Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la sinistrose ambiante semble avoir largement contaminé la presse. Des articles alarmistes, parus en octobre, ont ainsi fait état de la « panique », qui se serait emparée du cinéma, et de son « cri d’alarme ». En un mot, les salles seraient aujourd’hui face à un destin funeste, sans grand espoir.
Il est vrai – comment le nier ? – que les chiffres ne sont pas à la hauteur des espoirs de l’après-crise : 50 millions de spectateurs en moins en 2020 et 2021 par rapport à la seule année 2019, et une baisse de fréquentation de 30 % pour 2022, année qui n’aura donc pas permis de retour à la normale.
Cependant, et sans tomber dans l’angélisme, je crois important d’apporter quelques nuances à ce constat.
Les chiffres sont bien meilleurs que la moyenne des années 1990, qui s’établissait alors à 135 millions de spectateurs.
Ensuite, les effets différés de la crise sur les productions doivent être bien mesurés. Si la France a maintenu un haut niveau de production, grâce – il faut le reconnaître – au soutien massif des pouvoirs publics, comme je le soulignais l’année dernière, tel n’a pas été le cas dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, où les tournages ont été arrêtés pendant plus d’un an.
Or le cinéma américain est essentiel au cinéma français : les « gros » films font venir les spectateurs en salles, qui en profitent pour découvrir les œuvres nationales. Cependant, ces films, pas encore terminés ou à la sortie décalée, ne sont tout simplement pas revenus en salle, les studios visant plutôt l’année 2023.
On doit alors se réjouir de l’immense succès de Top Gun : Maverick, totalisant 7 millions d’entrées, mais aussi de productions françaises ambitieuses qui ont trouvé leur public, comme La Nuit du 12 de Dominik Moll. Il existe donc bien un public prêt à aller dans les salles.
Ce constat est d’autant plus vrai pour le public jeune, qui est le plus revenu au cinéma. Un travail spécifique pour les publics plus âgés sera certainement nécessaire. Je souhaite, madame la ministre, que la campagne de communication lancée par le CNC porte ses fruits et que vous puissiez trouver, enfin, un moyen d’échapper aux sollicitations pressantes d’un illustre prédécesseur au ministère de la culture.
Enfin, il faut lever plusieurs malentendus, qui, trop complaisamment répandus, finissent par détourner le public des salles.
Non, le prix des billets n’est pas astronomique, à quelques exceptions près : il s’élève en moyenne à 7 euros et seuls 15 % des spectateurs payent leur place plus de 10 euros.
Non, les plateformes ne tuent pas les salles. À ce propos, j’ai pris connaissance, avec intérêt, d’une étude de Médiamétrie montrant que les publics les plus jeunes, précisément ceux qui reviennent en salle, désertent les plateformes de streaming au profit des vidéos courtes diffusées sur internet. Quel retournement de situation !
Vous l’aurez compris, même si les défis sont nombreux et requièrent toute notre attention, je suis persuadé que nous ne devons pas les aborder avec pessimisme, bien au contraire.
C’est dans cet esprit que la commission a souhaité me confier, ainsi qu’à mes collègues Céline Boulay-Espéronnier et Sonia de La Provôté, une mission sur la filière cinématographique, que nous abordons avec enthousiasme et exigence, afin de proposer au Sénat une vision complète du secteur. Nous examinerons notamment le dossier toujours d’actualité de la chronologie des médias, dans la lignée des travaux de Catherine Morin-Desailly conduits en 2017, ainsi que l’action du CNC.
La commission de la culture a donc donné un avis favorable sur l’adoption des crédits du cinéma pour 2023.