Intervention de Emmanuel Capus

Réunion du 28 novembre 2022 à 10h00
Loi de finances pour 2023 — Travail et emploi

Photo de Emmanuel CapusEmmanuel Capus :

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je vais pour ma part aborder le second volet de la mission, à savoir le financement de l’apprentissage et de la formation professionnelle.

Le succès de l’apprentissage, au-delà de toute prévision, est paradoxalement à la source de l’une des difficultés budgétaires majeures de cette mission, avec un poids financier qui dépasse largement celui de toutes les autres actions de ses différents programmes. C’est un sujet d’inquiétude exprimé à de multiples reprises, en commission comme en séance publique, particulièrement à l’occasion des « rallonges » budgétaires successives accordées à France Compétences.

Ces inquiétudes sont légitimes, mais l’apprentissage et la formation professionnelle constituent aussi un enjeu essentiel si nous voulons progresser vers le plein emploi. Or il reste beaucoup de chemin à parcourir, même si la situation s’est améliorée. En effet, par rapport à la fin de 2019, les emplois salariés ont progressé de 800 000 et le nombre de demandeurs d’emploi a diminué de près de 400 000.

Présenté de longue date comme la meilleure voie d’insertion professionnelle des jeunes, l’apprentissage a longtemps stagné. Le nombre annuel de contrats conclus a même baissé de 2012 à 2017, avant de remonter nettement en 2018 et en 2019, puis de « décoller » à un rythme tout à fait inattendu : près de 740 000 contrats ont été conclus en 2021, deux fois plus qu’en 2019, et autant, sinon plus, en 2022.

Sous l’angle budgétaire, la question de l’apprentissage se pose à deux niveaux assez différents. Le premier est celui du soutien de l’État à travers les aides à l’embauche. L’aide exceptionnelle mise en place en 2020 – elle concerne toutes les entreprises, y compris celles de plus de 250 salariés, et les formations allant jusqu’à bac+5 – a certainement joué dans l’essor de l’apprentissage. Mais le coût budgétaire a bondi de 1, 3 milliard en 2020 à 4, 2 milliards en 2021. Pour 2022, le montant sera certainement du même ordre.

La question d’un nouveau paramétrage de cette aide est aujourd’hui posée. Elle fait l’objet de discussions entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, ce qui me paraît tout à fait approprié. Il est certainement nécessaire de faire la part des choses entre de probables effets d’aubaine et les incitations vraiment utiles au maintien de la dynamique actuelle de l’apprentissage.

Il semble exclu de revenir purement et simplement à l’aide unique d’avant 2020, mais nous ignorons, pour l’heure, si l’on s’oriente vers une diminution du montant de l’aide actuelle ou vers un ciblage sur certaines entreprises ou certains niveaux de formation. Peut-être serez-vous en mesure, madame, monsieur les ministres, de donner quelques indications sur les options privilégiées ?

En tout état de cause, tous les contrats conclus avant la fin de l’année 2022 bénéficieront pour un an de l’actuel régime des aides à l’embauche. L’effet budgétaire d’une révision à la baisse ne se fera sentir qu’à l’échéance des contrats actuels et à la conclusion de nouveaux contrats, c’est-à-dire majoritairement sur les quatre derniers mois de 2023. C’est la raison pour laquelle un amendement de réduction de crédits ne me paraît pas nécessairement efficace.

Mais c’est surtout la situation financière de France Compétences qui pose le problème budgétaire le plus difficile. L’État a dû intervenir à hauteur de près de 3 milliards d’euros en 2021, puis de nouveau de 4 milliards d’euros en 2022, ce qui n’évitera pas un déficit estimé autour de 3, 5 milliards d’euros en fin d’année.

Je rappelle qu’à sa création, aucun soutien de l’État à cet opérateur n’a été envisagé. À l’inverse, la loi de 2018 prévoit le versement à l’État, par France Compétences, d’une contribution à la formation des demandeurs d’emploi de 1, 6 milliard d’euros par an depuis 2019.

L’écart s’est rapidement creusé entre les ressources de France Compétences, qui évoluent en fonction de la masse salariale, et ses dépenses, à savoir le financement de l’alternance et celui du compte personnel de formation (CPF), ces deux dispositifs constituant des enveloppes ouvertes.

S’agissant plus particulièrement du CPF, qui représente environ un cinquième des dépenses, un certain nombre de mesures de lutte contre la fraude, de sécurisation et de déréférencement d’organismes ont été prises. Des dispositions législatives figurent dans la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale qui sera discutée au Sénat le 8 décembre.

Le très large éventail de formations finançables rend incontestablement nécessaire une régulation, dont le principe a été introduit dans l’article 49 du projet de loi de finances, rattaché à la mission. Je soutiens ce principe et proposerai de le préciser par un amendement que nous examinerons tout à l’heure.

Par ailleurs, à travers le projet de loi de finances, l’État décharge France Compétences d’une bonne part de la contribution qu’elle lui verse au titre de la formation des demandeurs d’emploi. Comme l’a souligné la Cour des comptes, le niveau de cette contribution paraissait excessif, d’autant que les dotations du plan d’investissement dans les compétences, qu’elle vient abonder, ne sont que partiellement consommées et font l’objet de reports importants.

Une subvention à France Compétences d’un montant de 1, 7 milliard d’euros est inscrite d’emblée dans les crédits de la mission. De ce point de vue, le PLF pour 2023 m’apparaît plus sincère que celui de 2022, qui passait totalement sous silence ce déficit.

L’ensemble de ces mesures atténuent la contrainte financière sur France Compétences, sans pour autant assurer, nous le savons bien, son équilibre financier.

Une révision des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage est intervenue en septembre dernier, pour des économies évaluées à 200 millions d’euros en 2023. Une autre révision doit intervenir en avril 2023. Au-delà, il faudra sans doute définir des priorités en termes de niveau de soutien selon les différents types de structures et de formations.

L’image de l’apprentissage s’est profondément transformée ; c’est un acquis majeur de la réforme qu’il faut préserver. Mais il est maintenant indispensable que l’État, en lien avec les partenaires sociaux, définisse une trajectoire soutenable pour le financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage, sans casser la dynamique en cours.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances vous propose donc, mes chers collègues, comme l’a indiqué avant moi notre collègue Daniel Breuiller, d’adopter les crédits de la mission « Travail et emploi » pour 2023.

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