Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « c’est le même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche » : avancée il y a près de deux siècles, cette image du rôle des préfets comme acteurs de la proximité de l’État est toujours d’actualité.
Le préfet est le bras armé de l’État territorial. Il incarne l’État au plus proche des administrés. Le débat sur l’État territorial, les services déconcentrés et la décentralisation est ancien.
À mesure du mouvement de décentralisation impulsé dans les années 1980, l’administration territoriale de la République a évolué, avec l’émergence des collectivités territoriales. Cette consécration fait apparaître le lien indéfectible entre l’État et ses services déconcentrés, d’une part, et les collectivités territoriales, d’autre part.
La bonne santé du partenariat collectivités-État, aujourd’hui consacré par le couple maire-préfet, conditionne la qualité des politiques publiques, l’exercice des droits et la bonne gestion des ressources publiques au profit des citoyens.
Nous examinons ce soir la mission « Administration générale et territoriale de l’État ». Composée de trois programmes, cette mission est en hausse globale, mais de manière inégale. Néanmoins, cette augmentation n’est pas à la hauteur d’un véritable réarmement de l’État dans les territoires, comme celui qu’appelle de ses vœux notre collègue rapporteure pour avis de la commission des lois, Cécile Cukierman.
La Haute Assemblée dresse ce constat depuis plusieurs années, et la bonne réception de ce message est de bon augure. Toutefois, les moyens nouvellement alloués n’effacent pas une décennie de recul de l’État dans les territoires. En effet, les sous-préfectures ont perdu un quart de leurs effectifs physiques entre 2012 et 2019, alors que les besoins ne cessaient de s’accroître.
Ces efforts salutaires ne sont pas suffisants. Et au-delà de la simple inscription budgétaire, la réflexion doit porter sur le rôle même de l’État territorial.
Comment rompre avec le sentiment d’abandon des agents et des usagers et rétablir la confiance en un État territorial performant ?
Comment mieux associer les élus de terrain aux transformations et leur redonner de la lisibilité sur l’action de l’État dans les territoires ?
Comment donner une cohérence à l’enchevêtrement des réformes successives, jamais évaluées et empilées les unes après les autres ?
Avec mon collègue Éric Kerrouche, j’ai récemment publié un rapport d’information, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, dont le titre est signifiant : À la recherche de l ’ État dans les territoires.
En nous fondant sur une large consultation, tant d’élus des territoires que d’agents de l’État, nous avons étayé ce que nous déplorons, depuis longtemps, au Sénat : une succession, depuis quinze ans, de réformes administratives, qui transforment sans inclure suffisamment les acteurs concernés. Près de quatre élus sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux dernières réformes des services déconcentrés de l’État. Et 43 % des préfets et sous-préfets consultés ont le même sentiment.
Le diagnostic est cinglant : l’État est à la peine face aux attentes des élus locaux. La moitié des maires des communes de moins de 1 000 habitants estime que l’offre de services publics sur son territoire est défaillante. Un nombre croissant de communes se tourne vers le département, l’intercommunalité ou le secteur privé en matière d’ingénierie territoriale.
Aussi, nous avons formulé plusieurs recommandations.
Tout d’abord, il faut ancrer le préfet au cœur de l’État territorial. La crise sanitaire a souligné les bénéfices du couple maire-préfet. Il est nécessaire que le préfet connaisse le territoire, en y restant plusieurs années, qu’il dispose, en période de crise, de l’ensemble des services de l’État et surtout qu’il soit délégué territorial de toutes les agences de l’État.
Ensuite, il est nécessaire d’instaurer une relation de confiance avec les élus locaux, grâce notamment à une plus grande transparence dans l’attribution des subventions de l’État et à une évaluation des préfets par les maires.
Il est aussi indispensable de garantir les moyens de l’État dans les territoires, pour qu’ils soient plus adaptés avec une meilleure répartition des effectifs, la sortie de la logique systémique des appels à projets et un renforcement des moyens du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).
Enfin, il convient d’assurer une présence territoriale adaptée, avec une permanence physique garantie dans les locaux des préfectures et sous-préfectures, pour lutter contre la fracture numérique. Il faut notamment refondre les schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public.
Nos territoires méritent considération, moyens et performances. Il n’y aura pas de bonne décentralisation sans une réelle déconcentration des services de l’État, au service des élus et des administrés.
La mission que nous examinons n’est pas encore sur cette trajectoire. C’est pour cette raison que le groupe Les Républicains ne la votera pas.