu par le plan France 2030, les PIA et le plan de relance. Il s'agit d'une hausse sans précédent du budget alloué à la politique spatiale française, dont nous pouvons nous féliciter, malgré une dispersion des crédits toujours plus importante qui nuit à sa visibilité budgétaire.

En ce moment se tiennent les négociations de la Conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne afin de déterminer le budget pour les trois prochaines années.

L'objectif est d'atteindre plus de 18 milliards d'euros de souscriptions de la part des États membres, tandis que le dernier budget triennal s'élevait à 14,4 milliards d'euros. Le défi est réel. Les auditions menées ne m'ont pas permis de déterminer le niveau futur de la souscription française, mais je comprends que la France ne sera plus le premier souscripteur au budget de l'Agence spatiale européenne.

S'il existe effectivement d'autres canaux d'investissement pour soutenir le secteur spatial, j'ai du mal à comprendre comment nous pouvons conserver notre influence et maximiser le « retour géographique » pour nos entreprises si la France n'est plus le premier souscripteur.

Nous suivrons donc l'issue de ces négociations avec intérêt et vigilance.

Enfin, mes chers collègues, j'aborderai la réforme envisagée du crédit d'impôt recherche (CIR) et du crédit d'impôt innovation (CII).

Je soutiens cette réforme à titre individuel, car elle s'inscrit directement dans la continuité des travaux de la mission d'information sur la recherche et l'innovation en France, présidée par M. Christian Redon-Sarrazy, et rapportée par notre collègue Mme Vanina Paoli-Gagin, dont je salue la présence.

Le rapport d'information, adopté à l'unanimité, propose une réforme ambitieuse. Vous êtes de plus en plus nombreux à la soutenir même si je sais que des réticences et des incertitudes demeurent. Malheureusement, cette réforme n'a pas été adoptée en séance publique samedi dernier : je ne peux que regretter la position attentiste du Gouvernement qui, sous couvert d'une réforme annoncée du CIR l'année prochaine, a refusé tous les amendements visant à réformer le CIR et le CII dont la rédaction est pourtant issue de plusieurs mois de concertation.

Je ne reviendrai pas en détail sur cette réforme, car nous avons déjà eu l'occasion d'en discuter. Je souhaite toutefois vous rappeler les principaux objectifs poursuivis.

Premièrement, elle vise à limiter l'effet d'aubaine partiel induit par le fonctionnement actuel du CIR, dont l'efficacité est inversement proportionnelle à la taille des entreprises qui en bénéficient. Autrement dit, 1 euro de CIR versé aux petites et moyennes entreprises (PME) entraîne un accroissement de 1,4 euro de dépenses de recherche et développement (R&D). Au contraire, 1 euro de CIR versé aux grandes entreprises entraîne un accroissement de seulement 40 centimes de dépenses de R&D.

Deuxièmement, elle a pour objet l'amélioration de l'efficacité de la dépense publique, alors que le CIR constitue la première dépense fiscale de l'État, la créance fiscale étant supérieure à 7 milliards d'euros en 2022 et en 2023. Le CIR ne doit pas être une « réduction d'impôt » pour les grandes entreprises pratiquant l'intégration fiscale, d'autant que les impôts de production et l'impôt sur les sociétés ont fortement diminué, mais doit surtout être une aide fiscale à la R&D des entreprises.

Troisièmement, elle vise la redistribution fiscale, en faveur des très petites entreprises (TPE), des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) innovantes, qui ne bénéficient pas au maximum du fonctionnement actuel du CIR.

Nous avons eu le débat en séance publique, mais je souhaitais tout de même vous rappeler l'importance de la réforme que nous avons proposée cette année et sur laquelle nous allons travailler avec le Gouvernement dans la perspective du PLF 2024.

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