Je vous remercie pour votre accueil et pour cette occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous sur les axes forts du budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Vous aviez auditionné il y a deux semaines la ministre, que vous avez revue hier soir, et qui a pu déjà vous présenter ses objectifs prioritaires. Je reviendrai sur quelques points particuliers.
Pour répondre le mieux possible à vos questions, je suis accompagnée d'une équipe représentant les programmes du ministère : Claire Bodonyi, directrice des affaires financières, Laurence Haguenauer, directrice des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, Jonathan Lacôte, directeur général adjoint des affaires politiques et Olivier Richard, directeur général adjoint de la mondialisation.
Avant d'aborder le projet de budget, je voudrais vous donner des éléments sur l'organisation des Etats généraux de la diplomatie. Par ce processus, il s'agit de répondre à la contestation sociale qui a traversé le ministère et aux interrogations qui existent encore. L'objectif est de permettre une réflexion commune et approfondie afin de trouver des pistes pour enrichir la réforme. Une équipe a été constituée autour de l'ambassadeur Jérôme Bonnafont, qui est le rapporteur général des Etats généraux. Son secrétariat général a été confié à Florian Escudié. Les travaux se répartiront en trois groupes de travail thématiques. Martin Briens présidera les travaux sur les défis de la diplomatie et sur la définition du métier de diplomate au XXIème siècle. Cyril Pierre présidera les travaux sur les conditions d'exercice du métier, le déroulement des carrières et les méthodes de travail. Eva Nguyen Binh présidera les travaux sur le rôle du ministère comme chef de file interministériel de l'action extérieure de l'Etat et des interactions avec les partenaires non étatiques.
Ces Etats généraux s'organiseront en deux phases. La ministre ouvrira la première phase le 28 octobre par une séance de travail hybride, avec une partie des agents en présentiel et des diplomates du réseau en visioconférence. Cette phase de consultation ne se limitera pas aux agents du ministère mais associera les autres parties prenantes de notre diplomatie pour qu'elle soit la plus large que possible. A partir de fin décembre/début janvier débutera la phase d'exploitation, qui visera à formuler une vision partagée des enjeux d'adaptation de notre métier, de notre action, de nos conditions de travail. Il s'agira de faire émerger des recommandations concrètes et opérationnelles au plus tard fin février ou début mars.
J'en viens au projet de loi de finances. Je connais l'acuité de votre maîtrise des grands enjeux de nos programmes. Je ne serai pas exhaustive mais je souhaiterais mettre en lumière quelques éléments me paraissant caractéristiques du budget 2023. Ce budget conforte la montée en puissance du « sac à dos du diplomate », qui recouvre tous les instruments dont a besoin le diplomate pour travailler convenablement en termes de sécurité, de fonctionnement, de matériel numérique ou encore de cadre immobilier. Sur tous ces volets, les moyens se consolident, dans le cadre d'une démarche méthodique et cohérente conduite grâce à votre soutien.
S'agissant des coûts immobiliers, inhérents à notre présence dans le monde, il était crucial que la dynamique de rebasage des crédits budgétaires de l'entretien lourd de nos emprises se poursuive. Cette enveloppe passe de 41,7 millions d'euros en 2022 à 56,7 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 50,2 millions en crédits de paiement (CP) pour 2023. Pour assurer la continuité des opérations engagées et pour accélérer la mise en oeuvre d'un plan de rattrapage, une dotation complémentaire exceptionnelle et non remboursable sur le compte d'affectation spéciale (CAS) 723 est nécessaire. Son montant a été fixé à 36 millions d'euros que le ministère espère pouvoir intégrer dans sa gestion 2023.
Je voudrais insister sur le caractère maitrisé de notre stratégie immobilière. Le ministère a présenté il y a un an en conseil de l'immobilier de l'Etat (CIME) son schéma directeur immobilier pluriannuel pour l'étranger. Ce schéma dresse l'inventaire des 224 opérations à réaliser jusqu'en 2025. Plus de 150 projets structurants ont été lancés et doivent se poursuivre pour assurer la sécurité des personnes, préserver le patrimoine bâti, fournir un cadre de travail de qualité - c'est-à-dire à la fois moderne et attractif pour contribuer au rayonnement de notre pays - tout en tenant compte des impératifs de performance énergétique et environnementale.
Le projet de budget 2023 s'attache aussi aux moyens numériques de la diplomatie. Les efforts de financement se montent à 4,4 millions d'euros supplémentaires, qui nourriront notre stratégie pluriannuelle d'investissement numérique. L'objectif est de concilier le haut niveau de cyber sécurité avec un outillage numérique de nos agents dans le monde entier. Très concrètement, une partie de ces moyens supplémentaires permettront l'année prochaine la migration du parc de téléphones mobiles professionnels d'ancienne génération (smarteo) vers la solution Dphone, sécurisée et chiffrée.
Toujours au sein du programme 105, la sécurité reste une préoccupation prioritaire. Le niveau de sécurisation des ambassades, consulats, et instituts français est programmé depuis 2019 en fonction d'une doctrine définissant des standards adaptés au niveau de menaces auxquels il sont exposés, en tenant compte de l'évolution, parfois extrêmement rapide, des situations sur le terrain. S'agissant des opérations structurelles de sécurisation des emprises, le ministère a mis en place un plan d'investissement, soutenu en 2019 et 2020 par une mise à disposition exceptionnelle de crédits sur le CAS 723. À nouveau exclusivement porté par le programme 105, la sécurité de notre réseau bénéficie dans le PLF 2023 de moyens complémentaires, pour s'établir au total à 61 millions d'euros en AE.
Concernant le fonctionnement des ambassades, nous savons qu'en 2023 l'inflation continuera de peser. La hausse des coûts dans des secteurs clés (énergie, transports, prestations) conjuguée dans certains cas à une dépréciation de l'euro, exerce d'ores et déjà une pression sensible. Pour faire face à ce contexte, une ressource complémentaire de 3,9 millions d'euros est inscrite au PLF 2023. La ministre a par ailleurs souhaité engager le ministère dans une forte accentuation de la démarche éco responsable de notre réseau, en quintuplant le fonds interne d'appels à projets « ambassade verte », porté à 1 million d'euros. Ce fonds accompagnera les projets conçus localement par nos ambassades.
Je voudrais attirer votre attention sur la dynamique des ressources humaines, à laquelle le PLF essaie d'apporter un nouveau souffle. 106 nouveaux équivalents temps plein (ETP) sont créés, en comptant les 6 emplois dédiés à l'accompagnement de l'encadrement supérieur. C'est une augmentation substantielle à l'échelle du ministère. Ces créations de postes seront évidemment dédiées aux priorités fixées par la ministre. Leur programmation fine est encore en cours car elle s'inscrit dans un exercice très collégial. Nous partons de l'existant, nous veillons à ne pas empiler des postes supplémentaires mais bien à déterminer au préalable les redéploiements ou les suppressions de postes possibles. Nous pouvons ensuite déployer ces nouveaux postes, selon une répartition fixée à 65 % pour le réseau et 35 % pour la centrale. Nous cherchons à nous adapter de la façon la plus pragmatique possible. L'année dernière, un volant de 200 postes (197 précisément) avait fait l'objet de transferts et réallocations. Il existe donc bien une réflexion sur la meilleure allocation possible de nos moyens.
Il était également crucial que le ministère poursuive le plan de modernisation des ressources humaines démarré en 2022. Ce plan bénéficie dans le PLF 2023 de 15,6 millions d'euros supplémentaires. Grâce à ces moyens accrus, le plan de convergence des rémunérations entre les titulaires et les contractuels pourra se poursuivre. Une dotation sera consacrée à la revalorisation des volontaires internationaux, qui font un travail remarquable dans nos ambassades. Enfin, l'harmonisation des rémunérations des agents de droit local permettra de lisser les écarts entre nos contractuels, écarts existant parfois au sein d'une même ville.
Parmi les autres mesures phares du plan de modernisation figure la création de l'école pratique des métiers de la diplomatie (EDI), service à compétence nationale, dont les moyens - augmentés cette année - seront reconduits en 2023. L'école met en place un pilotage global de l'offre de formation du ministère, y compris le collège des hautes études de l'institut diplomatique (le CHEID) au sein duquel nous serions honorés de continuer à recevoir des membres du Sénat. J'ai constaté, à l'occasion d'une visite récente de nos services nantais, avec quelle efficacité et ingéniosité l'EDI développe des modules conçus sur-mesure, en fonction des métiers et des besoins, en s'appuyant sur l'expertise-métier d'agents reconnus pour leur compétence.
Le troisième marqueur de ce budget 2023 concerne l'action accrue d'influence et de lutte contre la désinformation. La direction de la communication et de la presse se dote d'une nouvelle sous-direction consacrée à la veille et à la stratégie. Une enveloppe de communication de 2,5 millions d'euros supplémentaires permettra de renforcer notre présence sur les réseaux sociaux, grâce notamment à une chaine vidéo, destinée plus particulièrement à la jeunesse africaine. Un fonds communication devrait également être ouvert pour nourrir les actions des services de presse de nos ambassades, dans un souci de réactivité à la situation locale. Je rappelle également la nomination fin août d'une ambassadrice pour la diplomatie publique en Afrique, Anne-Sophie Avé. Une sous-direction de la cybersécurité a en outre été créée au sein de la direction des affaires stratégiques, de la sécurité et du désarmement.
Les priorités portées par le programme 185 bénéficient de moyens accrus pour poursuivre la mise en oeuvre de la feuille de route de l'influence. Cela passe notamment par le rehaussement des moyens de l'agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) à hauteur de 30 millions d'euros : 10 millions d'euros seront consacrés au soutien indispensable des établissements scolaires du réseau libanais et 20 millions d'euros au financement des évolutions réglementaires qui impactent la rémunération des personnels de l'ensemble de réseau.
La quatrième ligne de force du budget 2023 concerne l'action consulaire. Les chiffres globaux du programme 151 ne sont pas toujours aisés à lire. Ils sont marqués pour 2023 par la sortie du budget dédié à l'organisation des élections nationales en 2022. Trois mouvements à la hausse peuvent cependant être notés. Tout d'abord, l'enveloppe des bourses scolaires croît d'un peu plus de 10 millions d'euros, pour retrouver le niveau de 2021. Il s'agissait d'un engagement après la ponction de la soulte de l'AEFE. En outre, le PLF 2023 dote le programme d'un budget de fonctionnement accru en France, pour soutenir le déploiement du service France Consulaire. Enfin, les crédits consacrés à l'aide sociale sont renforcés d'1 million d'euros, la vigilance du ministère restant entière à l'égard des besoins pouvant émerger de nos compatriotes fragilisés par les tensions économiques mondiales.
Je conclurai sur la forte hausse des moyens alloués à l'aide publique au développement. Le programme 209 voit ses crédits croître de 13 % par rapport à 2022. Les modalités d'action s'adaptent pleinement à l'imprévisibilité des événements puisque nous dotons le programme d'une provision pour crises majeures de plus de 200 millions d'euros. Le constat pour cette année comme pour l'année précédente est qu'il faut provisionner pour pouvoir réagir aux crises. En 2021, il s'agissait de l'Afghanistan ainsi que de financer l'initiative ACT-A face à la pandémie. En 2022, nous avons dû faire face à la guerre en Ukraine. Il y aura probablement d'autres crises et cette provision pour crises majeures est suffisamment financée pour nous permettre d'être réactifs.
Je souligne enfin que le PLF 2023 introduit pour la première fois, dans un esprit de sincérité, le principe d'une budgétisation en AE différente des CP sur les grands fonds multilatéraux du programme 209. Cette distinction, déjà utilisée sur le programme 110, conduit à fixer le plus fidèlement possible lors du PLF le niveau des engagements sur le canal multilatéral.
Je tiens à vous remercier pour votre soutien et votre bienveillance dans l'examen de ce projet de budget.
M. Jean-Pierre Grand. - Je souhaite tout d'abord rendre un hommage appuyé à tous les personnels du ministère, ils incarnent un service public aux Français révélé au grand public par la crise sanitaire. Leur dévouement est exemplaire. Les ressources humaines sont la richesse de votre ministère, et je me réjouis que les nouveaux recrutements puissent venir soulager les postes où la charge de travail était devenue trop pesante, particulièrement pour les secrétaires généraux d'ambassade.
L'arrêt des déflations l'année dernière était indispensable après la perte de 3 000 postes depuis 2007 et je vous félicite de la création cette année de 106 postes pour répondre aux besoins prioritaires de notre diplomatie. Combien seront affectés au renforcement de notre présence dans l'indopacifique et de notre capacité d'analyse politique dans certains pays ? Où seront basés ces nouveaux personnels ? D'autres personnels sont annoncés pour améliorer notre cybersécurité et la sécurisation de nos emprises, où seront-ils affectés ?
Le PLF prévoit-il bien les mesures nécessaires pour faire face à l'inflation et accompagner l'évolution nécessaire des contrats de droits locaux ? Le renforcement du centre de crise est-il prévu ?
Ma deuxième question porte sur la politique immobilière : dès 2015 notre commission recommandait deux axes essentiels pour votre ministère. Premièrement l'établissement d'un schéma pluriannuel de stratégie immobilière pour l'ensemble du patrimoine immobilier du ministère, il a été présenté en novembre 2021 et s'appuie sur les recommandations de notre commission, et deuxièmement l'inscription des crédits nécessaires à l'entretien de ce patrimoine en loi de finances initiale.
Sur le premier point pouvez-vous nous présenter les grandes priorités du schéma pluriannuel pour 2023 ?
Sur le deuxième point, c'est tout d'abord un satisfecit puisque l'inscription sur le programme 105 des crédits immobiliers nécessaires à l'entretien du patrimoine immobilier du Ministère semble désormais actée. Sommes-nous au bout du chemin : les crédits budgétés pour 2023 sont-ils bien suffisants pour faire face aux besoins ? L'inflation a-t-elle là encore bien été prise en compte ?