Je prie nos invités d'excuser mon collègue Pascal Martin, sénateur de la Seine-Maritime, qui a également travaillé sur ces sujets mais qui doit assister à une table ronde à la commission des affaires économiques dans le cadre de l'examen du projet de loi sur le nucléaire, pour lequel il est rapporteur pour avis au nom de notre commission.
Je souhaitais vous poser plusieurs questions pour cadrer nos échanges.
D'abord, des questions pour M. Tallon, qui représente le Gouvernement aujourd'hui : quelle est la méthode d'élaboration de l'ordonnance prévue par l'article 161 de la loi « 3DS » ? Quel a été votre calendrier de travail ? Quels ont été les services ministériels mobilisés sur la rédaction de cette ordonnance ? Quels ont été les acteurs consultés et associés à l'élaboration du texte ? Quelles sont les prochaines étapes de calendrier pour une publication de l'ordonnance avant l'expiration du délai d'habilitation, c'est-à-dire le 21 février prochain ? Le Conseil d'État a-t-il déjà commencé à travailler sur le texte en vue de rendre son avis avant la présentation de l'ordonnance en Conseil des ministres ? Confirmez-vous le dépôt d'un projet de loi de ratification au Parlement avant le 21 mai 2023 ?
Ensuite, je souhaiterais aborder des questions de fond, qui s'adressent donc à l'ensemble de nos invités.
Le président l'a rappelé, chacun s'accorde à dire que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Dans son rapport de février 2022 sur le sujet, la Cour des comptes abonde dans le même sens, mais se refuse à formuler des propositions législatives.
Le président l'a également dit : la loi « Elan » a permis de mettre en place un début de politique de prévention, en établissant des règles de construction et d'attestation dans les zones à risque.
Toutefois, le coeur du problème, quand on aborde la question du RGA, est le bâti existant. Quel cadre juridique vous semble, chacun pour vos secteurs, le plus pertinent pour traiter la question du RGA ? Faut-il rester dans le cadre du régime des catastrophes naturelles (CatNat), avec quelques modifications à la marge adaptées à la spécificité de ce risque ? Faut-il plutôt concevoir un régime nouveau ?
Cette question renvoie au 1° du I l'article 161 de la loi « 3DS », qui porte l'habilitation à légiférer par ordonnance.
Juridiquement, comment pourrait-on, au sein du régime CatNat, introduire une distinction entre des risques naturels « classiques » (inondations, mouvements de terrain etc.), dont l'ampleur et le caractère anormal seraient toujours appréciés à l'échelle communale, et le risque RGA, qui pourrait s'apprécier par une analyse de la gravité des effets de ce phénomène à l'échelle de certains immeubles ou parties de territoire communal, tout en garantissant une égalité de traitement à tous les sinistrés ?
L'habilitation à légiférer par ordonnance évoque le fait de traiter l'indemnisation des dommages matériels directs non assurables. Quels peuvent être ces dommages non assurables ?
L'objectif de la réforme est-il de traiter uniquement les dommages les plus graves, et donc les plus coûteux, ou bien de traiter globalement toutes les conséquences du RGA sur les conditions d'existence des assurés ?
Ensuite, comment objectiver l'évaluation des dommages ? Avons-nous besoin de lignes directrices publiques de l'établissement Météo France et d'un référentiel spécifique pour les compagnies d'assurances et les experts qu'elles missionnent afin d'établir un cadre objectif et commun ? Quels sont les débats à ce sujet dans le cadre de la préparation de l'ordonnance ? C'est un aspect fondamental, pour permettre aux citoyens de comprendre pourquoi ils peuvent être indemnisés dans tel cas et pourquoi ils ne peuvent pas l'être dans tel autre cas. Le travail d'expertise n'est pas toujours compris par nos concitoyens. D'une manière générale, la transparence est nécessaire sur cette réforme car le système actuel pose des questions d'acceptabilité sociale.
Je poursuis. L'habilitation à légiférer par ordonnance prévoit que le Gouvernement pourra conditionner tout ou partie du droit à indemnisation au titre du régime CatNat au respect de dispositions législatives qui contribuent à prévenir ou à couvrir les dommages matériels directs ayant pour cause le RGA.
Cette disposition m'inquiète car elle pourrait conduire à « refermer » fortement le droit à indemnisation des sinistrés. Si vous imposez à tous les propriétaires exposés au RGA de mettre leurs maisons sur pilotis ou d'acheter des équipements correcteurs, cela peut représenter un coût très, très important. Pour rappel, la Caisse centrale de réassurance estimait à 285 milliards d'euros le coût potentiel des équipements à installer sur les maisons actuellement en zone d'aléa fort, ce qui représente seulement 3,8 millions de maisons, alors que ce sont près de 19 millions de maisons qui sont concernées par le RGA. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le fonds « Barnier » peut-il constituer l'outil de financement pérenne de ce risque ? Faut-il mettre en place un fonds nouveau ? Comment financer les indemnisations ? Le budget général de l'État doit-il être davantage mobilisé ?
J'avais proposé de prendre appui sur le fonds « Barnier », mais ses ressources sont limitées et la soutenabilité du régime pourrait être menacée.
J'ai entendu dire que la piste d'un relèvement des primes ou cotisations additionnelles payées par les assurés sur le contrat d'assurance individuel (« habitat » ou « pertes d'exploitation ») était étudiée.
L'habilitation autorise le Gouvernement à légiférer pour, je cite, « éventuellement [adapter] le financement de la garantie contre les catastrophes naturelles ».
Or, le Gouvernement dit depuis plus de cinq ans qu'il ne souhaite ni augmenter les impôts des particuliers, ni grever leurs budgets par des mesures qui s'apparenteraient à une taxation dissimulée.
Comment allez-vous concilier ces injonctions contradictoires ? Quelles propositions avez-vous faites dans le cadre de la préparation de l'ordonnance ? Un autre système de financement, reposant sur le budget général de l'État et une contribution du secteur assurantiel, ont-ils été envisagés plutôt que de solliciter les assurés ?
Enfin, ma dernière question concerne l'accompagnement des élus locaux face à ces problématiques, qui me semble être un angle mort de cette ordonnance. Quelles mesures prévoyez-vous pour accompagner les élus en amont, dans la définition de leurs stratégies territoriales en matière d'urbanisation, et en aval, dans le traitement des conséquences du RGA sur leurs administrés ?
La loi du 28 décembre 2021 a institué un référent préfectoral à l'indemnisation des catastrophes naturelles, dont notre commission avait contribué à étoffer les missions par la voie d'amendements du rapporteur Pascal Martin.
Ce référent a-t-il vocation à intervenir en la matière ? Des établissements publics de l'État spécialisés, tels que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), pourraient-ils apporter un concours plus important et gratuit aux élus sur ce sujet ?
Comme notre président, je déplore l'absence de certaines administrations à notre table ronde, ce sujet est d'une grande importance - des journalistes n'hésitent pas à parler d'une « bombe sociale ». Ensuite, je déplore également le retard de publication des décrets, en particulier sur le fonctionnement de la commission interministérielle de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et de la commission nationale consultative, dont les missions ont été fixées par la loi du 28 décembre 2021.