Concernant le domaine du cyber, la question des ressources humaines est véritablement centrale. Nous observons un décalage entre les soldes que nous versons aux cyber-combattants et ce qui peut être offert sur le marché du travail par le secteur privé. De surcroît, ces compétences sont également très recherchées dans le civil. Je suis néanmoins convaincu que nous avons les moyens d'attirer et de fidéliser de jeunes cyber combattants. C'est un travail que nous menons entre chefs d'état-major et avec le ministre des armées.
S'agissant des réserves, le ministre a annoncé sa volonté de les doubler. Pour la Marine, dans le cadre du SNU, nous devrions passer d'une centaine de jeunes dans le service militaire volontaire à 2 000 jeunes en phase 2 à l'horizon 2030, tandis que pour les engagements à servir dans la marine (ESR), nous devrions passer à 12 000 sur la même période.
Pour nous, le coeur du moteur est constitué par nos préparations militaires marines (PMM), avec des réservistes se situant dans les territoires, bien au-delà des seuls ports. Elles permettent d'apporter du sel marin dans les territoires. Nous profitons de l'attrait des jeunes pour nos sujets et nous les faisons encadrer par des réservistes. L'objectif est de construire à terme une réserve opérationnelle qui devra permettre d'embarquer des jeunes ou moins jeunes sur nos bâtiments.
S'agissant du MCO aéronautique et naval, je note que les progrès sont énormes sur la verticalisation des contrats. Partout où cette verticalisation a été appliquée, elle a donné de bons résultats. La flotte des hélicoptères reste celle pour laquelle les difficultés sont les plus importantes, en particulier pour le NH90. J'ai rencontré le dirigeant d'Airbus Hélicopters, qui m'a assuré de son investissement total sur ce sujet. Une assistance technique renforcée va être mise en place sur les bases aéronavales de Lanvéoc et Hyères. Ces hélicoptères ont plus de 8 ans de service, avec un univers logistique qui manque de performance et qu'il faut faire évoluer.
Pour les Atlantique 2, les choix capacitaires ont conduit à un parc de 18 avions, dont la disponibilité est temporairement affectée par les chantiers de mise au standard 6. Nous travaillons actuellement sur le MCO des moteurs de l'avion pour les faire durer jusqu'à l'horizon 2030/2035, en attendant leur remplacement. Au bilan, les avions aujourd'hui disponibles sont extrêmement performants et nous permettent de compter parmi les meilleurs dans ce domaine, notamment dans les missions en Atlantique nord.
Pour les bâtiments de surface, les chiffres de MCO sont bons. Globalement, la disponibilité de la flotte est bonne. Je note que le travail de fond réalisé depuis 15 ans de mise en concurrence du MCO aboutit à une bonne performance technique et financière du MCO. Cela est d'autant plus notable que certains bateaux sont anciens et d'autres à double équipage, faisant plus de jours de mer que prévu à la conception.
La DMAé (Direction de la maintenance aéronautique) est une direction qui fonctionne bien et dont nous sommes pleinement satisfaits. L'ingénieure générale Monique Legrand-Larroche a véritablement réalisé un travail remarquable à la tête de cette direction.
S'agissant du futur des avions de patrouille maritime, l'avenir devait notamment passer par le développement de coopérations avec les Allemands, via le programme MAWS (Maritime Aiborne Warfare System). Ce programme est en difficulté compte tenu des choix effectués par la marine allemande d'acheter finalement des avions américains.
Pour assurer le remplacement des avions de patrouille maritime, des offres sont en train d'être remises par les industriels dans le cadre des études demandées par la DGA. Je ne peux donc pas pour l'instant en parler. En termes de coopération, d'autres pays européens pourraient être intéressés, compte tenu du niveau de savoir-faire qui est un des meilleurs du monde en termes de lutte anti-sous-marine.
S'agissant de l'incendie du SNA Perle, survenu en 2020, le surcoût est estimé à 61 millions d'euros, ce qui est conforme aux prévisions. Au moment de cet événement, la Perle était dans son dernier arrêt technique, le bateau étant alors aux mains de l'industriel. Un incendie extrêmement violent s'est déclaré sur la partie avant du navire. L'opération de réparation a consisté à la remplacer par la partie avant de l'ancien Saphir, récemment désarmé. Le bateau est aujourd'hui en fin d'entretien à Toulon et devrait reprendre la mer pour ses essais en début d'année 2023, conformément aux délais prévus.
L'incendie de la Perle a amené à des réflexions sur la manière dont les industriels concevaient la sécurité incendie de nos bateaux. Nous sommes plus exigeants, notamment par une vérification accrue de la qualité des travaux effectués par les sous-traitants. Par ailleurs, nous avons durci l'intervention de l'Etat via les marins pompiers des ports et le bataillon des marins pompiers de Marseille. Nous avons pu constater à quel point nous avons progressé dans ce domaine.
S'agissant de la préparation opérationnelle des équipages en jours de mer, j'ai souhaité depuis ma prise de fonctions changer profondément la façon dont nos équipages s'entrainent. Compte tenu de l'intensité du réarmement naval et du comportement de nos compétiteurs, il faut se projeter pour avoir un coup d'avance. C'est ce qui a été fait avec l'exercice Polaris, réalisé en novembre 2021, qui constitue un bouleversement par rapport aux entrainements scénarisés, où les équipes font leurs gammes. Je veux que nos marins s'entraînent dans les conditions les plus proches du réel. Il nous faut plus d'agilité et développer une approche du combat qui est une adaptation permanente, en boucle courte, à l'ennemi, aux avaries, et au brouillard de la guerre. Si nous n'avons plus de telle ou telle arme, nous devons recourir aux brouilleurs, aux forces spéciales, aux avions... Nos exercices visent à nous mettre en difficulté, pour les forcer à s'adapter.
S'agissant des fonds marins, deux ans de travail avec l'état-major des armées et le cabinet du ministre ont conduit à la mise au point d'une stratégie dont les trois axes sont « connaître, surveiller et intervenir ». Connaître d'abord car nous ne connaissons que 2% des océans avec une précision métrique. De nombreux endroits sont encore très mal cartographiés.
Il faut également surveiller car le nombre d'infrastructures sous-marines à protéger est extrêmement important. J'y reviendrai.
Il nous faut enfin être capable d'intervenir. Les fonds de plus de 6 000 mètres représentent 97 % des fonds marins, ce qui impose d'être en mesure d'intervenir à cette profondeur.
Il nous faut déterminer dans quel secteur des moyens militaires sont nécessaires. L'objectif est de développer nos cas d'usage avec une bonne compréhension des interfaces entre l'industrie et la marine. Nous devons travailler avec les sociétés spécialistes des câbles sous-marins, comme Orange Marine, leader mondial en la matière, qui dispose de nombreuses compétences s'agissant de la pose, de la réparation et de l'entretien de ces câbles. Nous devons disposer de moyens spécifiques pour observer et interdire les éventuelles actions malveillantes.
Lors de la mission Calliope, entre le 6 et le 14 octobre, un drone sous-marin a été mis en oeuvre depuis le Beautemps-Beaupré pour surveiller des câbles sous-marins et à évaluer nos cas d'usage. La question de l'industrie et du marché est évidemment centrale. Il nous faut viser la cohérence entre les capacités de nos industries et les besoins militaires des armées.
Concernant votre question sur les systèmes quantiques embarqués, vous faites référence à l'expérimentation GIRAFE (gravimètre interférométrique de recherche à atomes froids embarquable), qui est un capteur de pointe permettant de réaliser de la gravimétrie. Cette technologie permet de déceler dans les fonds marins des anomalies gravimétriques, c'est-à-dire des zones où la force d'attraction terrestre est plus forte et d'autres où elle est plus faible. Si l'on sait localiser ces points singuliers, nos systèmes inertiels peuvent être réajustés de façon discrète, sans avoir besoin d'utiliser de systèmes externes. C'est donc une innovation qui présente un intérêt pour la Marine
S'agissant du recrutement des femmes dans la Marine, nous développons depuis 20 ans une politique de mixité. En juin 2022, on comptait 15,7 % de femmes dans les armées françaises. Cette proportion est encore relativement faible et nous travaillons à ouvrir toutes les filières, comme ça a été le cas pour les sous-marins. Ainsi, six femmes seront prochainement embarquées dans des sous-marins de type Barracuda.
Concernant les marins originaires d'outre-mer, ils représentent 3,2 % de nos effectifs. Ils viennent principalement de la Réunion, de la Polynésie Française, et des Antilles. S'engager dans nos forces représente pour ces jeunes un moyen d'avoir une expérience au-delà de leur horizon immédiat.
S'agissant de la dronisation de la marine, le développement est en cours. Nous en voyons aujourd'hui les effets. Un drone Schiebel a ainsi été embarqué sur des porte-hélicoptères amphibie (PHA). Ce drone a été pour la première fois utilisé, en relai d'un hélicoptère, dans le cadre d'une opération de lutte anti-drogue réalisée au large du Sénégal. A plus long terme, nous sommes très intéressés par les perspectives de drones de combat embarqués sur porte-avions, qui permettraient de disposer d'un groupe aérien mixte.
Il nous faut également réfléchir aux drones de surface, sujet sur lequel nous sommes en discussion avec la DGA. Les Etats-Unis sont très avancés sur ce sujet. Une piste est de développer des drones d'escorte de nos bateaux. Ceux-ci seraient des « loyal wingman », c'est à dire des ailiers fidèles utiles.
Pour avancer dans le domaine de l'innovation, nous avons pour ambition d'aligner les intuitions tactiques avec les intuitions techniques. Cela ne se substitue pas aux études amont, mais vise à les faire aboutir. En travaillant avec les grandes industries, l'idée est de profiter des grands exercices pour conduire des expérimentations et aboutir au développement incrémental des plateformes. Concrètement, pourrait ainsi être testé dans un grand exercice un nouveau type de brouilleur ou une arme à énergie dirigée sur une frégate.
Plus d'un milliard d'euros doit être consacré à l'innovation. La marine en dispose en propre de 5 %, soit un montant de l'ordre de 55 millions d'euros. Ce chiffre est modeste, mais nous tirons bénéfice d'études amont dans d'autres secteurs (aéronautique, armes, systèmes de communication). Il faudrait faire un agrégat des retombées des études amont concernant la marine, qui dépasse ces 5 %.
S'agissant du projet de nouveau porte-avions, nous en discutons régulièrement avec nos camarades britanniques, italiens et américains. Des mots même de l'amiral Gilday, mon homologue américain, « the carriers are the most survivable plateforms ever built ». Un groupe aéronaval est un summum de protection. Par ailleurs, si le concept de porte-avions était dépassé, les Américains n'en construiraient pas 11, les Britanniques, les Italiens et les Turcs deux. Sans oublier les Chinois qui débutent la construction de leur 4ème porte-avions, qui sera potentiellement à propulsion nucléaire. Ce discours peut s'appliquer à toutes les capacités dont nous disposons.