Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais, au nom du groupe Les Républicains, faire quelques observations.
Cela fait maintenant plusieurs années que le Sénat appelle de ses vœux une loi de programmation pour la sécurité intérieure. Ce texte est peut-être sur le point d’aboutir puisque la commission mixte paritaire aura lieu jeudi prochain.
Au-delà des quelques appréciations positives, l’examen des crédits de cette mission nous a fait identifier des points de vigilance.
Nous voulons insister sur la nécessité de fortifier dans la durée les capacités opérationnelles des forces de sécurité intérieure, c’est-à-dire que ces efforts doivent impérativement se poursuivre jusqu’à la fin du quinquennat.
En effet, il ne faut pas oublier que nous allons organiser très prochainement deux grands événements sportifs, à savoir la Coupe du monde de rugby en 2023 et les jeux Olympiques en 2024, ce qui nécessitera le déploiement en bonne et due forme de moyens importants. Il ne s’agira pas de lésiner sur la sécurité à ces occasions.
Par ailleurs, l’augmentation des effectifs ne devra pas se faire au détriment des dépenses d’investissement et de fonctionnement, comme l’a souligné Philippe Dominati voilà quelques instants.
Aussi, je nous encourage à être particulièrement vigilants, quasi quotidiennement, sur l’affectation de ces crédits. Faut-il le rappeler, le contexte budgétaire de notre pays est extrêmement contraint et le Conseil d’État a émis dans deux avis des inquiétudes concernant cette Lopmi.
J’en viens aux points positifs.
La dernière loi de programmation sur les moyens du ministère de l’intérieur datait un peu, puisqu’elle portait sur la période 2011-2013. Nous aurions préféré avoir une Lopmi plus rapidement, mais elle est enfin là : tant mieux ! Nous devons admettre que ces 15 milliards d’euros supplémentaires budgétés sur cinq ans représentent un effort substantiel.
Pour autant, ce budget doit être non pas conjoncturel, mais structurel. Rien ne serait pire pour nos services de sécurité que d’être victimes d’une politique erratique.
Plusieurs objectifs pluriannuels du projet de Lopmi doivent être retenus.
D’abord, les crédits affectés à la police et à la gendarmerie passeraient d’environ 21 milliards d’euros en crédits de paiement à plus de 25 milliards d’euros en 2027, soit une hausse significative, de plus de 20 %.
Ensuite, est prévue une hausse des dépenses de personnels de 5, 8 % pour les deux forces. Ainsi, Mme la Première ministre a annoncé le 6 septembre dernier la création de 8 500 postes de policiers et de gendarmes d’ici à 2027.
En outre, il faut souligner une mise à niveau des équipements : acquisition de gilets tactiques, développement de solutions opérationnelles comme le PC Storm, pour permettre aux forces de sécurité de communiquer via un outil unique et sécurisé, dans l’attente du déploiement du réseau Radio du futur prévu dans ce même projet de Lopmi, acquisition de caméras-piétons, etc. Cette mise à niveau des équipements est absolument essentielle.
Enfin, je n’oublie pas la montée en puissance des réserves opérationnelles de la police, avec 8, 4 millions d’euros en 2023, et de la gendarmerie, avec plus de 14 millions d’euros.
À ce stade, je voudrais évoquer deux sujets particuliers en matière technologique.
D’abord, l’enjeu crucial que représente le numérique. Près de 8 milliards d’euros y ont été affectés par le projet de Lopmi, soit quasiment la moitié du budget total que celui-ci prévoit. Ce n’est pas une petite affaire, si vous me permettez cette expression. Il faut poursuivre le développement de nos capacités numériques, au travers des terminaux NÉO, des ordinateurs portables Ubiquity, etc.
Il faut également développer le dépôt de plainte en ligne. Nous avons déjà expérimenté la procédure de pré-plainte, mais il faut aller beaucoup plus loin pour plus d’efficacité.
Enfin, nous devons mettre l’accent sur les applications permettant d’accroître le nombre d’actes de procédure que peuvent réaliser nos policiers et gendarmes en mobilité, en évitant à tout prix le fiasco du logiciel Scribe.
Le second sujet concerne l’intelligence artificielle : où en est-on ? Il n’existe pas, à ce jour, de cadre juridique adapté à l’usage des technologies de reconnaissance biométrique dans l’espace public.
Une mission d’information du Sénat menée par MM. Marc-Philippe Daubresse, Arnaud de Belenet et Jérôme Durain, a rendu un rapport, le 10 mai dernier, intitulé La reconnaissance biométrique dans l ’ espace public : 30 propositions pour écarter le risque d ’ une société de surveillance. Cette source pourrait être utile au Gouvernement en prévision, notamment, des grands événements sportifs que j’ai évoqués, mais pas seulement. En tout état de cause, nous devons être prêts à créer ce cadre adapté pour les jeux Olympiques de 2024, en fixant naturellement des lignes rouges à ne pas franchir, comme l’ont proposé nos rapporteurs.
Je terminerai en évoquant la question sensible de la réforme de la police judiciaire.
Peu de gens en parlent, même si une mission au sein de la commission des lois du Sénat est en cours. À l’occasion de ce débat budgétaire, le groupe Les Républicains voudrait insister, au-delà de la réforme, sur la crise des vocations qui touche la police judiciaire. Ce constat est partagé par tous. Ces difficultés de recrutement tiennent non pas à un désintérêt pour ces fonctions, mais aux difficiles conditions de travail. Il faut bien reconnaître que ces personnels sont disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, compte tenu des enjeux exceptionnels auxquels ils sont confrontés pour assurer leur mission à notre service.
Nous voulons donc profiter de l’occasion offerte par ce débat pour rappeler, alors que les discussions s’ouvrent sur la réorganisation de la police judiciaire, cette problématique de la crise des vocations, véritable point de vigilance. Il faut poser les problèmes sérieusement sur la table pour que notre police judiciaire, qui est un exemple, disons-le, puisse continuer d’exercer dans l’excellence, en poursuivant avec succès les voyous auteurs des infractions les plus graves.
Pour conclure, je dirai que les efforts sont là, mais que nous devons rester vigilants. L’efficacité des moyens mis en place pour notre sécurité dépend aussi de la continuité de la chaîne pénale, c’est-à-dire des moyens qui seront affectés à la justice pour donner des suites aux opérations menées par nos services de sécurité. Nous examinerons justement la mission « Justice » cet après-midi. N’oublions pas que c’est un ensemble qu’il s’agit de faire fonctionner harmonieusement. Autrement dit, le doublement des effectifs sur la voie publique n’a de sens que si les effectifs des services judiciaires traitant les enquêtes et des juridictions sont augmentés proportionnellement. Il y a un lien direct, chacun le comprend bien.
Au bénéfice de ces observations, le groupe Les Républicains suivra les avis favorables du rapporteur spécial, M. Philippe Dominati, et de nos deux rapporteurs pour avis de la commission des lois, M. Henri Leroy et Mme Françoise Dumont. La courtoisie aurait voulu, madame, que je vous cite en premier. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser.