Premier diagnostic, notre enseignement n’est pas terrible. Lorsque l’on disait cela il y a une dizaine d’années, c’était un débat politique. Aujourd’hui, nous pouvons nous appuyer sur des analyses assez objectives – celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), celles d’études internationales comme Timss (Trends in Mathematics and Science Study), ou encore celles de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale – et poser un regard plus objectif sur la qualité du travail que produit notre enseignement scolaire.
Les résultats ne sont pas tragiques, mais ils ne sont pas à la hauteur des ambitions d’un grand pays comme le nôtre, particulièrement dans le domaine des sciences et des mathématiques.
Monsieur le ministre, je suis favorable à votre budget parce qu’il poursuit ce qui a été mis en place par votre prédécesseur, à savoir des évaluations exhaustives de l’ensemble des élèves au primaire et au début du secondaire. Je crois d’ailleurs que vous entendez les élargir.
Votre prédécesseur a lancé le Conseil d’évaluation de l’école, dont le démarrage est lent et insatisfaisant. À l’origine, il s’agissait en effet d’évaluer une fois tous les cinq ans tous les établissements scolaires du pays et de rappeler aux chefs d’établissement qu’ils seraient évalués. Dans les faits, le rythme est beaucoup plus lent, puisque seulement 5 % des établissements ont été évalués. Reste que le mouvement est lancé : manifestement, l’idée d’un établissement qui rende des comptes chemine et progresse.
Parce que vous poursuivez cet effort et acceptez l’idée que l’enseignement français, aussi superbe et fort de ses traditions et de son histoire soit-il, puisse être jugé par des observateurs extérieurs qui ont le mérite d’apaiser nos propres conflits, je considère que l’on doit vous suivre, monsieur le ministre.
Deuxième diagnostic, le statut des enseignants mérite réflexion. Ayant constaté que les mathématiques étaient de moins en moins bien enseignées en France, la commission des finances s’est demandé s’il n’y avait pas un problème d’enseignants. Il se trouve que la France a un problème global d’enseignants.
Je le dis avec tristesse : l’enseignant a vu son statut se dévaluer dans la société française d’aujourd’hui, pour une série de raisons que je détaille dans mon rapport, mais que je n’approfondirai pas à cette tribune, si ce n’est pour constater que les jeunes diplômés français ne sont plus candidats aux postes d’enseignants et que des disciplines fortes comme les sciences, les mathématiques, ou certaines langues modernes ne sont plus demandées. Je crois d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous avez été amené à repousser la clôture des inscriptions aux concours d’enseignants des premiers et seconds degrés, faute d’un nombre suffisant de candidats.
Nous avons donc le devoir absolu de nous poser la question du statut de l’enseignant. De ce point de vue, les comparaisons internationales qu’a lancées la commission des finances sont assez cruelles pour notre conservatisme tranquille et heureux, mais décalé des réalités.
En effet, le système salarial français est parmi les plus modestes d’Europe ; en même temps, c’est celui où l’écart est le plus grand entre les salaires des enseignants et les salaires de jeunes diplômés ayant les mêmes qualifications après quelques années d’activité. La pyramide salariale privilégie la fidélité. S’il s’agit là d’une valeur à laquelle je crois profondément, il faut reconnaître qu’elle n’est pas très motivante pour mener une carrière où l’on n’avance qu’à l’ancienneté et dont on n’atteint les sommets qu’après trente ans de service.
Monsieur le ministre, ce budget témoigne d’un effort dont il faut reconnaître avec lucidité qu’il est très largement lié à l’augmentation du point de la fonction publique, dont tout le monde profite, y compris les parlementaires ici présents. Cette variation n’est d’ailleurs qu’une façon de rattraper l’inflation.
Le glissement vieillesse technicité (GVT) et l’augmentation du point d’indice représentent à peu près 60 % de l’effort socle ; les mesures catégorielles que vous avez proposées et fait adopter pour les enseignants ne sont pas suffisamment hiérarchisées en fonction des besoins particuliers. Il faut en effet aider les jeunes enseignants, aider le primaire, aider les enseignants qui se trouvent face à des publics plus difficiles et – même si je ne sais pas très bien comment l’on peut le faire – aider les enseignants dans les disciplines qui ont du mal à recruter.
Troisième diagnostic, l’effondrement de la démographie française se traduit par une diminution des effectifs qui sont entrés en primaire cette année, de l’ordre de 50 000 élèves. Pour la rentrée 2023, on attend une diminution de près de 60 000 élèves.
Comment gérer cette diminution ? On peut diminuer le nombre de professeurs. Vous le faites un peu, monsieur le ministre, mais ce n’est pas la seule réponse. On peut aussi améliorer l’encadrement ou faire du qualitatif, c’est-à-dire revaloriser la situation des enseignants, plutôt que du quantitatif, ce qui n’aurait plus de sens aujourd’hui.
Si vous avez posé le problème, vous n’avez pas tranché, monsieur le ministre, et ce projet de budget pour 2023 est un budget de compromis. Nous aimerions connaître votre conviction sur la façon d’utiliser au mieux les conséquences pratiques d’une tragédie française, à savoir son échec démographique.
Le débat qui s’amorce nous permettra d’en parler entre nous, en particulier avec la majorité sénatoriale que je voudrais convaincre lors de la discussion des amendements, même si je ne suis pas sûr d’y parvenir. Il faudra beaucoup de bonne volonté de part et d’autre.