Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 11 juillet 2011 à 10h00
Collectivités régies par l'article 73 de la constitution et collectivités de guyane et de martinique — Adoption des conclusions modifiées des rapports de deux commissions mixtes paritaires

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, inscrire dans le droit positif une réorganisation administrative qui institue une collectivité unique additionnant les compétences de la région et du département pour la Martinique et la Guyane constitue, en soi, un enjeu extrêmement important au regard des suffrages exprimés par les populations concernées.

Certes, la crise économique et sociale dans nos territoires, les inégalités criantes sur fond de chômage endémique et les surcoûts exorbitants pour la consommation des ménages ont été les éléments d’un contexte dans lequel se sont exprimées des attentes profondes de mesures concrètes, susceptibles non seulement de dynamiser la production locale et l’activité économique, mais aussi d’apporter des mécanismes de régulation capables de mettre fin aux situations d’injustice économique et sociale.

D’ailleurs, dès le 12 mai dernier, lors de l’examen en première lecture de ces deux projets de loi, je soulignais combien la réorganisation administrative, effectuée dans le cadre de l’identité législative, avait été précédée de soulèvements populaires, dont les revendications profondes, transcrites et portées par les contributeurs des états généraux de l’outre-mer, ne permettaient plus le maintien du statu quo.

Justement, face à de telles exigences démocratiques, élémentaires et consensuelles, force est de constater que le département de Guyane se trouve en mauvaise posture, en plein déséquilibre, dans des conditions qu’il convient de préciser.

Les processus historiques nécessitent souvent de la maturation, singulièrement ceux qui sont liés à des problématiques d’évolution territoriale et institutionnelle.

Les chroniques et la mémoire politique nous enseignent ainsi que les soixante dernières années furent marquées par des voix protestataires et des mouvements organisés, revendiquant un statut adapté à la situation concrète de la Guyane.

À cet égard, la demande, non aboutie, d’assemblée unique, formulée après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, relevait tout autant d’un ajustement institutionnel que d’une évolution administrative.

Contribuer activement au travail législatif pour faire réussir, dans l’intérêt de la Guyane, cette réorganisation administrative m’avait semblé tout à fait pertinent, à condition de trouver les bons interlocuteurs sur des questions aussi essentielles que celles de la gouvernance ou des moyens d’action de la nouvelle collectivité.

Or, sur la gouvernance, question centrale s’il en est, nous restons loin des enjeux nés de la constitution d’une nouvelle collectivité et des possibilités d’expérimentation – je dirais même de préfiguration – d’un conseil exécutif, responsable devant une assemblée.

Pourtant, répartition des compétences, pouvoirs et contre-pouvoirs ne sont-ils pas les fondements politiques et moraux de la démocratie ?

Je suis convaincu qu’une telle orientation serait plus adaptée à l’administration d’un territoire immense comme la Guyane, qui connaît de fortes tensions du fait de l’ampleur des enjeux économiques, énergétiques, environnementaux, sociaux et dont la population aura doublé dans trente ans.

J’avais pourtant fait valoir l’importance d’une configuration bipolaire, à l’instar du choix fait pour la Martinique et, au-delà même, pour l’Hexagone, puisque la réforme des collectivités locales maintiendra l’équilibre des organes territoriaux sur un même territoire.

Dans ce domaine également, la Guyane, à terme, fera figure d’exception. S’il est vrai que le cadre statutaire a été choisi par la population de ce territoire, c’est le Gouvernement qui en a défini, après coup, le contenu. En guise de concertation, il a tranché plutôt brutalement, alors que les collectivités majeures n’avaient pas achevé le processus démocratique local, qui lui-même était pris en otage par la politique de la chaise vide menée par la majorité du conseil régional.

Le Gouvernement a fait le choix, délibéré, de n’écouter qu’une seule voix.

Au-delà des signes révélateurs d’une certaine connivence politicienne, lorsqu’il ne s’agit plus de plafonner les dotations de droit commun de la Guyane, on nous oppose le refus généralisé de dotations spécifiques ou complémentaires, que justifieraient pourtant les activités endogènes du territoire : il n’y aura ni revalorisation de la redevance aurifère ni création d’un cadre fiscal pensé pour les activités minières, et la traduction dans des dispositifs financiers du rôle de la forêt amazonienne et des puits de carbone a été renvoyée sine die.

Que dire, enfin, du pouvoir de substitution du représentant de l’État sur le territoire ? Une telle disposition nous ramène aux principes fonctionnels de la centralisation. L’obligation pour le préfet de procéder à une concertation fait davantage office de cache-misère, qui révèle cette relation toujours ambiguë entre les collectivités d’outre-mer et le Gouvernement.

Il faut se rendre à l’évidence, il n’existe pas, à ce jour, de projet partagé entre le Gouvernement et la collectivité de Guyane pour le développement de cette dernière.

Tout se joue, au contraire, au niveau d’obscurs réseaux d’influence et de lobbies occultes, ainsi qu’en atteste le refus de valorisation de la redevance aurifère d’un secteur ayant multiplié par 3, 5 ses bénéfices ou le saupoudrage des fonds publics à des fins électoralistes.

Je réitère, ici, mon souhait de voir s’instaurer de véritables relations de partenariat entre les collectivités ultramarines et l’État.

La difficile alchimie à laquelle nous n’avons pu aboutir jusqu’à présent réside, d’une part, entre désir d’autonomie et volonté d’égalité, et, d’autre part, entre désengagement, notamment financier, et volonté de dominer toujours, de garder le contrôle et de ne rien céder, en somme, des positions acquises dans l’histoire.

Par respect des résultats des consultations populaires de janvier 2010, je n’ai pas voté contre les deux projets de loi relatifs aux collectivités de Guyane et de Martinique le 12 mai dernier. Néanmoins, malgré certaines avancées obtenues par voie d’amendements, notamment sur le projet de loi organique, de nombreux éléments m’ont engagé à ne pas voter en faveur de ces textes. Pour toutes ces raisons, je me suis abstenu, espérant, par ailleurs, que le débat parlementaire ferait évoluer qualitativement les deux textes.

Tout au long de la discussion, le Gouvernement a montré les limites de ses promesses et des engagements de campagne, et ce de trois points de vue.

Tout d’abord, l’avènement d’une collectivité unique aurait dû constituer un tournant historique et s’accompagner d’une orientation plus ambitieuse et davantage conforme aux enjeux du développement de la Guyane.

Ensuite, l’absence de ressources complémentaires, aussi bien en dotation qu’en recettes fiscales adossées à des productions endogènes, empêche de soutenir de véritables filières de développement économiques et sociales.

Enfin, le pouvoir de substitution du préfet, même s’il est soumis à concertation préalable, nous conduit non seulement à une régression administrative, mais aussi à l’arbitraire dans les mesures financières et techniques de levée de carence.

Aujourd’hui, madame la ministre, mes chers collègues, rien n’a évolué. De fin de non-recevoir en non-réponse, il me semble déterminant d’élever solennellement ma protestation en adressant un « non » formel au projet de loi ordinaire soumis ce jour pour approbation.

Quant à la responsabilité que nous avons, nous, législateurs de la République, de fonder un nouveau contrat social, elle est encore en chantier !

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