Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, première traduction financière du projet de Lopmi, présenté par ce gouvernement, le budget de la mission « Sécurités » voit les crédits alloués à ce volet de l’action publique fortement augmenter. Nous devrions nous en réjouir, mais nous ne sommes pas là pour ne regarder que le chiffre en bas du tableau. C’est bien la répartition et l’utilisation de ces fonds qui interrogent notre groupe.
Lors des longs débats que nous avons eus autour du projet de loi de programmation, nous avons pu exposer notre vision des forces de l’ordre : au service des citoyens et au plus proche d’eux.
Lors de cet examen, nous avons bien voté l’article comprenant la trajectoire d’augmentation des crédits alloués aux serviteurs de l’État, saluant cet effort substantiel, pour reprendre les termes du président Buffet, mais pas le rapport qui en décrivait l’usage. Les forces de sécurité de notre pays sont, à l’instar d’autres fonctionnaires comme les soignants de l’hôpital public, les enseignants ou les magistrats, parfois bien maltraités par l’État employeur.
Ce sentiment d’abandon, de manque de moyens, d’accompagnement, de formation, aggravé par la politique du chiffre et des missions aussi chronophages qu’inutiles, se traduit, hélas, par l’épuisement de nos forces de l’ordre. Songez que 24 % des gendarmes ou policiers déclarent être confrontés à des pensées suicidaires. C’est cela qui devrait être la priorité.
Nous avons bien perçu la continuité d’une politique, plus répressive que protectrice, qui ignore tant les liens de confiance à renforcer avec la population que cette immense souffrance au travail de nos forces de l’ordre, lesquelles s’engagent pourtant pour agir auprès de la population, avec la population, pour la population.
Ce gouvernement préfère allouer l’argent public à la numérisation, à une robotisation outrancière, une modernisation de façade, qui oublie les problèmes du quotidien, à la fois des citoyens et des agents.
La numérisation ne simplifie la vie que d’une partie de la population : l’illectronisme est une réalité qui touche 13 millions de personnes en France. Ne les laissons pas à la porte de nos services publics !
Je profite d’être à cette tribune pour m’associer aux craintes évoquées par de nombreux parlementaires sur un tel investissement dans la technologie, et ce au regard du fiasco qu’a été le déploiement du logiciel Scribe.
Alors, certes, il faut reconnaître que la menace numérique s’accroît. Aussi, nous nous réjouissons du renforcement des services de lutte contre la cybercriminalité. Nous saluons l’ensemble des agents qui ont récemment permis l’interpellation de plusieurs cyberpédocriminels.
Nous nous félicitons également de l’engagement gouvernemental de répondre enfin au problème de la vétusté des locaux, qui n’est pas sans conséquence non seulement pour les forces de l’ordre, mais aussi pour les gardés à vue, comme l’a très justement souligné Dominique Simonnot.
Cet effort en faveur de conditions de travail dignes est essentiel pour renforcer aujourd’hui les liens avec les citoyens.
Nos craintes restent les mêmes depuis l’étude du projet de Lopmi : un développement de façade d’une police structurée autour du tout-répressif ; une multiplication de nouvelles compagnies de CRS calibrées, nous dit-on, pour faire face aux grands événements que notre pays s’apprête à accueillir, mais sans repenser notre doctrine de maintien de l’ordre, qui a pourtant brillé par sa médiocrité devant le monde entier lors d’un grand événement au printemps dernier.
L’évolution des dépenses de fonctionnement et d’investissement entre la police et la gendarmerie diffère : elles augmentent ainsi significativement pour la police nationale, mais diminuent pour la gendarmerie nationale.
Nous défendons une police de proximité, essentielle pour renouer le lien de confiance avec les citoyens. Ce sont donc bien les missions que l’on doit questionner avant l’allocation des moyens.
Le tout-répressif et la culture du chiffre ont leurs limites, mais ce budget est loin de dresser un tel constat.
Pour ce qui est des missions inutilement consommatrices de forces et de moyens, l’exemple de la lutte contre le cannabis est emblématique de l’impasse d’une politique antidrogue inefficace. Malgré tous les coups de filet, les points de deal démontés, toutes les amendes forfaitaires, vous vous heurtez toujours au même problème : les Français aiment ce produit et en sont toujours parmi les plus grands consommateurs d’Europe. Votre politique ne tient que par votre dogmatisme et ne fait qu’épuiser les troupes.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaite traduire dans ce budget des propositions que nous avions faites dans le cadre du débat sur le projet de Lopmi, propositions qui avaient reçu le soutien du Gouvernement, à savoir le développement des officiers de liaison LGBTQI ou encore la formation au tir.
Nous proposerons aussi la création d’une réelle autorité administrative indépendante chargée de la déontologie de nos forces de l’ordre.
Sur le volet sécurité civile, notre déception est grande. Comme partout ailleurs, les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux liés au changement climatique. Ils ne permettent pas de construire une première ligne solide face aux périls qui viennent.
Le budget de la sécurité civile n’est de nature, selon nous, ni à répondre au besoin réel de prévenir les risques accrus à venir ni à compenser les dégâts subis cet été. Le renforcement des moyens de lutte contre les incendies est bienvenu, certes, mais son niveau est insuffisant dans un contexte inflationniste.
Dans l’ensemble, ce budget ne nous convient pas. Nous restons dubitatifs, au même titre que le Conseil d’État, qui a également déploré un manque de données sur la situation et l’évolution des phénomènes d’insécurité et de délinquance au cours des dernières années, ainsi qu’une absence d’évaluation des dernières lois sécuritaires adoptées depuis 2018.
Aussi, notre groupe ne pourra voter les crédits de la mission « Sécurités ».