Intervention de Marc Fesneau

Réunion du 30 novembre 2022 à 21h45
Loi de finances pour 2023 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Marc Fesneau :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée examine les crédits de cette mission dans un contexte particulier, et même inédit, qui a été rappelé par un certain nombre d’entre vous : celui du drame qui se joue en Ukraine. La guerre a en effet de lourdes conséquences sur l’agriculture comme sur d’autres domaines, du fait de l’inflation.

Le caractère stratégique de notre capacité à produire pour nous nourrir s’en trouve fortifié. Plus encore, ceux qui l’avaient oublié ont découvert que l’alimentation pouvait devenir une arme. Nous devons travailler sur le sujet, y compris pour défendre notre souveraineté.

Les conséquences quotidiennes de cette guerre sur notre secteur agricole et alimentaire sont patentes. Je vous le dis d’emblée : nous sommes pleinement mobilisés pour soutenir les filières concernées, les aider à passer le cap énergétique et les accompagner pour qu’aucune difficulté ne reste sans réponse.

La crise que nous traversons nous appelle collectivement à l’humilité. Notre souveraineté alimentaire agricole ne se décrétera pas. Nous devons y travailler ensemble, pas à pas. Plusieurs orateurs ont décrit une lente dégradation, étalée sur quinze ans, vingt ans ou trente ans : un tel constat montre bien que la responsabilité est collective. C’est collectivement que nous devons relever le défi de la souveraineté.

Les crédits de la mission augmentent de 1 milliard d’euros par rapport à l’année dernière : c’est un signal, dès le premier budget du quinquennat. Cela étant, notre réponse aux défis immenses qu’affronte l’agriculture française ne se limite pas à cette mission.

Tout d’abord, le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire est l’un des rares ministères dont les moyens augmentent souvent en cours d’année : les crédits supplémentaires traduisent en général le soutien de l’État aux femmes et aux hommes qui nous nourrissent chaque fois qu’une crise les frappe. Qu’il s’agisse de la crise provoquée par le gel, de la crise de l’influenza aviaire – j’y reviendrai –, de la crise porcine ou de la crise de l’alimentation, pour ne citer que ces quelques exemples, nous nous sommes efforcés de soutenir les agriculteurs. D’ailleurs, notre aide va continuer de se déployer : nous le verrons à propos des calamités agricoles.

Ensuite, en cette période charnière, notre action est globale. Au-delà des crédits budgétaires que vous êtes appelés à examiner, 26 milliards d’euros sont globalement alloués pour 2023 si l’on compte la PAC, ainsi que les exonérations fiscales et sociales, qui ne sont pas examinées dans ce budget. N’oublions pas non plus les crédits des plans France Relance et France 2030, qui sont des éléments essentiels à la structuration de nos filières et de notre agriculture.

De même, notre action ne se limite pas à la perte de compétitivité constatée depuis 1990 – ces observations font écho aux travaux qui ont été récemment menés au Sénat –, même si, pour moi, cette question est centrale. C’est précisément la raison pour laquelle nous avons d’ores et déjà réalisé des investissements massifs, via France Relance et France 2030, pour plus de 4 milliards d’euros.

Nous vivons ni plus ni moins qu’un changement de paradigme. Face au réchauffement climatique, qui est à la fois l’accélérateur et le perturbateur des transitions, il est urgent d’accompagner les fermes France dans toute leur diversité pour les aider à sortir plus fortes de cette troisième révolution agricole. Il faut bâtir la souveraineté alimentaire et agricole de demain en s’appuyant sur une méthode de planification, sous l’égide de la Première ministre.

Plusieurs d’entre vous l’ont souligné : cet effort passe avant tout par la juste rémunération des agriculteurs. À mon sens, cette dernière constitue la clef de voûte du dispositif. En témoigne le combat que nous menons collectivement pour l’application et la montée en puissance de la loi Égalim.

J’entends les remarques formulées par un certain nombre d’entre vous. Mais, sans la loi Égalim 2, qui est venue modifier la loi Égalim 1, nous serions dans une situation catastrophique. En revanche, nous avons effectivement besoin de travailler sur un certain nombre de filières. Je pense en particulier à la filière laitière, pour laquelle nous ne sommes pas au rendez-vous.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur spécial, la loi Égalim nous a permis de progresser sur un certain nombre de points : les agriculteurs et leurs organisations professionnelles le reconnaissent eux-mêmes. Sur le secteur laitier, qui est particulièrement à risque, nous devons travailler avec les distributeurs et les transformateurs pour que la rémunération des agriculteurs soit au rendez-vous.

Notre action passe aussi par le principe de réciprocité des normes, acté avec la présidence française de l’Union européenne (PFUE). Désormais, il faut le mettre en œuvre et le faire vivre, afin que nos différents accords commerciaux ne placent pas les producteurs français en situation de concurrence déloyale.

Ainsi que je l’ai déjà dit devant votre commission, pour moi, la souveraineté alimentaire, ce n’est pas le repli sur soi ou l’autarcie. La souveraineté alimentaire passe d’abord l’instauration de règles de concurrence plus équitables.

J’y insiste, la fermeture de nos marchés est une impasse. Qu’il s’agisse du lait, des céréales, du porc ou encore des vins et spiritueux, auxquels l’agriculture française ne saurait évidemment se résumer, nous sommes une grande puissance exportatrice. Nous ne devons pas nous priver de cette ressource.

Par ailleurs, dans un monde marqué par le dérèglement climatique, il est plus que jamais nécessaire de sécuriser nos approvisionnements à l’échelle mondiale. Nous avons donc besoin de coopérations et d’échanges, non d’une fermeture de nos frontières. Il me semble important de le rappeler.

Le renouvellement des générations est un autre enjeu essentiel pour notre agriculture. À cet égard, nous devons traiter la question des rémunérations. J’ai déjà abordé ce sujet en commission, et nous aurons l’occasion d’y revenir. Je lancerai dès la semaine prochaine la concertation sur le projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles. Ce texte, qui doit être assorti d’un pacte, a vocation à éclairer le chemin sur des sujets divers et variés, avec un seul objectif : assurer le renouvellement des générations pour garantir la souveraineté de la ferme France.

Notre stratégie passe tout autant par la production de masse que par la montée en gamme, selon les spécificités des filières et des productions. On ne saurait opposer l’une à l’autre : l’excellence est l’une des marques de fabrique de notre agriculture, y compris à l’extérieur de nos frontières, mais sa diversité fait sa richesse et sa compétitivité.

Voilà pourquoi nous devons produire plus tout en produisant mieux. Nous nous sommes engagés dans cette voie par des pratiques plus résilientes, en phase avec les attentes de la société en matière de bien-être animal et avec l’ambition d’assurer au plus grand nombre, notamment aux plus modestes, l’accès à une alimentation de qualité. J’y reviendrai sans doute lors de l’examen des amendements.

Comme l’ont souligné plusieurs orateurs, il faut produire ce que les consommateurs réclament. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas nous contenter de développer les signes de qualité. On le voit, par exemple, avec la volaille : il existe une distorsion entre ce que nous produisons et ce qui est réellement consommé. Nous devons travailler aux stratégies filière par filière.

Les crédits de la mission vont permettre l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance récolte et la pérennisation du dispositif d’exonération lié à l’emploi de travailleurs occasionnels et demandeurs d’emploi (TO-DE), le maintien des financements dédiés à l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) – cette mesure était très attendue dans les zones défavorisées –, le soutien à l’enseignement agricole et le déploiement de la feuille de route gouvernementale sur la forêt.

J’ai présenté cette feuille de route le 19 novembre dernier. En la matière, notre ambition se traduit concrètement dès ce budget, avec la suspension de la réduction des emplois de l’Office national des forêts, qui était à l’œuvre depuis quinze ans. J’ajoute que de nouveaux moyens seront alloués à l’ONF : ils ont été portés à 20 millions d’euros, après les 10 millions d’euros supplémentaires votés à l’Assemblée nationale. Les nombreux amendements déposés à ce titre me permettront d’approfondir le sujet.

Il est urgent de mettre un terme à l’érosion que subissent les effectifs de l’ONF. En outre, comme le réclamaient les filières forestières, divers crédits, déployés notamment via le plan France 2030, permettront d’assurer le renouvellement forestier.

Grâce à ces moyens humains et financiers, nous entendons rompre avec une décision malheureuse prise voilà plus de vingt-cinq ans : la fin du fonds forestier national.

J’évoquerai à présent le soutien aux filières et aux exploitations agricoles.

L’assurance récolte est un élément structurant de ce budget. Afin de financer ce nouveau système assurantiel, qui permettra de mieux protéger nos agriculteurs, l’effort de l’État fait plus que doubler.

J’ai bien noté l’interrogation exprimée à ce propos, et je vais tenter de vous convaincre. Si le budget qui vous a été présenté s’élève à 560 millions d’euros, c’est parce que les simulations travaillées avec la profession agricole aboutissent à un tel montant. J’ajoute que l’assurance récolte doit monter en puissance au cours du triennal, pour atteindre 600 millions d’euros et même 680 millions d’euros en cas de débordement.

Si nous allons plus vite pour déployer le dispositif, les crédits seront prolongés ; c’est l’engagement du Président de la République et du Gouvernement. C’est également mon engagement personnel. Ces assurances sont suffisamment fortes et les débats avec la profession ont été suffisamment nourris pour que nous puissions le dire sereinement : la progression du budget de l’assurance récolte est à même de répondre aux besoins.

Cette réforme du système assurantiel est l’un des trois piliers du Varenne de l’eau, avec l’adaptation de notre agriculture aux enjeux du dérèglement climatique, qu’il s’agisse des pratiques ou du matériel, et avec l’accès à l’eau, sujet sur lequel nous reviendrons peut-être dans la suite de la discussion.

C’est l’association de ces trois piliers, et pas autre chose, qui permettra de rendre notre agriculture plus résiliente. Nous devons voir les choses telles qu’elles sont : l’assurance ne résoudra pas tous les problèmes de résilience. Face au dérèglement climatique, nous devons nous adapter, même si l’assurance permet de régler un certain nombre de difficultés.

À ce titre, je tiens à dire un mot de la moyenne olympique. Personne ne découvre ce soir la complexité du débat. Personne ne pouvait croire de bonne foi que la question serait réglée au 1er janvier 2023. Cette dernière n’est pas européenne : elle relève d’accords internationaux, en particulier des accords de Marrakech. Cela étant, nous y travaillons avec plusieurs de nos homologues européens, et nous nous efforçons de dégager une position commune.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère aussi que nous pourrons y travailler ensemble. Mais encore faut-il nous accorder quant au modèle que nous défendons. Sortir de la moyenne olympique, c’est bien l’objectif commun que nous pouvons nous assigner. Mais au profit de quelle moyenne ?

À mon sens, l’effort de recherche et d’innovation est tout aussi important pour rendre les cultures plus résilientes au manque d’eau, qu’il s’agisse de la sélection variétale ou des New Breeding Techniques (NBT).

Telles sont les voies du succès ; on ne peut pas se contenter de réformer la moyenne olympique sans savoir quel sera le modèle de substitution. Toutefois, cela ne nous empêche pas d’y travailler.

J’en viens à la politique agricole commune, qui, même si ce n’est pas l’objet principal de la mission, est évidemment un élément important.

Nous sommes parvenus à sauver le budget de la PAC. Nous avons aussi doté la France d’un plan stratégique national dans des délais compatibles avec les réalités du monde agricole. Grâce à ce dispositif, nos agriculteurs connaîtront suffisamment tôt les conditions d’exercice de leur profession.

Je n’énumérerai pas les différentes mesures prises dans ce cadre. Je rappelle simplement que les crédits dédiés à la bio sont en augmentation.

En la matière, en France comme ailleurs, l’enjeu n’est pas le choc d’offre ; c’est le choc de demande. Pendant cinq ans ou dix ans, la bio a connu une croissance à deux chiffres. Mais cette croissance, qui est aujourd’hui affectée par le retour de l’inflation et, plus largement, par le contexte particulier que connaissent un certain nombre de nos concitoyens, a commencé à se tasser dès 2020.

Voilà pourquoi nous devons mobiliser les consommateurs en faveur de la bio. Rien n’est pire que d’inciter un agriculteur à s’engager dans cette voie avant de lui expliquer que sa rémunération risque d’être inférieure à ce qu’elle serait dans l’agriculture conventionnelle. Je pourrais notamment évoquer la filière laitière.

En ce sens, il ne faut pas limiter les efforts à la conversion en bio. Il est également essentiel d’éviter les déconversions.

Je rappelle également une évolution positive dont le mérite ne revient pas au seul Gouvernement, mais est collectif : le doublement des surfaces en bio au cours des cinq dernières années ; la France est désormais le premier pays d’Europe en la matière.

En parallèle, nous avons travaillé sur l’ICHN pour les zones de montagne.

M. le sénateur Duplomb a évoqué les tracasseries administratives et le danger de suradministration. En écho, j’insiste sur un point qui, s’il n’est pas de nature budgétaire, a toute son importance : le droit à l’erreur à l’intérieur de la PAC.

Il ne faut pas pénaliser un agriculteur au motif qu’il a oublié de cocher telle ou telle case. Nous travaillons précisément avec la profession pour mettre en œuvre, plus largement, un droit à l’erreur effectif ; ce n’est pas une mince affaire.

Le dispositif TO-DE est prolongé de trois ans. Il s’agit d’une mesure importante pour donner de la visibilité à nos agriculteurs. Nous menons ce travail avec l’ensemble des filières, et nous le prolongerons dans le cadre du plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes. Outre la stabilisation du TO-DE, nous devons nous pencher sur un certain nombre de dispositifs.

Je ne puis manquer d’évoquer les fonds dédiés à l’outre-mer : les crédits du comité interministériel des outre-mer ont été maintenus, tout comme le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Posei). Cette aide européenne pour l’agriculture ultramarine a notamment vocation à répondre aux enjeux d’autonomie alimentaire.

Avant de conclure, je me dois de revenir sur la sécurité sanitaire de nos aliments, qui a été évoquée au cours du débat. Les moyens qui y sont dédiés augmentent de 7 % par rapport à 2022. À cet égard, je tiens à évoquer trois éléments majeurs.

Le premier est la mise en œuvre de la loi de santé animale, pour poser les jalons d’une sécurité sanitaire européenne.

Le deuxième est le renforcement de nos contrôles et la surveillance des dangers sanitaires : influenza aviaire, peste porcine africaine, tuberculose bovine, salmonelles, brucellose, etc.

Le troisième est la mise en place de la police unique chargée de la sécurité sanitaire, dont mon ministère sera responsable : il s’agit d’une réponse forte aux préoccupations légitimes de nos concitoyens à la suite d’un certain nombre de scandales sanitaires.

Toutefois, notre pays applique déjà le plus haut degré d’exigence en matière de sécurité sanitaire. §Il faut arrêter de se vilipender : les comparaisons avec d’autres États européens ou avec les États-Unis sont bel et bien en faveur de la France. Certes, des crises sanitaires peuvent survenir. Mais, globalement, la sécurité sanitaire de nos concitoyens est assurée dans les meilleures conditions. Il me semble bon de le rappeler.

Lors de l’examen des amendements, nous reviendrons sur la restauration collective. Dans le cadre du plan France Relance, nous avons déployé un certain nombre d’investissements en faveur des collectivités territoriales. Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont ainsi dotés de 130 millions d’euros.

En outre, la circulaire de la Première ministre du 29 septembre 2022 permettra d’aider tous les établissements publics à renégocier leurs contrats.

Nous sommes également attendus sur le chèque alimentaire. Le ministre de l’économie a récemment rappelé que nous devions y travailler ; je ne saurais trop approuver ses propos. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Un premier dispositif élaboré avec le ministère des solidarités prévoit un fonds de 160 millions d’euros destiné aux personnes les plus défavorisées.

Nous travaillerons au pacte d’orientation et d’avenir avec les agriculteurs et avec vous tous, afin d’assurer l’installation de nouveaux exploitants.

Sauf erreur de ma part, le mal-être des agriculteurs ne fait pas l’objet d’aucun amendement, mais je ne saurais la laisser cette problématique sans réponse. Nous sommes particulièrement vigilants sur cette question et la mission qui y est consacrée va continuer son travail. D’ailleurs, nous devons collectivement faire attention aux mots que nous employons. Je sais que le Sénat en est conscient ; la discussion de ce soir le prouve une fois de plus. Mais, pour beaucoup d’agriculteurs, les mots que certains utilisent sont vécus comme une violence. Plus largement, les agriculteurs ont besoin que l’on soit auprès d’eux.

Enfin, monsieur Cabanel, les autorisations d’engagement dédiées à l’aide à la relance des exploitations agricoles (Area) sont stables. §Nous avons simplement ajusté les crédits de paiement à la réalité de la consommation. S’il y a besoin d’en augmenter le volume, les fonds nécessaires seront débloqués : pour l’heure, nous n’avons fait qu’ajuster le dispositif à la réalité budgétaire.

L’examen des amendements nous permettra de revenir sur les différents points que je viens d’évoquer et d’aborder un certain nombre de questions auxquelles je n’ai pas encore pu répondre.

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