Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il possible de sérieusement affirmer que le budget agricole progresse en 2023, si l’on intègre la prochaine programmation de la politique agricole commune ou le transfert du dispositif TO-DE et l’entrée en vigueur du système d’assurance récolte ?
Sur ce dernier point, j’aimerais obtenir des réponses au sujet de l’épineuse question de la moyenne olympique ? Il serait appréciable de savoir si des démarches ont déjà été engagées auprès de l’Organisation mondiale du commerce afin de faire évoluer ce dispositif, sans quoi cette belle idée d’assurance universelle sera vouée à l’échec.
Peut-on, en outre, espérer un renouvellement des générations, alors qu’il manque encore 7 000 agriculteurs par an pour compenser les départs à la retraite et que, d’ici dix ans, 20 % des terres agricoles françaises risquent de disparaître ?
Peut-on enfin croire que la forêt retrouve une place centrale dans notre modèle agroécologique, quand la progression des crédits destinés à la politique forestière est d’à peine 4 % et que l’ONF a perdu 40 % de ses effectifs en vingt ans ?
Monsieur le ministre, réarmons l’ONF, remettons des agents sur le terrain et pas dans les bureaux ! Ce ne sont pas 80 postes, mais 478 postes que nous vous proposerons de créer, à raison non pas de 1 poste par département, mais de 1 poste dans chaque unité territoriale.
Cependant, à y regarder de plus près, cette hausse en trompe-l’œil de 30 % des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » est l’arbre qui cache la forêt d’un manque d’audace et d’ambition, au moment même où la ferme France dévisse.
En vingt ans, nous sommes passés du deuxième au cinquième rang des exportateurs mondiaux de produits agricoles.
Le monde paysan est en grande souffrance. Il ne se passe pas une semaine sans que je rencontre, dans mon département, un céréalier préoccupé par les effets de la sécheresse, le coût des intrants et les difficultés à mobiliser la ressource en eau ; un éleveur inquiet du manque de vétérinaires et qui ne comprend pas que le plan stratégique national écarte les surfaces en estives collectives de la mise en œuvre de l’écorégime ; un pêcheur s’interrogeant sur la diminution de la ressource en raison non pas de la surpêche, mais de la pollution ; ou enfin un vigneron subissant de plein fouet l’excès des aléas climatiques, qui éprouve des difficultés de recrutement et qui croule sous le poids de la surtransposition des règles et des normes.
Je pense en particulier au durcissement des critères de labellisation HVE, sachant qu’en viticulture plus de 30 % de nos exploitants pourraient perdre leur certification en 2030 pour cette raison.
Il ne se passe pas non plus une semaine sans percevoir de signes négatifs adressés aux exploitants, exerçant sous le label Nature et Progrès, auxquels l’État réclame le remboursement de quatre années d’exonérations fiscales, alors qu’ils remplissent des cahiers charges interdisant les organismes génétiquement modifiés (OGM), l’utilisation d’engrais chimiques et des pesticides.
Enfin, que penser de la valeur ajoutée créée par la ferme France quand les aides PAC constituent, pour bien des fermes, la majeure partie de leurs revenus ?
Est-il normal qu’un agriculteur sur cinq n’ait pas de revenus, que les jeunes se désintéressent de plus en plus des métiers agricoles et que les retraités vivent avec des pensions honteuses ?
Est-il normal que les lois Égalim – que ce soit la loi Égalim 1 ou la loi Égalim 2 –, censées garantir une plus juste rémunération, soient aussi décevantes ? Tout cela alors même que la souveraineté alimentaire de la France est mise à mal et que la moitié de ce que nous mangeons est importée !
Le monde paysan est en première ligne face aux conflits géopolitiques, touché de plein fouet par l’inflation incontrôlée du prix de l’énergie et des intrants, qui remet en question la viabilité de leurs exploitations, déjà précaires.
Face à ce terrible constat, comment voulez-vous infléchir la situation en employant les mêmes recettes ?
Ce budget est, en réalité, un « copié-collé » des budgets passés, alors qu’un véritable plan Marshall agricole permettrait d’inverser la tendance.
Je suppose que vous allez me répondre qu’une loi d’orientation pour l’agriculture est en préparation. Très bien ! Sachez que l’ensemble des sénateurs, toutes travées confondues, seront ravis d’accompagner l’écriture de cette loi.
Néanmoins, comment pourrons-nous voter une loi de programmation agricole ambitieuse sans une évolution conséquente des moyens, dans un contexte de dégradation des comptes publics organisé par le désarmement fiscal de l’État ?
Monsieur le ministre, je ne perçois rien de novateur dans ce budget et tant que nous ne considérerons pas l’agriculture comme un secteur d’utilité publique – je dirais même, vital –, nous serons incapables de répondre efficacement aux défis posés à la ferme France.