Pour parler des « ressources », nous allons partir des éléments du tableau périodique de Mendeleïev, c'est-à-dire des atomes et des molécules qui en dérivent, comme l'eau, l'hydrogène, l'oxygène et les minéraux. Or notre connaissance des ressources spatiales n'est que très parcellaire, car acquise par des observations à distance, notamment grâce à la spectrométrie ; elle est aussi macroscopique et ne couvre que la surface, sauf à l'occasion d'observations in situ très locales et limitées à la proche surface de la Lune.
Des missions robotiques ou habitées in situ ont en effet permis d'effectuer des prospections en surface, mais avec assez peu de points d'observation, en ayant parcouru à peine quelques dizaines de kilomètres sur la surface de la Lune. Les retours d'échantillons ont atteint quelques centaines de kilos de roches lunaires dans le cadre des missions Apollo, et quelques grammes lors de missions sur des astéroïdes comme la mission japonaise Yakuza ou la mission américaine Osiris-REX sur l'astéroïde Bennu. Des retours d'échantillons de Mars sont par ailleurs prévus pour 2030.
Comme ces missions coûtent plusieurs centaines de millions d'euros, voire plusieurs milliards, le coût rapporté des échantillons de matières extraterrestres est très largement prohibitif, de sorte que ce n'est pas demain que l'on fera un usage terrestre de ces ressources. Même le Luxembourg, un pays très en pointe sur ce sujet, se projette à un horizon à vingt ans et au-delà.
C'est pourquoi les efforts portent essentiellement sur l'utilisation in situ des ressources, soit l'ISRU (In Situ Resource Utilization), que ce soit pour du support vie en cas de vol habité, pour produire de l'eau ou de l'oxygène pour l'équipage, ou pour des éléments de construction - métaux, minéraux, régolithe - afin de construire des habitats et des infrastructures, ou encore pour produire du carburant, la Lune faisant office de tremplin pour explorer des corps plus lointains comme Mars.
Les enjeux technologiques associés portent sur le forage, le conditionnement, le stockage et l'usinage des ressources, en tenant compte de toutes les contraintes liées à l'environnement spatial. Pour l'ISRU, l'horizon de mise en oeuvre est de dix ans.
S'agissant des activités actuelles et à venir, un travail de prospection est en cours, comme c'est le cas au niveau européen avec le projet Prospect, qui s'appuie sur le lanceur Luna 27, pour un forage et un laboratoire d'analyse in situ afin d'étudier la présence d'eau dans le sous-sol martien. Des expérimentations en conditions réelles ont déjà été menées, à l'image de la mission Moxie de la NASA qui est parvenue à produire en avril 2021 quelque 10 grammes d'oxygène à partir du CO2 de l'atmosphère martienne, soit l'équivalent de 10 minutes de respiration pour un astronaute, au prix d'une consommation d'énergie très élevée.
Des simulations autour du régolithe de la Lune sont par ailleurs menées par l'ESA dans le cadre de l'European Astronaut Center (EAC), à partir de roches basaltiques. Un consortium français mené par l'INRAP et l'ONERA cherche à faire la même chose à partir de roches de volcans d'Auvergne. Il reste que le régolithe est une substance très abrasive qui pose beaucoup de difficultés dans l'environnement des astronautes.
L'International space exploration coordination group (ISECG), qui rassemble les agences spatiales gouvernementales, a produit en 2021 un rapport intitulé ISRU gap assessment report qui dresse l'inventaire des problématiques et des innovations associées à l'exploitation des ressources spatiales in situ.
Sur le plan juridique, il s'agit de mener cette activité dans le respect des traités existants, dont le Traité de l'espace de 1967, qui a posé le principe de non-appropriation par un État des ressources issues de corps extra-terrestres. Ma collègue Clémence Lambrecht, spécialiste du droit spatial, pourra répondre à vos éventuelles questions sur ce sujet.
Plusieurs pays se sont dotés de lois nationales sur l'exploitation des ressources extraterrestres, dont les États-Unis avec un executive order en 2020, le Luxembourg dès 2007, et les Émirats arabes unis en 2020. Ces lois visent à autoriser l'exploitation des ressources spatiales et leur appropriation.
La loi relative aux opérations spatiales (LOS) votée par la France en 2008, qui vise à protéger les biens et les personnes dans le cadre de l'accès et de l'utilisation de l'espace, ne couvre pas les aspects d'exploitation des ressources. Une révision de cette loi est en cours pour prendre en compte les évolutions récentes des activités spatiales.
Sur le plan multilatéral, les accords Artemis ont été proposés par les États-Unis à leurs partenaires internationaux et la France les a signés en juin 2022. Ils comportent une section dédiée à l'exploitation des ressources, qui met en avant le bénéfice pour l'humanité, l'importance du support aux opérations, la nécessaire cohérence avec le traité de 1967 et le besoin d'informer les Nations Unies de telles activités, tout en incitant à des efforts multilatéraux dans ce domaine.
La France a signé les accords Artemis en insistant beaucoup sur le besoin de continuer les travaux dans un cadre multilatéral plus large, au sein du COPUOS, en poussant à la création d'un groupe de travail qui couvre l'exploration, l'exploitation et l'utilisation des ressources spatiales. Celle-ci a été actée lors de la 68ème réunion du comité juridique du COPUOS, avec pour mandat : l'échange d'informations ; la définition des activités de recherche-développement et d'innovation nécessaires ; la prise en compte des aspects juridiques et le respect des traités existants ; les avantages de nouveaux instruments de gouvernance ; l'adoption de principes de base susceptibles de faire l'objet d'une résolution des Nations Unies. Ce processus est assez long, mais il présente l'avantage d'embarquer toutes les grandes puissances spatiales.
En ce qui concerne la stimulation du secteur privé, de nombreuses initiatives ont été prises par les Américains, avec de multiples challenges et prix, et avec le programme Commercial Lunar Payload Services (CLPS) mis en place en 2019, de sorte que les acteurs privés agissent très majoritairement sur fonds publics.
L'ESA mène des programmes similaires de stimulation des acteurs commerciaux, mais cela reste une démarche émergente. Côté français, on peut citer l'initiative de l'ANRT Objectif Lune qui vous sera présentée tout à l'heure. Le CNES est associé à l'incubateur Nubbo, qui accompagne huit start-up sélectionnées dans le cadre du programme Tech The Moon. Le CNES mène également des activités de prospective à travers Spaceibles, tout en travaillant à l'élaboration d'une feuille de route technologique qui recouvre, outre l'aspect ressources spatiales, le vol habité et le support vie aux astronautes, c'est-à-dire comment se nourrir, boire et respirer dans l'espace.
Comme vous le voyez, ces activités en sont encore à un stade préliminaire au niveau européen, mais les agences spatiales, dont le CNES, font preuve d'une volonté de s'y impliquer de plus en plus. La France a toujours été assez exemplaire dans ses activités spatiales, notamment en se dotant très tôt d'une loi relative aux opérations spatiales. À mon sens, le souci de la protection des biens et des personnes et de la durabilité des activités doit rester notre marque de fabrique.