« Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va, car il ne sait pas où il est. En ce sens, le passé est la rampe de lancement vers l’avenir. » Cette citation résume assez bien la mission budgétaire que nous examinons à présent, mais aussi, et surtout les enjeux qui la sous-tendent.
Plus que jamais, à l’heure où ce qui nous rassemble semble se réduire à une portion congrue tant les tensions qui agitent notre société oubliant ses repères sont importantes et diverses, faire vivre notre mémoire collective revêt une importance toute particulière. Se souvenir de notre histoire, avec lucidité, mais sans fausse honte, avec orgueil, mais sans méchanceté, se souvenir de ceux qui ont combattu, parfois jusqu’au sacrifice ultime, est fondamental. Nous le voyons dans les communes de France : commémoration après commémoration, cette flamme doit être entretenue et transmise aux générations suivantes.
Si la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » voit ses crédits constamment baisser, l’année 2023 se démarque par l’ampleur de la baisse. Comme l’ont rappelé les rapporteurs, deux caps symboliques sont franchis cette année : les crédits de la mission sont désormais inférieurs à 2 milliards d’euros et, pour la première fois, le montant consacré par l’État à la retraite du combattant est inférieur à celui qui est consacré à la demi-part fiscale des anciens combattants et de leurs veuves, principal crédit d’impôt en faveur des anciens combattants. Je salue ici l’amendement de la rapporteure pour avis, adopté en première partie, qui élargit encore le dispositif.
Ainsi, les crédits affectés aux pensions viagères, la retraite du combattant et les PMI poursuivent leur inexorable baisse, encore renforcée par l’inflation. La revalorisation exceptionnelle au 1er janvier 2022 du point PMI n’a pas atteint son objectif, qui était de rattraper l’effet de l’inflation entre 2018 et 2021, à cause d’une hypothèse d’inflation trop faible pour 2021, d’autant moins que le point d’indice, indexé sur les rémunérations publiques, décroche face à l’inflation depuis 2012.
De même, la revalorisation de droit commun de 4 %, qui doit avoir lieu au 1er janvier 2023, est inférieure à l’inflation de l’année 2022.
Les crédits des autres actions sont au contraire en hausse, surtout, mais pas uniquement, en raison de l’inflation. C’est le cas du budget de la JDC, en légère hausse de 1 million d’euros, car la cohorte 2023 est plus nombreuse que les précédentes. Bien que l’année 2023 marque un retour à la normale pour le fonctionnement de la JDC, le coût moyen par jeune devrait rester stable par rapport à 2022. Les crédits du service militaire volontaire sont stables. Dans un cas comme dans l’autre, ces augmentations sont peu significatives, car plus des trois quarts des crédits effectivement utilisés pour ces dispositifs n’apparaissent pas dans cette mission, puisqu’ils relèvent de la mission « Défense », du Fonds social européen et des budgets des collectivités territoriales.
Pour résumer, les dotations de la mission sont installées sur une trajectoire fortement descendante. Le PLF pour 2023, bien qu’il comprenne quelques revalorisations liées à l’inflation, n’inverse pas la tendance. Celles-ci, en effet, ne font que limiter l’incidence sur le budget de la réduction de la population des bénéficiaires des rentes viagères, réduction inexorable au vu de l’âge très avancé d’une majorité d’entre eux. On le voit aussi bien pour les actions relevant du programme 169 que pour celles qui relèvent du programme 158. Les rapporteurs ont donc appelé à l’adoption des crédits de la mission, ce à quoi mon groupe souscrit.
Qu’il me soit permis de rappeler pour autant que nous examinons les crédits de cette mission à quelques encablures du bruit des bombes et des cris qui résonnent en Ukraine, sur un continent ayant déjà connu tant de guerres et de souffrances. Cela appelle deux observations.
L’un des enseignements de la guerre en Ukraine est l’importance fondamentale des forces morales de la Nation. Une réflexion est engagée dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire sur le rôle et le redimensionnement des réserves. Il serait intéressant qu’en parallèle, notamment dans le cadre de la généralisation annoncée du service national universel, une réflexion plus poussée soit menée sur les moyens et les outils les plus efficaces pour ancrer et renforcer le lien entre les armées et la jeunesse. Force est de reconnaître en effet qu’il fait encore trop largement défaut, alors qu’il est la première brique du lien entre les armées et la Nation, dont on redécouvre aujourd’hui le caractère fondamental. La baisse tendancielle des crédits de la mission, causée par la démographie déclinante des bénéficiaires des différentes allocations de reconnaissance de la Nation, pourrait permettre de dégager des marges de manœuvre supplémentaires à cette fin.
L’autre enseignement est la faiblesse du nombre d’armes opérationnelles, et des munitions correspondantes, dont dispose l’armée française. Nous l’avons vu avec l’envoi des canons Caesar. Or son budget, dont l’importance est justifiée par l’ampleur des menaces, est souvent entamé par des dépenses qui ne devraient pas lui être directement imputées, comme celles qui sont afférentes à la JDC ou au service militaire volontaire. Cet arrangement budgétaire m’apparaît néfaste d’abord en termes de lisibilité, mais aussi, et surtout, car ces crédits sont indispensables à notre armée. Par souci de clarté et de sincérité sur les moyens effectivement attribués à la défense nationale, les crédits mobilisés pour ces deux dispositifs, s’ils restaient opérés par le ministère des armées, devraient relever intégralement de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».
Ainsi, renforcer les moyens et les outils consacrés à la jeunesse et à la politique de mémoire grâce des crédits stables, et, surtout, sortir certaines dépenses du budget de la mission « Défense » me semblent être des pistes à explorer.