Intervention de Alain Richard

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 24 novembre 2022 : 1ère réunion
Examen du rapport sur l'avenir de l'eau rapporteurs : catherine belrhiti cécile cukierman alain richard jean sol

Photo de Alain RichardAlain Richard, rapporteur :

Je vais aborder la question de l'organisation collective de notre politique de l'eau. Il convient de distinguer deux dimensions : le « petit cycle » et le « grand cycle » de l'eau.

Le « petit cycle » de l'eau désigne les opérations menées autour des usages domestiques : pompage, potabilisation, stockage puis distribution, jusqu'au rejet des eaux usées dans les réseaux d'assainissement et leur traitement en station d'épuration avant restitution à la nature.

La politique du « petit cycle » est très ancienne. La fourniture d'eau potable est un service public historiquement organisé par les communes, qui ont construit le réseau d'approvisionnement pour leurs administrés. L'assainissement collectif est également un service public local par excellence, qui n'a pas totalement fait disparaître l'assainissement non collectif, qui couvre encore 15 % de la population, et s'effectue sous le contrôle des collectivités. Les communes se sont souvent regroupées entre elles au sein de syndicats de communes pour fournir ces deux catégories de services. Désormais, ces services sont placés sous la responsabilité politique et financière des établissements publics de coopération intercommunale. Ils peuvent être assurés en régie directe ou exploités en concession ou délégation de service public.

Le « grand cycle de l'eau » désigne l'eau « dans la nature ». La politique en direction du grand cycle de l'eau revêt une multitude d'aspects : prévention des inondations, restauration des berges, préservation de la biodiversité fluviale et aquatique, infiltration de l'eau dans les nappes.

On a tendance à penser que le petit cycle de l'eau concerne plutôt la qualité de l'eau et le grand cycle concerne la gestion quantitative de la ressource mais il faut sortir de cette vision. Les questions de qualité et de quantité se répondent. Pour fournir l'eau potable, il faut à la fois une ressource suffisante, mais aussi une protection des captages. Les rejets des stations d'épuration influent sur la vie aquatique, mais contribuent aussi au soutien d'étiage, qui peut par exemple être utile, en aval, en particulier en période de tension sur l'irrigation.

Les collectivités territoriales interviennent également dans les politiques publiques du grand cycle de l'eau, par exemple pour la protection contre les inondations, mais aussi pour faire du soutien d'étiage ou encore favoriser l'irrigation, bien souvent en se regroupant au sein de syndicats mixtes ou en participant aux établissements publics territoriaux de bassin, comme l'établissement public territorial de bassin des lacs de Seine, qui gère les quatre grands lacs en amont de Paris.

Là aussi, le regroupement de collectivités est nécessaire afin de disposer d'une capacité d'action suffisante pour assurer correctement ces missions et pour organiser une action cohérente et bien coordonnée. C'est la poursuite de ce raisonnement qui a conduit à confier la mission GEMAPI, globalisée, aux EPCI.

Si les collectivités locales sont l'échelon indispensable de mise en oeuvre sur le terrain des actions sur l'eau, la politique de l'eau repose sur un système, qui doit faire notre fierté, mis en place en 1964 avec pour chaque bassin hydrographique un comité de bassin et une agence financière de bassin, dénommée désormais Agence de l'eau, chargée de financer les travaux d'intérêt commun à partir de redevances prélevées sur les usagers de l'eau. Dès 1964 ont ainsi été posés des principes de gouvernance qui n'ont depuis pas varié.

La politique de l'eau se structure au niveau des bassins hydrographiques, qui forment un ensemble géographiquement cohérent, délimité par les lignes de partage des eaux des grands fleuves et de leurs affluents, voire des plus petits comme pour le bassin Artois-Picardie, plutôt que par des frontières administratives départementales. Ce découpage en districts hydrographiques est repris par la directive cadre sur l'eau. C'est à l'échelle des bassins que l'on met en oeuvre la solidarité territoriale amont-aval.

Les financements en faveur de l'eau sont concentrés pour l'essentiel au niveau des Agences, qui collectent les redevances payées par les usagers de l'eau et redistribuent l'argent collecté pour soutenir des projets jugés prioritaires, dans le cadre d'une programmation pluriannuelle qui en est au 11ème programme pour la période 2019-2024.

La prise de décision repose sur une large concertation des parties prenantes : État, collectivités territoriales, et usagers de l'eau, représentés dans les Comités de bassin. Ce modèle pluraliste a été repris au niveau national avec le Conseil national de l'eau (CNE).

Enfin, l'action sur l'eau s'inscrit dans le cadre d'une planification de bassin, avec les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), déclinés par sous-bassin au sein de SAGE élaborés là aussi collectivement, grâce aux commissions locales de l'eau (CLE).

L'État central, assure pour sa part un pilotage national de la politique de l'eau à travers son pouvoir réglementaire, ses capacités d'expertise, et applique des orientations négociées à l'échelon européen et contenues dans plusieurs directives - directive cadre sur l'eau, directive eau potable, directive milieux marins - qui visent deux objectifs : un haut niveau de sécurité sanitaire et un haut niveau de protection des milieux aquatiques.

La gouvernance de l'eau, malgré une certaine complexité, est jugée globalement satisfaisante et, durant les auditions, aucun interlocuteur n'a exprimé la volonté de bouleverser le système des Agences de l'eau ou de planification à travers les SDAGE. Cette « démocratie de l'eau » n'empêche pas des conflits réels et des tensions. Certains comités de bassin ont du se réunir plusieurs fois pour parvenir à un consensus sur le 11ème programme d'intervention des Agences. Les votes ont souvent été très partagés.

Les interrogations les plus fortes portent plutôt sur la viabilité à long terme du modèle économique des Agences de l'eau et du financement public de la politique de l'eau. Les moyens financiers sont en effet mobilisés essentiellement par les collectivités territoriales et les Agences, ces dernières encaissant un peu plus de 2 milliards d'euros de redevances, dont plus de 80 % sont payés par les usagers sur leur facture d'eau.

Une large part des aides des Agences retournait au petit cycle de l'eau sous forme d'aide à la modernisation des réseaux d'eau potable, d'aide à la protection des captages ou encore d'aide à l'amélioration de la performance des stations d'épuration. Les besoins liés au petit cycle de l'eau n'ont pas disparu, avec un sous-investissement chronique, qui se traduit par des fuites sur les réseaux. Le taux de renouvellement des canalisations est de l'ordre de 0,65 % par an, ce qui induit une durée de vie des réseaux de 150 ans ! Dans le même temps, les besoins liés au grand cycle de l'eau, comme la préservation des zones humides, la construction de retenues ou encore la préservation de la biodiversité, se sont accrus.

Se pose ainsi un double problème de volume de moyens déployés et de répartition de l'effort. La sécheresse de l'été 2022 a mis en lumière un besoin d'investir davantage pour l'eau et les milieux aquatiques et le Gouvernement a annoncé pour y répondre une rallonge de 100 millions d'euros pour les Agences. Mais les Agences sont pénalisées par le système du plafond mordant : elles ne conservent pas la totalité de leurs recettes. Leurs dépenses sont également plafonnées, avec un contrôle financier particulier. En réalité, il faut une réponse structurelle. À la demande du Gouvernement, j'avais été associé avec un collègue député de la Corrèze, Christophe Jerretie, pour travailler sur ce sujet. Nous partions du constat que, depuis les deux dernières programmations financières des Agences, les dépenses des Agences avaient été déplacées du petit cycle de l'eau vers le grand cycle. Les subventions se réduisant, l'autofinancement supporté par les intercommunalités a dû augmenter. Sous le vertueux motif de ne pas augmenter les redevances, les collectivités ont dû trouver elles-mêmes les ressources pour poursuivre leurs programmes d'investissements. Plutôt que de continuer à solliciter davantage les usagers domestiques, qui sont déjà les plus gros financeurs de la politique de l'eau, ou de chercher auprès des agriculteurs des recettes nouvelles alors que le secteur agricole reste financièrement fragile, nous avions alors proposé d'élargir à la biodiversité la fiscalité des Agences de l'eau, en leur attribuant une part supplémentaire de taxe d'aménagement, qui bénéficie aujourd'hui aux départements, à hauteur de 200 à 250 millions d'euros par an. C'est une piste légitime car on continue à urbaniser et cela pèse sur la biodiversité.

Il faut trouver des sources nouvelles de financement sans augmenter encore la contribution des usagers domestiques. Et il ne faut pas compter sur l'augmentation des volumes pour accroitre les recettes, puisqu'au contraire, la consommation d'eau par habitant tend à baisser peu à peu, de l'ordre de 0,5 à 1 % par an. L'équation financière d'une politique de l'eau plus ambitieuse est donc bien difficile mais elle doit être résolue, faute de quoi on risque de devoir abandonner certaines actions.

Pour finir, il convient de se pencher sur les données sur l'eau dont nous disposons et qui sont essentielles pour piloter une politique de l'eau avec pertinence. Le système d'information sur l'eau est remarquable et beaucoup d'informations sont publiques. Elles permettent précisément de faire vivre cette « démocratie de l'eau », de décider en étant éclairés, et d'exercer un contrôle concitoyen, notamment sur la qualité de l'eau.

Mais avec le changement climatique, nous allons devoir encore renforcer la surveillance des cours d'eau, le niveau des nappes et développer des analyses prospectives plus poussées. Nous avons par exemple du construire un système pour mieux connaître les micro-polluants et permettre aux stations d'épuration de mieux les traiter.

On ne peut que saluer la décision prise d'actualiser Explore 2070 par une nouvelle étude « Explore 2070 2 », dont la restitution finale devrait intervenir en 2024 mais dont les résultats provisoires permettent de discuter d'ores et déjà localement des plans territoriaux de gestion de l'eau et de mettre au point des stratégies locales pertinentes de gestion de l'eau à long terme.

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