Intervention de David Assouline

Réunion du 28 novembre 2022 à 14h15
Loi de finances pour 2023 — Compte de concours financiers : avances à l'audiovisuel public

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le budget qui nous est proposé est en trompe-l’œil. Il semble aller dans le bon sens, avec une hausse apparente des crédits, mais c’est de l’affichage.

Non seulement cette augmentation est deux fois moins importante que l’inflation – il s’agit donc finalement d’une diminution –, mais, surtout, elle ne corrige pas la gigantesque baisse qui, depuis cinq ans, rogne les crédits de l’audiovisuel public jusqu’à l’os.

Pourtant, face à la concurrence des grands groupes privés et des plateformes étrangères prédatrices, qui organisent la désinformation et uniformisent les contenus, l’audiovisuel public aurait plus que jamais besoin d’oxygène pour remplir ses missions essentielles d’information et de programmation culturelle de qualité.

L’audiovisuel public connaît en effet une situation très difficile. Vous avez significativement diminué son budget depuis cinq ans, tout en le privant de moyens de financement avec la désindexation de la CAP sur l’inflation à partir de 2019, la fin de l’affectation de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (TOCE) à l’audiovisuel public et, maintenant, la fin de la redevance.

Dans le même temps, vous avez réduit son périmètre en supprimant France Ô. Heureusement, France 4, que vous vouliez supprimer également, a été sauvée in extremis, en particulier grâce à la très forte mobilisation de nombreux collègues siégeant à la gauche de cet hémicycle et sur d’autres travées.

Oui, malgré les discours convenus sur sa nécessité, après avoir été dénoncé, au grand bonheur de tous ceux qui veulent sa fin, après avoir été qualifié de « honte de la République » par le Président de la République, le service public de l’audiovisuel a connu des heures sombres sous le précédent quinquennat.

Le plan dit « d’économie », décidé en 2018 pour quatre ans et affectant toutes les sociétés de l’audiovisuel public, a constitué une perte totale de 688 millions d’euros. Il s’est aussi traduit par le sacrifice des salariés : 900 emplois supprimés depuis dix ans à la suite de nombreux plans de départ à France Télévisions et 4 200 emplois à Radio France, tous équivalents temps plein.

Madame la ministre, vous venez de parachever ce travail de sape, en décidant cet été de supprimer purement et simplement la contribution à l’audiovisuel public, en lui substituant une part de la TVA pour financer l’audiovisuel.

Or ce système ne garantit ni son indépendance, ni sa pérennité, ni la justice sociale, puisque la TVA est l’impôt le plus injuste : tout le monde le paye de la même façon, riches ou pauvres. Et même les personnes qui étaient exemptées de la contribution jusque-là, du fait de leur situation de grande précarité, devront elles aussi contribuer désormais au financement de l’audiovisuel.

Certes, la CAP n’était pas juste. Elle n’était pas moderne non plus, puisqu’elle était assise sur un mode de consommation déclinant, qui n’est plus exclusif aujourd’hui – le poste de télévision –, à l’heure où les programmes se regardent sur une multitude d’écrans.

Elle avait toutefois le mérite de garantir l’indépendance de l’audiovisuel public et, depuis sa création, une certaine pérennité. Il fallait donc la réformer, pour qu’elle soit non seulement juste, mais aussi moderne. Vous n’avez fait ni l’un ni l’autre.

Nous avons fait une proposition alternative au travers d’un amendement, que vous n’avez pas soutenue. Elle crée une contribution progressive qui aurait entraîné une économie sur le coût de la redevance pour 85 % des foyers fiscaux français. Cette solution est plus juste socialement et plus moderne, car elle ne s’appuie plus sur le seul téléviseur. Surtout, elle sanctuarise un financement pérenne, indépendant et direct. Nous avons déposé une proposition de loi en ce sens.

Désormais, l’avenir de l’audiovisuel n’est plus garanti, car son mode de financement est temporaire. En effet, à partir du 1er janvier 2025, il ne sera plus effectif et vous avez fait savoir que le financement du secteur se ferait alors via le budget de l’État, un schéma que le Conseil d’État avait pourtant retoqué cet été.

Je le redis, votre proposition d’augmentation de budget est en trompe-l’œil. En effet, elle n’est même pas à la hauteur des prévisions d’inflation pour 2023. Quid, par exemple, de l’augmentation de 50 % de la facture d’électricité de Radio France et de l’augmentation de 22 % des coûts de serveurs informatiques ?

Avec mon groupe, j’ai déposé en première partie du budget un amendement tendant à pallier ce manquement. Vous avez, là encore, émis un avis défavorable. L’augmentation de budget se traduira donc par une nouvelle baisse effective pour notre audiovisuel public.

Pourtant, ce dernier mérite d’être soutenu, et pas seulement avec de belles phrases. Alors que les audiences des médias télé et radio sont en baisse constante depuis dix ans, Radio France et France Télévisions ont battu des records en la matière : Radio France réunit quotidiennement sur ses antennes 15 millions de Français, dont 2 millions de nouveaux auditeurs en quatre ans.

France Télévisions touche quant à elle, chaque semaine et tous écrans confondus, 81 % de la population française, soit plus de 50 millions de citoyens.

Ce succès sur le linéaire, mais également sur le numérique, est dû à des investissements massifs sur fonds propres. Durant les trois dernières années, Radio France et France Télévisions ont investi respectivement 31, 4 millions d’euros et 511 millions d’euros pour innover, soit une progression des investissements de 34 % en deux ans.

Ces deux médias ont également réalisé un travail remarquable et remarqué lors des confinements.

Le service public de l’audiovisuel est essentiel pour le financement de la création audiovisuelle et cinématographique française dans son ensemble. Sans son investissement important, les risques seraient réels pour le secteur. Toute la chaîne des acteurs, jusqu’à la production, se trouverait fragilisée.

Ce travail important réalisé par l’audiovisuel public est aussi celui d’Arte et de France Médias Monde, à côté et avec Radio France, France Télévisions, l’INA et TV5 Monde.

Face à la concurrence internationale, notamment des Gafan – Google, Apple, Facebook, Amazon et Netflix –, l’audiovisuel public doit continuer d’innover. Pour cela, il lui faut un investissement à la hauteur de nos ambitions.

C’est pour toutes ces raisons que nous voterons contre les crédits du compte spécial « Avances à l’audiovisuel public ».

En ce qui concerne la presse, l’effort est insuffisant. Face à la crise, à l’inflation, au prix du papier et à la crise du secteur, nous attendons toujours la refonte des aides à la presse que nous avons réclamée au travers de différents travaux.

J’ai pu parler précédemment de la création cinématographique et de l’impact du covid-19 sur l’audiovisuel public. Le cinéma a lui aussi subi fortement les effets de la crise sanitaire.

Avec 96 millions d’entrées en 2021, la fréquentation enregistre certes une hausse de 47 % par rapport à 2020, mais elle est en baisse de 55 % par rapport à 2019, deuxième meilleure année en termes de fréquentation depuis 1966.

Cette situation est inquiétante pour le financement de la création. Ce n’est pas la mise en application de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), transposée en droit français par le décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, qui permettra de combler ce manque de recettes.

En outre, la hausse des moyens du CNC pour 2023 sera seulement de 3 %, donc inférieure à l’inflation attendue.

Pour ce qui est du livre, le budget de l’action n° 01, Livre et lecture, est satisfaisant, mais les inquiétudes du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pour le secteur sont autres, entre une concentration toujours plus importante, l’incertitude sur l’avenir d’Editis, numéro deux français, et ses conséquences sur la diversité de la production.

L’autre sujet inquiétant est la flambée des matières premières. Si le chiffre d’affaires des éditeurs a connu une progression de 12, 4 %, le secteur connaît un vrai bouleversement. Les petites maisons d’édition, aux marges trop faibles, connaissent de très fortes difficultés face aux plus grandes maisons.

Avec les temps difficiles marqués par la pandémie, les éditeurs indépendants ont retrouvé les lecteurs. Mais la crise du papier et les manœuvres financières dans le secteur sont inquiétantes. Il faut aider ce dernier plus massivement.

Enfin, l’industrie musicale n’est pas en reste et l’ensemble du spectacle vivant connaît une situation compliquée. Si le chiffre d’affaires de la musique enregistrée connaît une progression, la recette des billetteries des concerts baisse de 10 %.

Nous savons tous qu’il va manquer 20 millions d’euros pour que le CNM puisse mener à bien l’ensemble de ses missions. Il faudra y remédier en 2024. Même si le financement semble désormais consolidé, nous attendons le rapport de M. Bargeton sur le sujet.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion