Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au travers de la mission « AGTE », le ministère de l’intérieur met en œuvre trois de ses responsabilités fondamentales : garantir l’exercice des droits des citoyens, assurer la présence et la continuité de l’État dans le territoire et mettre en œuvre au plan local les politiques publiques nationales.
Notre propos portera principalement sur le programme 354 relatif à l’administration territoriale.
Tout d’abord, le constat du retrait de l’État territorial est unanime. Tout le monde s’accorde à dire que ce dernier se trouve actuellement dans une phase de recul, le dernier rapport de la Cour des comptes sur les effectifs de l’administration territoriale de l’État et le récent rapport d’information de nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche en témoignent.
Ainsi, la Cour des comptes constate que l’administration territoriale de l’État a perdu 14 % de ses effectifs en une décennie et que les baisses subies par les services déconcentrés sont souvent disproportionnées par rapport à celles supportées par les services centraux.
Au surplus, alors que les territoires doivent massivement investir dans les transitions, le ministère de l’écologie a fait le choix de faire peser cette baisse sur les services départementaux.
En définitive, la Cour juge les suppressions au sein des préfectures « irréalistes ». Elle considère que les schémas d’emplois postérieurs à 2008 mettent à mal le renforcement des missions prioritaires des préfectures, d’autant plus que ces dernières ne sont pas définies.
Le rapport de nos deux collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche montre que la chute des effectifs au sein des directions départementales interministérielles (DDI) est de l’ordre de 36 % en dix ans et de 10 % pour les personnels des préfectures et sous-préfectures. Cette baisse drastique et continue a été compensée par le recrutement de personnels contractuels précaires pour de courtes durées, ce qui précarise les agents, désorganise les services et complexifie leur gestion.
La rapporteure spéciale, Isabelle Briquet, abonde également dans ce sens, mettant en exergue la perte de compétences, donc la perte d’expertise de l’État, qui découle de cette stratégie d’économies de moyens.
Visiblement le Gouvernement lui-même partage ce constat. Le projet annuel de performance de la mission indique que l’évolution des moyens dédiés au fonctionnement de l’administration territoriale de l’État « traduit un renforcement de la capacité de l’action de l’État sur le terrain […], mettant ainsi fin à plus de vingt ans de réduction systématique des effectifs départementaux ».
Cependant, ces moyens sont en inadéquation avec le discours de réarmement des territoires que tient le Gouvernement. Quelle est, au fond la doctrine territoriale de l’État ?
Au vu de ce constat unanime, il aurait été logique que le Gouvernement mobilise les moyens nécessaires au renforcement de l’action de l’État dans les territoires. Pourtant, la hausse présentée dans le projet de loi de finances pour 2023 est en trompe-l’œil, car elle est principalement liée, en réalité, à l’augmentation du point d’indice et ne permet pas de répondre aux besoins. Elle représente en réalité un demi-ETP par préfecture. Par ailleurs, la répartition entre les effectifs est floue et ne précise aucun critère de détermination des redéploiements.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que la Cour des comptes a souligné le vieillissement des agents territoriaux, ce qui imposerait logiquement un recrutement échelonné au fil du temps et le développement de l’attractivité dans certaines régions.
Si le nouveau plan, Missions prioritaires des préfectures 2022-2025, marque un changement de philosophie que l’on peut saluer, les moyens alloués peinent à convaincre.
Force est de constater que les délais pour l’obtention des titres d’identité vont croissant et qu’il en est de même pour les demandes de titres de séjour.
Les collectivités n’ont toujours pas pu bénéficier d’un redéploiement d’effectifs en matière de conseil en ingénierie et de contrôle de légalité. À cet égard, la Cour des comptes estime dans un rapport récent que la qualité de contrôle se dégrade. Elle est d’autant plus critique que les recommandations formulées en 2016 n’ont pas été suivies d’effet.
Par conséquent, comme nous l’avons déjà dit les années précédentes, il y a lieu de s’interroger sur la doctrine territoriale de l’État et de réaliser un choix : soit les missions des préfectures sont de même niveau et, dans ce cas, il faut donner à l’administration les moyens de ses ambitions, soit il faut sélectionner, c’est-à-dire clarifier les missions de l’État, et renforcer certains postes.
Or le Gouvernement ne choisit pas, et « l’État touche-à-tout » perdure, sans en avoir les moyens. En conséquence, il dysfonctionne, nourrissant ainsi un sentiment d’abandon dans nos territoires, alimentant les frustrations, qui ont elles-mêmes des effets électoraux délétères.
Peu de domaines de l’action publique ont connu autant de réformes, en nombre comme en cadencement, sans qu’une évaluation soit réalisée à chaque étape.
Il est impératif pour l’État de clarifier son organisation avec ses représentants, comme son rapport aux collectivités territoriales, pour rendre l’action publique lisible et efficace et garantir un service public de proximité, qui est le pilier de notre République.
S’agissant des deux autres programmes de la mission budgétaire, le calendrier électoral de 2023 réduit à raison les crédits du programme 232, « Vie politique ».
Les investissements dans le numérique et l’immobilier, qui sont traduits dans le programme 216, sont positifs, mais d’importants efforts restent à fournir pour les applicatifs utilisés localement.
De même, si la poursuite des investissements en matière de numérique est nécessaire, il reste à évaluer les effets de leur déploiement dans le temps, car le numérique représente à la fois un besoin et une limite de l’État territorial.
Pour conclure, si l’on peut saluer la prise de conscience de l’exécutif sur le nécessaire réarmement de l’État territorial, nous partageons les conclusions de la rapporteure sur l’inadéquation des moyens mobilisés et voterons donc contre l’adoption de cette mission budgétaire.