Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de budget que nous examinons ce soir est le premier de la législature et le premier élaboré sous votre tutelle, madame la ministre. Vous le savez, après cinq ans de frustration démocratique et de dialogue de sourds entre les parlementaires et le Gouvernement sur les questions relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche, c’est avec bienveillance que nous accueillons vos premiers pas.
Mais cette bienveillance a ses limites, compte tenu des urgences auxquelles font face nos universités, l’ensemble des personnels de l’enseignement supérieur, les chercheurs et nos étudiants.
La première de ces urgences, c’est la flambée des prix de l’énergie. Quelle ne fut pas notre stupeur, à la rentrée dernière, lorsque plusieurs présidents d’université ont annoncé envisager une fermeture temporaire de leurs établissements au cœur de l’hiver, par crainte de ne pouvoir faire face aux surcoûts liés à la hausse des prix de l’énergie ! Le souvenir douloureux des cours en distanciel, des enseignements tronqués, des difficultés d’accès aux ressources et de l’isolement grandissant de chacun a ressurgi.
Face à l’urgence de la situation, vous avez su réagir, madame la ministre, en créant, dans le dernier PLFR pour 2022, un fonds de compensation du surcoût de l’énergie doté de 275 millions d’euros. Mais cela risque d’être bien insuffisant ! Selon les estimations de France Universités, la hausse des prix de l’énergie entraînerait en 2023, par rapport à 2021, une dépense de 500 millions d’euros supplémentaires pour les établissements d’enseignement supérieur et de 200 millions d’euros supplémentaires pour les organismes nationaux de recherche.
En réalité, c’est l’ensemble du parc immobilier universitaire qui a besoin d’un grand plan de réhabilitation ; à défaut, il sera impossible d’atteindre l’objectif fixé par le Gouvernement d’une diminution de 40 % de la consommation d’énergie d’ici à 2030. Le parc universitaire représente 20 % du patrimoine immobilier de l’État, mais près d’un tiers de ces bâtiments sont des passoires énergétiques ! Nous proposerons, au cours de la discussion, des amendements tendant à remédier à cette situation.
Deuxième urgence : le manque de moyens réels de l’enseignement supérieur et de la recherche. Certes, le budget du ministère est en hausse et la trajectoire prévue dans la loi de programmation de la recherche est en apparence respectée. Vous pouvez vous prévaloir, madame la ministre, d’une hausse globale de 5 % des crédits alloués à la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui passent de 29, 07 milliards à 30, 61 milliards d’euros.
Mais que reste-t-il réellement de cette hausse une fois prise en compte l’inflation galopante – elle frôle les 6 % ? Dans les faits, les moyens baissent.
Aux effets de l’inflation et aux surcoûts liés à l’énergie, il faut ajouter les non-compensations du glissement vieillesse technicité et de la hausse du point d’indice. Si la hausse du point d’indice de 3, 5 %, soit un taux inférieur à celui de l’inflation, est bien compensée pour 2023, elle ne l’a été qu’à moitié pour 2022.
Pour ce qui est du long terme, l’objectif de consacrer 3 % du PIB aux dépenses de recherche et développement, dont 1 % pour le secteur public, ne pourra pas être atteint en 2030 si, budget après budget, les effets de l’inflation ne sont pas davantage compensés.
Nous vous appelons donc, madame la ministre, à utiliser en 2023 la clause de revoyure prévue dans la LPR afin d’ajuster le tir et de permettre à la France d’atteindre cet objectif, sur lequel nous nous sommes engagés lors du sommet européen de Barcelone voilà tout juste vingt ans cette année.
J’en viens au problème majeur que posent les crédits de cette mission : leur hausse ne suit pas celle des effectifs ! Cette année encore, la dépense moyenne par étudiant baisse, comme c’est le cas chaque année depuis 2014, à tel point que, sur ce critère, nous sommes classés à la quinzième place des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Les étudiants inscrits à l’université continuent de souffrir du sous-investissement de l’État dans leur scolarité en regard des efforts consentis pour les étudiants des classes préparatoires. Ainsi, selon une note de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance publiée en novembre 2022, la dépense moyenne par étudiant variait en 2021 de 10 270 euros par an pour un étudiant d’université à 16 370 euros pour un élève de classe préparatoire aux grandes écoles. On consacre donc à un étudiant en université 60 % seulement des sommes dépensées pour un étudiant en classe prépa ! Cette injustice contribue à la reproduction sociale dans notre pays.
Pis, ces inégalités vont en se renforçant, y compris entre les sexes. Selon une récente note de l’Institut des politiques publiques, les étudiantes sont sous-représentées dans les filières et disciplines les plus coûteuses. Conséquence, les dépenses d’enseignement supérieur allouées aux femmes sont inférieures de 18 % à celles qui sont dévolues aux hommes. Ces inégalités se perpétuent ensuite sur le marché du travail.
Troisième urgence : la précarité étudiante.
C’est avec déchirement que nous avons vu réapparaître ces derniers jours d’interminables files d’étudiants faisant la queue chaque soir pour récupérer un panier de provisions auprès d’associations d’aide alimentaire. La précarité étudiante n’a pas disparu avec le covid, bien au contraire ; elle augmente en raison de l’inflation et de la hausse des prix de l’énergie.
Le témoignage de Maëlle, largement diffusé sur les réseaux sociaux, nous a tous bouleversés. Avec une bourse de 100 euros par mois, et malgré ses petits boulots d’étudiante, elle n’arrive plus à joindre les deux bouts et craque sous la pression.
Comment peut-on étudier sereinement quand on vit dans un logement exigu, souvent loué à un prix exorbitant, quand la fac se trouve à plus d’une heure de transport, quand on doit faire appel aux banques alimentaires pour manger à sa faim ? Dans ces conditions, comment faire face à la charge de travail quotidienne à la fac, au stress des examens et à la pression de devoir trouver un emploi au sortir de l’université ? Comment réussir ses études quand on a l’esprit troublé par des préoccupations matérielles et le corps brisé par la fatigue du labeur ?
Nombre d’étudiants, abandonnés à leur sort par les pouvoirs publics, sont forcés d’interrompre leurs études.
Face à cette situation, la réponse du Gouvernement n’est pas à la hauteur. Dès le mois de septembre, lorsque les associations étudiantes ont annoncé que le coût moyen de la rentrée par étudiant était en hausse de 7, 3 % par rapport à l’année dernière, il est apparu très clairement que la hausse de 4 % des bourses sur critères sociaux, votée à l’été, serait totalement insuffisante.
Certes, madame la ministre, la concertation que vous avez lancée sur une réforme des bourses est bienvenue, mais notre jeunesse ne peut attendre : l’urgence est là ! Nous proposerons par conséquent plusieurs amendements visant à pallier le manque de moyens alloués à la vie étudiante.
Nous demandons tout d’abord le retour du ticket-restaurant universitaire à un euro pour l’ensemble des étudiants. Il est indispensable de rétablir cette aide quotidienne pour tous les étudiants précaires qui ne bénéficient ni d’une bourse, ni de petits jobs, ni d’aide de leur famille.
Ensuite, sachant pertinemment que l’extension du ticket de resto U à un euro mettra les Crous sous pression, alors qu’ils subissent eux-mêmes la hausse des coûts de l’énergie, mais aussi des prix des denrées alimentaires, nous défendrons une rallonge de 10 millions d’euros pour ces centres.
Par ailleurs, nous voulons faire de la santé étudiante une priorité, car il est établi, hélas ! que le premier poste de dépenses que sacrifient les étudiants lorsque le coût de la vie augmente, c’est la santé.
Les services de santé universitaire sont souvent trop méconnus ou délaissés par les étudiants, les délais d’attente étant trop longs en raison du manque de médecins. Pis, dans certaines antennes délocalisées de grandes universités, les médecins sont totalement absents. Il faut donc renforcer ces services.
Alors que les deux années de covid-19 ont laissé des traces pérennes chez les jeunes et que la pression toujours plus grande à laquelle ils sont soumis met à mal leur santé mentale, le manque de psychologues sur les campus se fait aussi cruellement sentir.
Nous sommes toutefois bien conscients que ces quelques amendements visant à lutter contre la précarité étudiante, à supposer qu’ils soient adoptés, n’offriraient qu’une rustine temporaire face aux problèmes systémiques qui entravent la réussite des étudiants les plus modestes et creusent les inégalités dans notre pays.
C’est pourquoi nous continuons de défendre la création d’un « minimum jeunesse » : une telle aide individuelle à l’émancipation solidaire permettrait de répondre à la détresse d’une partie de notre jeunesse, laquelle s’enfonce dans la précarité et a le sentiment, pas toujours injustifié, que les adultes sont indifférents à son sort.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous nous abstiendrons sur ce projet de budget.