Intervention de Amiral Pierre Vandier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 octobre 2022 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2023 — Audition de l'amiral pierre vandier chef d'état-major de la marine

Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine :

Merci monsieur le Président.

Je tenais d'abord à vous remercier pour votre rapport d'information sur la France face au jeu des puissances en Méditerranée, rapport très intéressant auquel nous avions participé. Cette zone fait l'objet de toute notre attention.

En réponse à votre propos introductif, monsieur le président, et avant d'aborder les questions, je profite de la parole qui m'est donnée pour vous dresser un bref état des lieux. Je voudrais d'abord insister sur le fait que la Marine que je commande est une marine d'emploi. Elle est structurée par des contrats opérationnels fixés par le chef d'état-major des armées (CEMA). Il y a une complète bijection entre missions et capacités. La plupart de nos missions sont des missions permanentes.

Le Président a rappelé lors de la conférence des ambassadeurs en septembre que jamais nos problèmes n'ont été aussi essentiellement mondiaux. Notre sécurité est mondiale ce qui impose à la Marine de composer avec des missions dont l'intérêt et l'importance varient peu avec la distance, que ce soit du fait de nos territoires d'outre-mer ou de nos partenariats stratégiques.

Le coeur de notre mission est la dissuasion nucléaire, dont l'importance est soulignée par le contexte actuel. La Marine a été la deuxième force après l'Armée de l'air et de l'espace à tenir, à partir de 1972, une posture permanente jamais rompue depuis plus de 500 patrouilles. Cette mission impose un engagement fort de toute la Marine, en termes de moyens comme d'activité. Pour garantir la permanence d'au moins un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) à la mer, la quasi-totalité des moyens de la Marine est sollicitée.

La Marine est également engagée dans la protection des intérêts des citoyens et des territoires. Ce fut le cas lors de l'évènement climatique extrême qui a frappé la Corse le 18 août 2022. Ce nuage, arrivant par l'ouest, a généré pendant plusieurs heures des vents de près de 200 km/h. De nombreux bateaux ont été mis à la côte. Des missions de sauvetage ont été organisées par la Marine, en particulier des treuillages de naufragés. Un hélicoptère Dauphin a été envoyé pour assurer une mission de « search and rescue ».

Notre troisième mission structurante est la protection de l'environnement, de l'économie et des flux. La maîtrise des fonds marins est une mission dans laquelle nous sommes pleinement investis. La démonstration « Eledone » a permis de descendre un officier de marine par 2152 mètres de fond, pour aller repérer un câble sous-marin en Méditerranée. L'objectif était de démontrer notre capacité à investiguer un câble sous-marin. Le sabotage du gazoduc Nord Stream en mer Baltique nous conforte dans notre choix d'investir ces nouveaux champs.

Nous menons également des opérations en coalition sur différents théâtres. Depuis deux ans, nous avons considérablement renforcé notre présence dans les missions de l'OTAN. De façon proactive, nous proposons nos bateaux au commandement maritime allié de l'OTAN, qui peut ainsi les intégrer dans sa planification. Ainsi, cet été, sous faible préavis, nous avons fait appareiller le Latouche Tréville, alors en escale en Pologne, pour renforcer la posture de l'OTAN en Baltique.

Je voudrais enfin souligner que tous nos déploiements participent au renseignement et au signalement stratégique.

Je voulais également rappeler que la Marine est dans un moment de renouvellement capacitaire très important, lancé par la loi de programmation militaire 2019-2025. Tous les segments capacitaires sont concernés. Les premiers effets de cette LPM de reconstruction se font sentir.

Ainsi, s'agissant des patrouilleurs outre-mer (POM), trois bateaux sont en cours de finalisation, à des stades différents. L'Auguste Bénébig est en essai et rejoindra Brest dans les jours à venir, pour ensuite être déployé à Nouméa début février. Le Teriieroo a Teriierooiterai sera déployé à Papeete et l'Auguste Techer sera destiné à La Réunion.

De même, s'agissant des bâtiments ravitailleurs de force (BRF), le premier, le Jacques Chevallier, construit aux chantiers de l'Atlantique, a été mis à l'eau en avril 2022. Sa construction a été très rapide : le bateau a été mis sur cale en décembre 2021. Il est en fin de chantier, et devrait bientôt débuter ses essais à la mer, tandis que les essais de qualification à quai ont démarré en mai 2022.

Un troisième exemple illustre ce renouvellement capacitaire : l'hélicoptère H160. Le centre d'expérimentations pratiques et de réception de l'aéronautique navale (CEPA) a reçu le premier H160 de la flotte intérimaire. Les premiers vols sont en cours. Cela permettra de remplacer les Alouette 3 pour les missions de sauvetage sur nos côtes et de soulager les hélicoptères NH90, dont la mission prioritaire est la lutte anti-sous-marine. Cet H160 arrivera à Lanvéoc en janvier 2023.

Les crédits de la LPM doivent également servir à renforcer les capacités existantes. Un certain nombre de travaux ont été lancés, comme le SMDM (système de mini-drones pour la marine), qui peut venir en soutien à des bateaux récemment armés comme à des bateaux ayant plus de 40 ans d'âge et qui n'ont pas de plateforme pour hélicoptère. Ce drone peut voler 3 heures et évoluer jusqu'à une trentaine de nautiques du bateau, ce qui lui donne une large capacité d'investigation.

La première frégate de défense et d'intervention (FDI) sera quant à elle un bateau numérique. Un data hub (serveur) sera embarqué et collectera les données du bateau pour permettre des incréments logiciels de façon quasiment continue.

Ce moment capacitaire est donc décisif pour la marine. La décennie à venir est une décennie charnière. C'est pour nous une transition extrêmement importante puisque nous allons désarmer d'ici à 2030 toutes nos « vieilles coques ». Nous avons désarmé en juillet 2022 le Latouche-Tréville, qui avait atteint 32 ans. Nous désarmerons en fin d'année 2022 l'Alouette 3, qui aura accompli 61 années de service. Nous désarmerons le Rubis en décembre 2022, qui aura atteint 39 ans d'âge.

Je voudrais aussi signaler notre engagement dans la bataille des talents. La Marine est une armée technique, qui fait face aux défis du recrutement, de la formation et de la fidélisation.

S'agissant de l'engagement pour le lien armée-nation, le Président de la République déclarait à Brienne le 13 juillet 2002 que la « force morale des armées et de la nation se nourrissent mutuellement ». Nous sommes pleinement engagés sur les objectifs qui seront fixés par le Président de la République et le ministre pour ce qui concerne le service national universel (SNU) et sur les réserves.

En conclusion, je veux réaffirmer l'engagement total de la Marine à « faire autrement », c'est-à-dire pour nous adapter à l'évolution de la géopolitique en transformant nos cas d'usage, nos manières de travailler et nos missions, afin de répondre à ce qui parait improbable aujourd'hui. « Faire autrement » signifie également rechercher la meilleure rentabilité pour l'argent public et donc utiliser chaque euro à la hauteur des attentes de la nation. Notre Marine doit se mobiliser et être mobile sur ses concepts, sur ses ressources humaines et sur ses missions. Je terminerai par la phrase du général de Gaulle, que j'avais inscrite comme devise du Charles de Gaulle quand je le commandais : « Être inerte, c'est être battu ».

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