Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » s’inscrit en 2023 dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle politique agricole commune (PAC) pour la période 2023-2027. Sur l’ensemble de la période, une enveloppe de 45, 2 milliards d’euros est allouée à la France au titre de celle-ci.
Les crédits de la présente mission s’élèvent pour leur part en 2023 à 3, 8 milliards d’euros, soit un peu moins de 30 % d’augmentation par rapport à 2022, mais seulement 15 % à périmètre constant et 8 % en tenant compte de l’inflation.
Ces crédits financent pourtant des politiques publiques de première importance, relatives en particulier à l’alimentation et à la forêt, ou visant à répondre aux défis climatiques, économiques, géopolitiques et – le plus important de tous – au défi humain qui menacent nos agriculteurs, remparts de notre souveraineté alimentaire.
Ce budget prend en compte un certain nombre de ces défis.
La réforme de l’assurance récolte, réforme nécessaire qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain, crée un dispositif universel de couverture des risques, partagés entre les agriculteurs, les assureurs et l’État. Le montant total de l’enveloppe publique allouée à ce dispositif en 2023 s’élève à 560 millions d’euros.
C’est moins que les 600 millions d’euros qui avaient été annoncés initialement, et l’on peut craindre que ce ne soit pas suffisant.
La nouvelle répartition des aides non surfaciques entre l’État et les régions sera mise en œuvre. Ces aides, qui relevaient jusqu’à présent de l’État, sont transférées aux régions, à l’exception de Mayotte, où elles demeurent sous l’autorité de l’État.
Ces crédits permettent notamment de soutenir les investissements, de consentir des aides à l’installation des jeunes agriculteurs et des aides au développement local. Cette nouvelle répartition se traduit par la budgétisation de 100 millions d’euros.
Le dispositif d’exonération de cotisations patronales de sécurité sociale dit « travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi » (TO-DE), qui tend à faciliter l’emploi de la main-d’œuvre nécessaire à la réalisation des travaux agricoles saisonniers, sera intégralement financé en 2023 sur les crédits budgétaires de la mission.
Ces exonérations ne seront plus compensées par une fraction de TVA comme l’an dernier, ce qui constitue un élément de fragilité au regard de la pérennité nécessaire de ce dispositif.
Dans le domaine de la sécurité alimentaire, je salue la création d’une police unique, dont la dotation s’élève à plus de 654 millions d’euros, soit une augmentation d’à peu près 7 % par rapport à 2022.
Cette nouvelle police unique chargée de la sécurité sanitaire répondra à des besoins de lisibilité, de réactivité et d’efficience des contrôles. La direction générale de l’alimentation (DGAL) deviendra l’organisme de contrôle officiel en matière de sécurité alimentaire des aliments.
Un total de 150 équivalents temps plein (ETP) lui sera affecté, par le transfert de 60 ETP de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et par la création de 90 ETP.
La question de la localisation des agents sera déterminante quant à l’efficacité de cette nouvelle organisation. L’enjeu n’est pas mince au regard de la gravité des affaires, des plus anciennes – celle de la viande de cheval retrouvée dans la composition de lasagnes ou de plats cuisinés – aux plus récentes – la contamination de steaks hachés et de pizzas par la bactérie Escherichia coli.
En dépit des réformes et de l’augmentation de certaines dotations, plusieurs constats demeurent alarmants.
Concernant tout d’abord l’agriculture biologique, je tiens à rappeler qu’en avril, la Commission européenne a demandé à la France de revoir son plan stratégique, critiquant son faible niveau d’ambition environnementale et climatique, notamment l’insuffisance du soutien en faveur du bio.
Le Gouvernement a présenté une nouvelle version début juillet, avec de nouveaux arbitrages, en proposant de rehausser les aides dont bénéficient les écorégimes pour les exploitations bio et de renforcer les exigences en matière d’eau, de biodiversité, de réduction de l’usage des pesticides du label « haute valeur environnementale », objet de nombreuses critiques des défenseurs de l’agrobiologie.
La filière est aujourd’hui en difficulté sans que l’on sache s’il s’agit d’une situation conjoncturelle ou structurelle. La croissance du marché du bio s’est en effet interrompue en 2021, où le marché a connu une baisse de 3, 1 % des ventes par rapport à 2020.
Cette baisse de consommation est inquiétante, tout autant que celle des produits agricoles en général. Aussi ne puis-je que déplorer vivement que la promesse de campagne présidentielle d’instauration d’un chèque alimentaire n’ait pas été tenue à ce jour.
J’en viens ensuite à la seconde alarme, relative à l’état de nos forêts.
Monsieur le ministre, permettez-moi de regretter que la dénomination de votre portefeuille ne mentionne plus la forêt, alors même que celle-ci doit relever de nombreux défis.
L’an dernier, nous observions déjà que la filière était confrontée à des difficultés économiques majeures, tandis que l’ONF traversait de grandes difficultés.
Nous constatons aujourd’hui une amélioration de la situation de l’Office, mais celle-ci est conjoncturelle, ou en tout cas fortement liée au marché du bois.
Or l’Office est l’acteur essentiel de la préservation de nos forêts. Celles-ci sont aujourd’hui plus que jamais affectées par la sécheresse et les incendies – les événements de l’été dernier l’attestent. Les forêts sont menacées de dépérissement à l’horizon 2050, et 30 % d’entre elles risquent de basculer dans une situation d’inconfort climatique.
Il appartiendra à l’ONF de procéder au renouvellement des espèces à un rythme deux fois plus soutenu que le rythme habituel, à raison de 70 000 hectares par an contre 40 000 hectares par an.
Le défi est de taille, et il ne peut être relevé dans le contexte de réduction constante des emplois de ces trois dernières années. On peut douter que les crédits alloués à la forêt suffisent, puisqu’ils imposent une diminution des effectifs à raison de 20 équivalents temps plein.
Le dernier constat concerne enfin notre souveraineté alimentaire et le danger qui pèse sur le renouvellement des générations d’agriculteurs.
Ce danger renvoie à la question des revenus de ces derniers, de la transmission des exploitations et de l’installation des jeunes.
Les chiffres sont évocateurs : la population agricole est celle qui est la plus concernée par la pauvreté – le revenu des 10 % des agriculteurs les plus modestes ne dépasse pas 9 800 euros par an. Il est temps de répondre à ces éleveurs, maraîchers et autres producteurs qui travaillent sans revenu décent.
Quant à la transmission, elle constitue l’angle mort de la politique publique en matière agricole. Depuis 2000, le nombre d’exploitations a diminué de 260 000. En outre, 43 % des exploitants ayant 55 ans ou plus, un soutien plus actif aux entrants comme aux sortants s’impose.
Pour l’ensemble de ces raisons, à l’instar de la commission des finances, je vous recommande de rejeter les crédits de cette mission.
Quant au compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar), je vous recommande de l’adopter, sous réserve que l’ensemble des crédits qui y sont affectés soient utilisés pour la recherche appliquée dans le monde agricole.