Intervention de Sonia de La Provôté

Réunion du 28 novembre 2022 à 14h15
Loi de finances pour 2023 — Culture

Photo de Sonia de La ProvôtéSonia de La Provôté :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est une longue période chahutée que le monde de la culture traverse depuis trois ans. Si quelques éclaircies ont pu parcourir son ciel, les nuages s’amoncellent de nouveau et, avec eux, leur cortège d’inquiétudes.

En 2020, commençaient la crise sanitaire, les confinements, les restrictions et la cruelle sanction de ne pas faire partie des « essentiels ». Depuis, et parce qu’il a fallu qu’elle nous manque pour que cela soit enfin compris, la culture est considérée comme un bien vital.

Or la guerre aux portes de l’Europe, l’inflation, la crise climatique, le retour prudent et différent des publics, nous oblige à anticiper, de crainte que, de nouveau, des pans entiers de la vie culturelle nous quittent.

Les budgets examinés aujourd’hui sont pleinement concernés par ces crises, et nous saluons ici, le réel effort budgétaire accompli, madame la ministre. C’est un marqueur de la reconnaissance du rôle majeur joué par la culture dans cette bien rude période. Néanmoins, des inquiétudes demeurent, pour aujourd’hui comme pour demain. Comme cela a été souligné par nos deux rapporteures, Sylvie Robert et Sabine Drexler, nous savons tous que cette situation nécessitera à coup sûr un suivi budgétaire attentif pour réagir à temps via des projets de loi de finances rectificative.

De grands défis attendent votre ministère en 2023, qui affecteront aussi bien le programme 175, « Patrimoines », que le programme 361, « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », et le programme 131, « Création ».

Le principal défi est celui de la hausse de l’inflation et du coût de l’énergie. L’hypothèse de +4, 3 % est déjà caduque et la hausse des crédits, de 7 % pour le programme 361, de 7 % pour le programme 175 et de 10 % pour le programme 131, devrait en être atténuée d’autant.

Le soutien aux opérateurs est en progression. Mais l’estimation du surcoût énergétique le rend déjà bien insuffisant. Pour les établissements d’enseignement supérieur d’art, les conservatoires ou les écoles d’architecture, le constat est le même. En matière de patrimoine, en plus de ce surcoût, il faut faire face à une forte hausse du prix des matières premières utilisées dans les chantiers.

La réalité rattrape vite les établissements et les structures culturels. Elle s’impose à leurs arbitrages budgétaires et met ainsi en péril la programmation artistique, les horaires et les durées d’ouverture, le calendrier des créations, les tarifs et les délais des chantiers ; des annulations, des reports et des fermetures sont envisagés. À ces mesures extrêmes devra répondre un soutien extrême.

Par ailleurs, s’agissant du volet relatif aux ressources humaines, on constate, sur le terrain, le manque criant, au sein des festivals et des établissements culturels, de métiers – techniques, administratifs ou artistiques – indispensables à leur fonctionnement. Dans l’enseignement, le constat est le même. Les écoles d’architecture ont besoin de moyens supplémentaires, car des formations initiales et continues devront être mises en place pour répondre aux défis de la mise aux normes énergétiques.

Dans les directions régionales des affaires culturelles (Drac), le déficit d’attractivité est mis en exergue. Ainsi, des postes sont vacants dans le secteur du patrimoine. Par exemple, sur douze postes ouverts à la sortie de l’école de Chaillot, seuls quatre sont pourvus. Le recours aux contractuels ne pallie pas les manques.

À cette crise de la ressource en matière de professionnels s’ajoute celle qui est liée au coût des revalorisations salariales dues à l’inflation. Le ministère fait un réel effort pour compenser, quel que soit le secteur. Mais tout l’écosystème culturel, dans sa très grande diversité de statuts et de métiers, n’en bénéficiera pas : les collectivités et les acteurs privés sont eux aussi concernés. Les arbitrages ne vont pas toujours vers la compensation, et l’offre culturelle dans sa diversité en est fragilisée.

Outre ces deux sujets, madame la ministre, trois autres nous alertent.

Le premier concerne l’éducation artistique et culturelle et le rôle du pass Culture.

En ces temps où les choix budgétaires sont complexes, on ne peut que s’étonner du montant de ce dispositif, qui représente 25 % du programme 361. Cela détonne singulièrement avec la sobriété budgétaire qui s’impose aux acteurs de la culture ! La société par actions simplifiée (SAS) pass Culture ne connaît pas la crise…

Ensuite, si la part collective est une avancée pour faciliter l’accès à des actions culturelles dans les établissements scolaires du second degré, elle interroge sur son usage et sa mise en œuvre.

En matière d’éducation artistique et culturelle (EAC), le pass a une logique d’offre, à laquelle les établissements répondent : on crée la demande alors que l’EAC est avant tout un projet, une médiation vers la culture. C’est pourtant cette médiation, entre enseignants, élèves, structures, créateurs et collectivités, construite dans le temps, qui fait la réussite de l’EAC.

La labellisation proposée tend à exclure certaines actions ou artistes et à diminuer les interactions avec les collectivités. La simplification à l’extrême du process de commande confine à une ubérisation de l’EAC.

Nous ne souhaitons pas que celle-ci se résume au pass Culture, la transformant en un système d’achat dans une boutique d’actions, d’artistes et d’événements.

Le deuxième point concerne les festivals.

Ces derniers subissent une difficile loi des séries : la crise sanitaire, la crise énergétique, les surcoûts de programmation, la crise climatique, et maintenant la menace d’annulation ou de décalage liés aux jeux Olympiques (JO). À tout cela s’ajoute le retour hésitant du public.

Le « fonds festivals » ne suffira pas. Les organisateurs attendent enfin la nomination d’un référent au ministère et de référents dans les Drac. Ils entendent être défendus lors de tous les arbitrages à rendre qui les concernent.

Si les festivals les plus grands et les plus solides parviennent, non sans difficultés, à tenir, tous les autres sont en danger. Or, par leur nombre, leur diversité et leur présence dans tous les territoires, ils sont des moteurs de la vie culturelle, singulièrement durant la période estivale.

Les JO sont évidemment un rendez-vous exceptionnel et une fierté pour notre pays, mais les festivals ne doivent pas en être la victime désignée à cause d’un manque de moyens logistiques ou de compétences phagocytées par ce grand événement.

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