Intervention de Pierre Ouzoulias

Réunion du 28 novembre 2022 à 21h45
Loi de finances pour 2023 — Recherche et enseignement supérieur

Photo de Pierre OuzouliasPierre Ouzoulias :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France délaisse ses universités. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner quelques chiffres.

Depuis dix ans, la dépense moyenne par élève a augmenté de 1, 5 % par an dans le premier degré et de 1, 2 % par an dans le second degré. Cette progression continue s’explique par la conjonction de la stabilité des moyens budgétaires et de la baisse des effectifs.

Le processus est inverse dans les universités, qui ont dû accueillir durant la même période un demi-million d’étudiants supplémentaires à budget constant. Ainsi la dépense moyenne par étudiant a-t-elle baissé en moyenne de 1, 4 % tous les ans depuis 2014. En revanche, elle est restée stable pour les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles, qui ont bénéficié en 2021 de 16 370 euros per capita, contre 10 270 euros pour les étudiants à l’université, soit une différence de près de 62 %.

Le choix politique, confirmé de gouvernement en gouvernement, de ne pas financer l’augmentation des charges de service public des universités a conduit ces établissements à une situation de quasi-banqueroute, d’autant qu’à ce déficit structurel s’ajoutent désormais des surcoûts énergétiques colossaux. À moyen terme, des incertitudes pèsent de surcroît sur la compensation par l’État de la revalorisation du point d’indice du traitement des fonctionnaires et du glissement vieillesse technicité.

Il serait très préjudiciable à la qualité pédagogique des enseignements et à la réussite des étudiants que ces apories budgétaires aient finalement pour conséquences de nouvelles régressions des taux d’encadrement.

Les universités, comme les collectivités, sont en quelque sorte placées sous la curatelle budgétaire de l’État pour assurer leurs missions de service public. Cette dépendance accrue est la conséquence du conflit entre la hausse de la démographie, le principe constitutionnel d’égalité d’accès des étudiants à l’université et l’inadéquation des dotations de l’État.

Cette « striction » malthusienne induit une recentralisation de la maîtrise budgétaire au profit des administrations et, à terme, la fin de l’autonomie des universités. Quel sens peut avoir le dialogue stratégique et de gestion si l’État ne donne pas aux universités les moyens budgétaires d’exercer leurs missions d’intérêt général ?

À l’origine de cette carence organisée, il y a le calcul budgétaire de Bercy, qui considère que la baisse attendue de la démographie estudiantine redonnera des marges budgétaires aux établissements. Je ne partage pas cette projection stratégique, car elle ignore les objectifs d’une baisse du taux d’échec en licence et d’une hausse du taux de poursuite des études universitaires. Comme je l’ai déjà dit à cette tribune, notre pays doit mobiliser davantage l’université pour satisfaire l’impérieux besoin d’un accroissement des connaissances.

Par-dessus tout, cette contrainte budgétaire traduit une méconnaissance de la situation matérielle des étudiants, qui est dramatique. La banalisation de la pression épidémique n’a pas mis un terme à la précarité estudiantine ; au contraire, elle en révèle au grand jour les causes structurelles.

Le ministère des solidarités estime que 40 % des étudiants qui vivent seuls sont en situation de pauvreté. Pendant la crise sanitaire, ils avaient été privés de leur emploi ; désormais, ils subissent avec une grande violence l’inflation et l’augmentation des prix de l’énergie.

Comme l’avait établi la commission de la culture dans le rapport réalisé sous la conduite de son président, la résorption de la précarité étudiante requiert un plan pluriministériel dont la mise en œuvre associerait les collectivités. Une réforme des bourses ou l’instauration d’un revenu étudiant ne suffiront pas à réduire complètement les fortes disparités qui existent entre les différentes situations régionales. Ainsi est-il absurde de concentrer l’offre d’études supérieures dans les métropoles, alors que ces villes sont soumises à une pression sans cesse accrue en matière de logement. Dans de nombreuses régions, le premier poste de dépense des étudiants, c’est le logement ; il est donc urgent de relancer la construction.

Le ministre chargé de la ville et du logement a annoncé aujourd’hui le lancement du volet logement du Conseil national de la refondation. À cet égard, je regrette que, des trois thématiques retenues, aucune ne traite du logement étudiant… Les universités et les étudiants ne peuvent plus être systématiquement ignorés des politiques sociales. Ils doivent être placés au cœur des ambitions de l’État.

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