Intervention de Jean Bacci

Réunion du 30 novembre 2022 à 21h45
Loi de finances pour 2023 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Jean BacciJean Bacci :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’été 2022, comme le précédent, a été marqué par une aggravation des feux de forêt et de végétation, prouvant, s’il y avait encore quelques sceptiques, les conséquences dramatiques du réchauffement climatique sur l’intensification et l’extension du risque d’incendie.

Dans notre rapport d’information consacré à ces feux, adopté le 3 août 2022 par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et la commission des affaires économiques du Sénat, nous avons souligné l’impérieuse nécessité de renforcer non seulement les moyens de lutte, mais plus encore les actions de prévention.

Le 28 octobre dernier, lors de la réception des acteurs engagés dans la campagne 2022 de lutte contre les feux de forêt, M. le Président de la République a présenté une nouvelle stratégie reposant sur trois piliers : « mieux contenir les incendies », « réussir à lutter plus efficacement » et « reboiser et gérer les forêts ».

Ces orientations s’inscrivent dans la droite ligne de nos travaux. Mais si nous pouvons saluer l’intention – prendre en considération les impacts des évolutions climatiques sur les risques qu’encourent les forêts –, nous sommes déçus par la traduction budgétaire. De fait, on en reste aux déclarations d’intention.

Nous convenons du besoin de renforcement et de multiplication des actions. Le Président de la République a mentionné une cartographie déjà existante des risques, le déploiement des outils de surveillance de Météo-France dans le Sud-Est, le rôle de vigie de l’ONF, l’application et de la simplification des obligations légales de débroussaillement (OLD), ainsi que l’inventaire des forêts et la modélisation de sa structuration.

Toutes ces dispositions relèvent du bon sens. Mais il n’y a aucune mesure de fond ou budgétaire nouvelle. Ce qui est annoncé ne coûte pour ainsi dire rien à l’État. Dès lors, le projet de loi de finances pour 2023 n’est pas le reflet des engagements de notre président.

Monsieur le ministre, le compte n’y est pas. Au sujet des obligations légales de débroussaillement, je m’inquiète même d’entendre le Président de la République en appeler à la « puissance publique pour se substituer aux propriétaires défaillants ».

Je crains de voir encore s’alourdir les dépenses de nos communes, intercommunalités et départements, même s’ils sont soutenus par certaines régions qui se sentent concernées. C’est le cas de la région Sud, dont le budget annuel dédié aux actions de prévention s’élève à 5 millions d’euros, abondé par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).

Nous n’avons donc pas répondu à la problématique du financement des plans intercommunaux de débroussaillement et d’aménagement forestier (Pidaf) et de la défense des forêts contre l’incendie (DFCI), pierres angulaires sur lesquelles se bâtit la stratégie de prévention. Nous pourrions presque dire que ce sont nos collectivités territoriales qui se substituent à un État, sinon défaillant, du moins insuffisant.

Le principe de la valeur du sauvé n’a pas été pris en compte. Pis, avec la refonte du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), à financement constant, nous ferons 17 % de travaux en moins, alors qu’il faudrait multiplier les chantiers. Je rappelle pour mémoire que certaines forêts, comme la forêt méditerranéenne, ne sont pas productives et qu’il est illusoire de penser y trouver le financement de sa propre défendabilité.

Pour ce qui concerne l’ambition de « réussir à lutter plus efficacement » contre les incendies, il faut insister sur une réalité, d’ailleurs rappelée par l’Assemblée des départements de France (ADF) : le financement des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) est, certes, censé reposer pour l’essentiel sur une fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA), mais, dans la pratique, la contribution des départements aux budgets des Sdis est 2, 2 fois plus élevée que le montant de cette taxe. Pour armer les Sdis face aux conséquences des dérèglements climatiques, il semble indispensable d’en envisager l’augmentation, sans rogner pour autant ce qui relève de la décentralisation et de la fiscalité locale.

Le programme 161 traduit effectivement l’annonce d’une ligne de 150 millions d’euros au titre du renforcement du pacte capacitaire. Il s’agit non pas de crédits supplémentaires, mais d’une fraction de la compensation de la CVAE.

En outre, l’inventaire réalisé par les préfets de zone ne manquera pas de souligner, entre autres, la disparité, la vétusté et le sous-dimensionnement de nos moyens de lutte.

Il en va de même pour notre flotte aérienne, dont le renouvellement, annoncé à partir de 2030 sans faire l’objet d’autorisations d’engagement au titre du PLF pour 2023, aurait nécessité quelques dispositions compensatoires.

Enfin, dans la perspective de « mieux gérer et reboiser les forêts », nous convenons de la menace que constituent les feux et le dépérissement. Néanmoins, les crédits de l’action n° 26 du programme 149 restent à niveau constant en autorisations d’engagement.

À cet égard, nous pouvons parler de double contrainte : on entend renforcer le rôle de vigie de l’ONF tout en continuant de rationaliser à l’extrême son organigramme.

Monsieur le ministre, est-il nécessaire de vous alerter de nouveau sur l’importance des investissements à réaliser au bénéfice de l’entretien, de la surveillance et des travaux sylvicoles indispensables à la protection de la forêt, à sa régénération et à son développement ? Non. Mais le compte n’y est définitivement pas.

Je regrette sincèrement que l’on pense à la forêt lorsqu’elle est en flammes, mais que l’on oublie de penser à elle pour éviter qu’elle ne brûle.

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