Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans son discours du 6 juin 1889 sur l’école laïque, Jules Ferry déclarait que l’œuvre scolaire de la IIIe République appartenait au pays républicain tout entier.
Cet héritage, d’une école publique, laïque et républicaine, nous en sommes toutes et tous responsables. Or, me semble-t-il, cet héritage est aujourd’hui à la croisée des chemins.
La crise des vocations qui frappe le monde enseignant, révélée par la pénurie de candidats aux concours et la recrudescence des démissions, sonne comme un signal d’alarme, dont il nous faut tirer les bonnes leçons.
Les professeurs de ce pays ont soif de reconnaissance de la part de l’institution et de la société en général. Un des leviers de cette reconnaissance est leur niveau de rémunération.
Rappelons que les enseignants français ont perdu entre 15 % et 25 % de pouvoir d’achat en vingt ans. Leur traitement, en début de carrière, est 7 % en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE ; cette différence est même de 15 % après quinze ans de métier.
Prenant acte de ce constat, le Gouvernement a choisi, dans la continuité de la politique menée lors du précédent quinquennat, de concentrer ses efforts sur les débuts de carrière, jugés prioritaires.
Si l’effort budgétaire consenti dans ce cadre est significatif, à l’instar de la hausse des crédits de la mission « Enseignement scolaire » dans ce projet de loi de finances, il convient de l’examiner de manière critique.
En effet, l’augmentation de ces crédits, de 5, 82 %, est inférieure à l’inflation. Elle doit en outre être considérée au regard de l’importance de l’effectif global des 856 500 enseignants. Par ailleurs, le ciblage de cette revalorisation sur le début de carrière signifie que les 42 % d’enseignants dépassant les vingt ans d’ancienneté connaîtront une stagnation prolongée de leur rémunération.
Pour y remédier, vous leur proposez une accélération des promotions en fin de carrière et la souscription au fameux « pacte enseignant », qui conditionne une augmentation de salaire au fait d’assumer de nouvelles missions, pour une enveloppe de 300 millions d’euros, soit près du tiers des 935 millions d’euros consacrés à la revalorisation.
C’est une ancienne professeure de mathématiques qui vous parle : le raisonnement niché dans ce pacte, qui part du principe que les professeurs disposeraient aujourd’hui d’un surplus de temps libre à mettre à profit, est au mieux une illusion, au pire un mensonge.
Les chiffres des services statistiques du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse sont clairs à cet égard : la moitié des enseignants ont un temps de travail supérieur à 43 heures par semaine et la moitié des professeurs déclarent travailler au moins 34 jours pendant les seize semaines de vacances scolaires dont ils disposent.
La logique du « travailler plus pour gagner plus » que traduit ce pacte se heurte donc à la réalité du terrain ; en outre, on ne peut que constater le flou qui persiste sur la nature de ces nouvelles missions.
À l’heure où la moitié des enseignants signalent un sentiment d’épuisement professionnel élevé, comme le montre le premier baromètre du bien-être des personnels de l’éducation nationale, la volonté du ministère de s’engager dans cette voie apparaît discutable.
Il y a donc de nombreuses limites au choc d’attractivité mis en avant par le Gouvernement et, au vu de l’évolution programmée des crédits de la mission « Enseignement scolaire » pour les prochaines années, les marges de manœuvre pour l’accentuer apparaissent bien restreintes.
Les attentes des enseignants portent également sur les conditions d’exercice de leurs missions. Sur ce point, plusieurs aspects de ce budget ne sont pas à la hauteur.
Je pense notamment aux suppressions de postes, qui portent sur 1 117 postes dans le premier degré et 481 dans le second degré.
Dans l’enseignement primaire, les suppressions de postes apparaissent en décalage avec la poursuite des politiques de dédoublement des classes en REP et REP+ pour les CP, CE1 et grande section et le plafonnement à 24 élèves par classes dans ces mêmes niveaux hors éducation prioritaire, dont nous continuons à saluer le principe.
Dans notre rapport sur le bilan des mesures éducatives du précédent quinquennat, avec mes collègues Annick Billon et Max Brisson, nous nous étions déjà interrogés sur l’écart entre les moyens nécessaires pour mettre en place cette mesure et les emplois effectivement créés. Il manquerait en réalité 1 200 ETP.
Pour l’enseignement secondaire, ces nouvelles suppressions s’inscrivent dans un contexte très dégradé, après la suppression de 7 500 postes de 2018 à 2021, alors même que le nombre d’élèves a augmenté de 68 000 sur cette même période.
Dans mon département de la Drôme, les conséquences très concrètes de ces suppressions se sont fait sentir. Certains établissements ont fait leur rentrée après une ou plusieurs fermetures de classes. Les effectifs de chaque classe sont donc plus élevés, ce qui dégrade les conditions de travail des élèves comme des enseignants. D’autres établissements ont perdu des postes d’enseignants. Parfois, cela signifie la fin de l’association sportive ou la disparition de l’éducation au développement durable, car les référents ne sont plus là ou doivent assumer d’autres missions.
En ce qui concerne l’école inclusive, nous aurons l’occasion de reparler très prochainement des conditions d’emploi et de travail des accompagnants des élèves en situation de handicap, à l’occasion de l’examen, la semaine prochaine, de la proposition de loi visant à lutter contre leur précarité. L’état des lieux qui est ressorti des nombreuses auditions que j’ai pu mener dans ce cadre est particulièrement préoccupant : modalités de recrutement, temps et conditions de travail, niveau de rémunération, formation sont autant de chantiers à investir ; je suivrai avec attention les travaux prévus par le ministère sur ce sujet.
Je salue la création de 4 000 nouveaux postes d’AESH, mais ils ne suffiront pas à répondre aux besoins créés par les notifications ; je salue aussi l’augmentation de 10 % des crédits alloués à la rémunération des AESH, crédits dont il convient toutefois de préciser les modalités de répartition.
Je conclurai en évoquant l’enseignement agricole, vecteur de richesse et d’innovation pour nos territoires ; dans cet hémicycle, nous en reconnaissons tous la valeur.