Intervention de Isabelle Sourbès-Verger

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 3 novembre 2022 à 8h35
Audition sur l'exploitation des ressources de la lune

Isabelle Sourbès-Verger, géographe, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) :

La question de l'occupation de l'espace est entrée depuis peu dans les préoccupations des chercheurs en sciences humaines et sociales. Je suis d'ailleurs la seule géographe à travailler sur ce sujet en France, ce qui, vu mon âge, n'est pas sans m'inquiéter pour l'avenir.

La question des ressources de l'espace a été tenue à l'écart parce que la géographie c'est en principe l'analyse de la Terre, Gê, mais il suffit de s'intéresser à l'orbite basse pour constater que des activités humaines sortent de l'enveloppe terrestre, notamment grâce à des engins artificiels non habités. On se souviendra que dès 1956, soit avant le lancement du premier Spoutnik, le géographe Jean Gottman affirmait qu'il y aura nécessairement une géographie de l'espace, puisque l'homme a une propension à se saisir de tous les milieux et à y installer une compétition économique et géopolitique, et cela à partir du point d'ancrage qu'est la Lune, le seul point où l'on pouvait alors se projeter pour y envisager une activité pérenne.

Pour mémoire, la première photo de la face cachée de la Lune, en 1959, est une photo soviétique. Lorsque Neil Armstrong pose le pied sur la Lune en 1969 et plante le drapeau américain, en faisant accomplir « un pas de géant pour l'humanité », cela marque le fait que les États-Unis appréhendent cet astre comme une nouvelle frontière, car leur expansion dans l'espace leur semble naturelle. La vision actuelle de la Lune, sous la forme de la carte américano-japonaise Unified Geologic Map of the Moon de 2020 qui répertorie toutes les ressources géologiques de la Lune, prépare évidemment une exploitation de ses ressources minières. Reste à savoir à quel coût il sera possible de forer, et si ce sera rentable.

Une photo de la Terre en arrière-plan prise en 2014 depuis l'orbite de la Lune par la mission chinoise Chang'e ravive la prise de conscience, qu'avaient permise les missions Apollo, de la nécessité de la préservation écologique du « vaisseau Terre ». Cette dimension concerne aussi la Lune, à 400 000 kilomètres de nous, aussi inhospitalière soit-elle.

Autour de la Terre, l'activité humaine présente de fortes densités au niveau des orbites des satellites à défilement en orbite basse et de l'orbite géostationnaire, avec entre les deux de grandes zones assez vides, de sorte que la question du trafic ne se pose pas partout avec la même acuité.

Si la Lune et Mars nous apparaissent comme des destinations familières, elles n'ont pas été souvent fréquentées. La grande période d'exploration de la Lune s'achève en 1976 avec la dernière sonde soviétique Luna. On remarque une chose : cette période a été marquée par un grand nombre d'échecs, qui étaient considérés comme faisant partie du développement de l'activité spatiale. C'est beaucoup moins le cas aujourd'hui, comme en attestent les reports multiples du lancement du SLS (Space Launch System), par souci de minimiser les risques au maximum. Après les missions vers la Lune des années 1990, qui ont été des échecs, puis la mission européenne SMART en 2004, celles qui ont suivi dans les années 2010 ont été le fait des nouveaux acteurs japonais, chinois et indien. À partir de 2019 et jusqu'en 2024-2025, on assiste à une nouvelle multiplication des missions lunaires, avec la Corée du Sud, l'Inde, la Chine, les États-Unis, peut-être la Russie et l'Europe en coopération. Quant aux rovers martiens, ils sont tous Américains à l'exception d'un véhicule chinois, tandis que la sonde européenne Mars Express a vu son lancement retardé par la crise Covid, avant d'être reportée sine die, puisqu'elle reposait sur une coopération avec les Russes que les tensions géopolitiques ont remise en question.

Deux mots clés caractérisent le projet américain de retour sur la Lune : d'une part, le leadership, hier face aux Soviétiques et aujourd'hui face à la Chine, qui reconnaît cependant qu'elle est encore en retard ; d'autre part, la nécessité de la commercialisation, ce qui suppose d'investir pour permettre à des acteurs privés de trouver leur place, à l'instar d'Elon Musk avec SpaceX, qui se positionne en sous-traitant de la NASA pour assurer les transports en orbite basse et vers la Lune, ou de Jeff Bezos avec Blue Origin.

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