Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 1er décembre 2022 à 10h45
Loi de finances pour 2023 — Immigration asile et intégration

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vrai que nous attendons toujours l’analyse de la position de la commission des finances sur ce budget !

Les diatribes, pour ceux qui les estiment nécessaires, seront possibles le 13 décembre prochain. D’ici là, je préfère me concentrer sur des remarques générales, ainsi que sur les crédits de cette mission et aux actions qu’ils permettent.

J’espère d’ailleurs qu’avant le 13 décembre prochain, date où aura lieu le débat faisant suite à la déclaration du Gouvernement relative à la politique de l’immigration, nous recevrons le rapport qui, selon la loi, est censé être remis avant le 1er octobre de chaque année et préciser les éléments de la politique d’immigration du Gouvernement. Un tel document sera utile à nos travaux.

Je formulerai cinq remarques avant d’examiner dans le détail les questions budgétaires.

Premièrement, cette année, la France fait face à une demande d’asile soutenue, mais beaucoup plus stable que nos partenaires européens. Nous l’avions constaté en 2015 ; nous le constatons également aujourd’hui à l’occasion de la crise ukrainienne. Par rapport aux à-coups que vivent un certain nombre de nos partenaires européens, notre schéma est beaucoup plus stable, et notre capacité beaucoup plus prévisible.

Deuxièmement, je salue la mise en place rapide de la protection temporaire par l’Union européenne et par l’ensemble des administrations dans les États membres. Il est important que les préfectures incitent les Ukrainiens vers ce dispositif plutôt que vers une procédure de demande d’asile. Par ailleurs, il est important pour l’avenir d’offrir une stabilité aux personnes qui sollicitent cette protection temporaire dans le cas où elles trouveraient un emploi en France.

Je note également que la liberté de circulation dans l’Union européenne et le droit de travailler immédiat que permet la protection temporaire produisent des effets très positifs. Ces outils doivent aussi être mis en œuvre et nous faire réfléchir sur l’évolution du pacte européen sur la migration et l’asile.

Je m’inquiète toutefois que, face aux destructions des infrastructures vitales en Ukraine, rien n’ait été budgété pour anticiper un éventuel nouvel afflux en 2023.

Troisièmement, on dénombre 17 000 morts en Méditerranée depuis huit ans. C’est un drame et un échec absolu à la fois de l’Europe et de l’Afrique. Ce drame, qui nourrit les passeurs, rend indispensables une coopération et une compréhension entre les États des deux côtés de la Méditerranée. Je le rappelle, l’action des ONG est fondamentale pour sauver des vies, et seulement 15 % des personnes qui débarquent sur les plages de l’Union européenne proviennent de ces bateaux. Il faut absolument avoir cela en tête.

Quatrièmement, la solidarité européenne est primordiale. Elle suppose le respect du droit. N’excusons pas l’Italie, qui refuse de respecter le droit de la mer, mais n’excusons pas non plus la France lorsqu’elle refuse de respecter le droit de l’Union européenne en matière de délivrance des visas ou de contrôle des frontières intérieures de l’Union européenne. Je sais que le Conseil d’État refuse d’envoyer une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Toutefois, lorsqu’une juridiction autrichienne le fait et précise que les contrôles intérieurs dans l’espace Schengen ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne, la France fait comme si de rien n’était.

Monsieur le ministre, ce sujet est trop sérieux pour laisser les États membres faire « bac à sable » : c’est ensemble que nous ferons face à ces difficultés, qui sont nombreuses, que ce soit pour la Grèce, pour l’Italie, pour l’Espagne, qui fait face à la situation au Venezuela, mais aussi pour les pays Baltes et la Pologne face à la situation en Biélorussie.

Cinquièmement, sur les questions d’asile, il est absolument indispensable de changer de paradigme en s’inspirant de ce qui a été fait avec la protection temporaire. Il faut favoriser l’autonomie des demandeurs, c’est-à-dire délivrer sans délai des cours de français et le droit au travail : c’est plus économique, et ce sont des facteurs d’intégration pour la suite.

Monsieur le ministre, je formulerai quelques remarques sur l’action du Gouvernement ces derniers mois.

Les consignes données aux postes consulaires pour les instructions de demandes de visas sont contraires au code des visas Schengen, en particulier pour les ressortissants d’Afrique du Nord. Une grave crise de confiance émerge entre la France et l’Afrique en général compte tenu de votre politique.

Les communautés d’affaires à l’étranger se plaignent, parce qu’elles ne peuvent plus avoir de relations d’affaires normales entre la France et leur pays de résidence. Il ne faut pas s’étonner de l’évolution de la place de la Turquie, par exemple en Afrique, si nous ne délivrons plus de visas pour des échanges normaux et une mobilité normale entre notre territoire et les pays africains.

Cette évolution vers des mobilités nouvelles est à la fois une nécessité humanitaire, économique et géopolitique.

Si les files d’attente devant les préfectures ont disparu, c’est parce qu’il n’est pas possible de prendre rendez-vous. Quelle hypocrisie ! Pour reprendre une expression employée par des membres du tribunal administratif de Versailles, les tribunaux administratifs sont devenus « les Doctolib des préfectures ». C’est inadmissible !

Cela représente 100 000 requêtes dans le cadre du contentieux des étrangers auprès des tribunaux administratifs et plus de 55 % de l’activité des cours administratives d’appel. Ce n’est pas normal, et cela coûte très cher à l’État. Nous ferions mieux d’investir cet argent dans des équivalents temps plein (ETP) dans les préfectures pour mieux servir les demandes et faire en sorte que les personnes en situation régulière le restent.

Il en est de même pour les questions d’éloignement, monsieur le ministre. Un bilan s’impose. La situation n’est pas satisfaisante.

Les collectivités locales subissent votre politique vis-à-vis des « dublinés ». Tous les jours, elles doivent accueillir et héberger des personnes qui n’ont pas de droits en France, parce que nous n’avons pas une politique digne vis-à-vis des « dublinés ».

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, vous l’aurez compris, compte tenu de ces éléments critiques à l’égard de votre politique, nous ne pouvons pas donner de moyens à une politique que nous contestons en profondeur.

Par conséquent, nous voterons contre les crédits de cette mission.

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