Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 28 septembre dernier, la commission des affaires économiques publiait un rapport intitulé Compétitivité de la ferme France, un rapport alarmant sur la perte de compétitivité mesurée sur les vingt dernières années : « À l’heure où le commerce international de produits agroalimentaires n’a jamais été aussi dynamique, la France est l’un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent. »
Les exportations sont uniquement portées par les vins et les spiritueux, et dorénavant, plus de la moitié des denrées consommées sont importées.
Ces pertes de marché sont dues à la perte de compétitivité de la ferme France, qui, je le rappelle, est liée au coût du travail élevé, à la surtransposition de règles environnementales, à l’interdiction de construction de retenues d’eau et, plus généralement, au défaut de prévention des aléas climatiques qui entraînent des pertes de rendement et de volume.
Surtout, cette perte de compétitivité est due à la stratégie de montée en gamme des produits agricoles et agroalimentaires adoptée depuis 2017 sans qu’un raisonnement adapté à chaque filière soit mené.
On aurait pu croire que dans le pays où l’industrie du luxe est bénéficiaire, la stratégie de la montée en gamme serait opportune. Mais c’est ignorer le besoin de consommation et de pouvoir d’achat des Français. Nous avons fait fausse route.
Nous critiquons la production de volailles en batterie au regard du bien-être animal, et en même temps, nous importons des poulets issus de ces élevages pour la consommation quotidienne des Français et la restauration hors domicile.
Nous interdisons l’usage du diméthoate pour la culture de la cerise, au risque de perdre des producteurs français, faute de récoltes, et en même temps, nous importons des cerises de Turquie sans vérifier s’il reste des résidus de diméthoate sur les fruits.
Nous laissons faire ceux qui détruisent des réserves d’eau, pourtant autorisées administrativement pour faire face au réchauffement climatique, tout en étant conscients qu’il tombera toujours autant d’eau, mais différemment, avec des mois d’hypersécheresse et des mois d’hyperpluie. La quantité d’eau prélevable au moment où nous en aurons le plus besoin va diminuer ; il nous faut donc repenser notre stratégie de réserve d’eau.
Les exemples sont, hélas ! nombreux.
Le bilan est que la balance commerciale est de moins en moins excédentaire. Les alertes que nous lançons pour l’agriculture depuis ces dernières années rappellent celles qui ont été faites au moment des choix de désindustrialisation de la France, à l’heure où nous en subissons les conséquences et où nous faisons seulement machine arrière.
Le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » augmente pourtant de 29, 88 % – mon collègue Patrice Joly l’a rappelé à l’instant. Si tout se résumait au budget, nous pourrions penser que tout ira mieux, mais encore une fois, je suis persuadé que nous ne réglerons pas tous les maux par de l’argent public, et que les ministères font la course aux dotations supplémentaires au lieu de se concentrer sur la maîtrise et l’efficience de l’utilisation de ces dotations.
L’augmentation du budget est en partie due à la mise en place de l’assurance récolte, dont le dispositif définit dorénavant les rôles respectifs de l’agriculteur, de l’assureur et de l’État.
Cette ligne budgétaire est donc plus sincère, ce qui évitera sûrement le vote de dispositions supplémentaires dans le cadre des PLFR. Nous regrettons toutefois que le budget de 600 millions d’euros initialement envisagé n’ait pas été inscrit dans sa totalité.
D’un montant de 560 millions d’euros, les crédits alloués à l’assurance récolte permettront de subventionner 70 % des cotisations et d’intervenir au-delà de 50 % de pertes, sauf en arboriculture et en prairie, où le seuil d’intervention est fixé à 30 % de pertes.
Ces 560 millions d’euros sont financés à hauteur de 120 millions par le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), c’est-à-dire par des contributions des agriculteurs, et à hauteur de 185 millions d’euros par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) issu de la PAC, le solde étant financé par le budget de l’agriculture.
Une récolte sur cinq étant perdue, ce qui démotive les jeunes qui envisagent de reprendre une exploitation, cette assurance était très attendue.
La ferme France – je l’ai indiqué – perd en compétitivité du fait d’un coût du travail élevé. Le dispositif d’exonération de charges sociales sur les emplois saisonniers, dit TO-DE, qui vise à remédier à cette perte de compétitivité, a été reconduit pour trois ans par les députés.
Nous souhaitions pérenniser ce dispositif pour permettre aux jeunes qui s’installent d’établir un compte d’exploitation prévisionnel stable et rentable sur le temps long.
Cet amendement n’a toutefois pas été repris dans le PLFSS que le Gouvernement a fait adopter par l’usage du 49.3. Nous regrettons de ne pas avoir été entendus et suivis.
La perte de compétitivité résulte également des normes supplémentaires sur l’emploi des produits et sur les installations qui n’apportent pas de rentabilité supplémentaire que nous imposons à nos agriculteurs. Les Français ne disposant pas d’un pouvoir d’achat extensible, les coûts liés au respect de ces normes ne sont pas répercutés dans les prix de vente.
La filière bio a eu le mérite de faire prendre conscience que la qualité avait un prix, mais cela restera un marché de niche – nous le constatons avec la hausse de l’inflation. Tout le monde a envie de manger mieux, mais le portefeuille des Français fixe les limites.
Le bilan est que nous importons sans contrôler aux frontières la qualité des produits au regard des normes françaises. Pis, nous renforçons les effectifs pour contrôler les fermes françaises au risque de continuer à décourager les exploitants. Il est temps que l’administration accompagne l’économie plutôt que de la contrôler et de la sanctionner.
Enfin, les agriculteurs financent chaque année le Casdar à hauteur de 140 millions d’euros. Ces crédits sont fléchés sur la recherche, pour trouver de nouvelles variétés adaptées aux aléas ainsi que des vaccins. Le budget plafonne à 126 millions d’euros et il n’est pas utilisé dans sa totalité, faute de projet. Comment le ministère de l’agriculture peut-il se satisfaire de cette situation depuis tant d’années ?
Pour conclure, le ministère doit fixer des objectifs en matière de politique agricole pour rétablir la situation économique actuelle et nous permettre de retrouver notre compétitivité, mais aussi, et surtout, notre souveraineté alimentaire.
Nous attendons donc des réponses sur le renforcement des contrôles aux importations, au regard notamment de l’application des clauses miroir, le développement de la recherche pour adapter nos productions végétales au changement climatique et nos vaccins aux maladies.
Nous attendons l’application d’une politique de l’eau satisfaisante pour l’environnement et pour l’agriculture, et nous attendons de l’État qu’il exerce son autorité face aux perturbateurs.
Nous attendons, enfin, la suppression des surtranspositions des règles, qui affaiblissent notre compétitivité sans plus-value.
Face à ces attentes, et contrairement à l’esprit du Sénat qui est habitué au consensus et qui cherche toujours le compromis, la commission des finances a décidé de rejeter les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
En cohérence avec ce rejet, nous demanderons le retrait des amendements à nos collègues, auxquels nous donnerons toutefois un avis. Monsieur le ministre, j’espère que vous prendrez le temps de répondre à nos propositions, et surtout, que vous retiendrez les plus importantes dans le 49.3.