Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 25 novembre 2022 à 14h30
Loi de finances pour 2023 — Justice

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en ce qui concerne le budget de la justice, vous me permettrez de commencer par un constat, celui qui a été dressé par le comité des États généraux de la justice : le service public de la justice est une institution qui traverse une crise majeure. C’est un bateau naufragé, qui n’a pas coulé à pic, mais qui a pris l’eau progressivement, au fil d’années de restrictions budgétaires. La crise sanitaire a, de ce point de vue, agi comme un révélateur de ses dysfonctionnements.

C’est sous cet angle que nous devons analyser le budget qui nous est proposé pour l’année 2023, pour toutes les composantes de la justice : la protection judiciaire de la jeunesse, l’administration pénitentiaire, la justice judiciaire, le secrétariat général du ministère et le Conseil supérieur de la magistrature.

Point positif, ce budget augmente, pour atteindre 11, 6 milliards d’euros. En dix ans, les crédits alloués à la justice auront augmenté de plus de moitié. Pour ce qui concerne les effectifs, 10 000 postes devraient être créés d’ici à 2027, dont 1 500 de magistrats et 1 500 de greffiers. Les hausses successives sont absolument essentielles pour remédier aux défaillances de ce service public.

Pour citer les propos de Jean-Marc Sauvé, président du comité des États généraux, « on ne peut plus continuer d’appliquer une multitude de rustines à une chambre à air dont on n’a pas voulu voir qu’elle était totalement usée. » Une réforme systémique s’impose, tant sur le fond que sur le plan du budget.

Monsieur le ministre, la future loi de programmation qui, je l’espère, nous sera prochainement présentée devra consacrer cette trajectoire. Il ne s’agira bien sûr pas de vous donner un blanc-seing ! L’augmentation significative des moyens du ministère de la justice depuis plusieurs années doit s’accompagner de la diffusion d’une réelle culture de l’évaluation des dépenses réalisées.

Telle que je la conçois, une loi de programmation ne doit pas simplement consister en la définition d’indicateurs de performance et de lignes de crédits et d’emplois. Elle doit être l’occasion, pour le ministère concerné, de s’interroger sur le sens des politiques publiques qu’il mène, sur la qualité du service public qu’il soutient et sur sa propre gestion des moyens, budgétaires comme humains.

À cet égard, la future loi de programmation des moyens de la justice ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur l’amélioration de la gestion et sur la construction d’indicateurs de suivi fiables. Le ministère s’est trop longtemps retrouvé « dans l’incapacité de relever les défis d’une gestion rigoureuse », pour reprendre de nouveau un constat des États généraux.

Prenons l’exemple du plan de transformation numérique de la justice (PTN), initialement doté de 530 millions d’euros. Il est inconcevable que, comme elle l’a admis dans un rapport remis à la demande de la commission des finances, la Cour des comptes ait rencontré d’importantes difficultés pour reconstituer les dépenses budgétaires exécutées au titre du PTN !

L’informatique fait d’ailleurs partie, avec l’immobilier et la gestion des ressources humaines, des trois chantiers qui doivent être menés à bien pour soutenir le service public de la justice.

Je suis en effet convaincu que l’institution judiciaire ne sortira pas de sa crise majeure si elle ne s’interroge pas sur la gestion de ses fonctions support, qu’il faut rapprocher des utilisateurs, avec un impératif : mieux prendre en compte les besoins des usagers de la justice, qu’il s’agisse des personnels, des justiciables ou des professionnels du droit, tels que les avocats.

En ce qui concerne l’informatique, un second plan de transformation numérique est amené à prendre la suite du premier, établi pour la période 2018-2022. La commission des finances avait entendu la Cour des comptes sur sa mise en œuvre au mois de février dernier.

Soyons clairs : si le premier plan de transformation numérique était un plan de rattrapage, le second devrait être celui de la modernisation. Pour réussir, il devra non seulement être doté de moyens budgétaires suffisants, mais également tenir compte de plusieurs impératifs.

Il devra tout d’abord pleinement inclure les usagers et leurs besoins, alors que le malaise grandit au sein des juridictions sur les outils numériques. Il n’est pas normal que la modification de certains systèmes d’information oblige désormais les magistrats et les greffiers à ressaisir manuellement certaines données !

Ensuite, le second PTN devra conduire à une véritable interopérabilité des systèmes d’information du ministère. Par exemple, aucune application ne permet aujourd’hui de fournir des données sur le parcours complet des mineurs pris en charge par la justice. Le décloisonnement des applications devra donc s’opérer en interne, mais aussi en externe, avec le ministère de l’intérieur par exemple, ainsi qu’avec les professionnels du droit, comme les avocats.

Le deuxième enjeu est celui de la professionnalisation de la gestion des ressources humaines. Je suis convaincu que le pilotage des ressources humaines n’est pas seulement une question d’augmentation des effectifs : il implique également de prendre en compte les questions relatives au vivier de recrutement ou à la revalorisation de certains métiers en perte d’attractivité. Il s’agit là d’un enjeu capital, qui ne peut se contenter d’une seule réflexion sur la rémunération.

J’en viens à la troisième fonction support : l’immobilier. Le plus grand chantier du ministère est, bien sûr, celui de la construction de 15 000 places de détention supplémentaires, sous l’égide de l’administration pénitentiaire. Je reste toutefois persuadé – nous aurons l’occasion de vous entendre à ce sujet, monsieur le garde des sceaux, lors de la discussion de l’article 44 ter – qu’une politique pénitentiaire ne peut se résumer à une politique immobilière.

À l’inverse, la politique immobilière du ministère ne peut se résumer au « plan 15 000 ». Les programmes de rénovation, que ce soit des tribunaux judiciaires ou des établissements de détention, sont absolument cruciaux. Ils participent aussi de la valorisation des magistrats, des greffiers ou des surveillants pénitentiaires. Au regard des missions absolument essentielles que ceux-ci accomplissent, nous leur devons d’améliorer leurs conditions d’exercice.

Telles sont, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler sur le projet de budget du ministère de la justice. Compte tenu de l’effort budgétaire consenti pour la mission, j’ai proposé de l’adopter à la commission des finances, laquelle a souhaité suivre mon avis à l’unanimité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion