Intervention de Valérie Létard

Réunion du 2 décembre 2022 à 9h45
Loi de finances pour 2023 — Cohésion des territoires

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà du seul exercice comptable et budgétaire, la mission dont nous discutons aujourd’hui – mais c’est aussi valable, plus largement, pour le projet de loi de finances (PLF) – doit nous amener à réfléchir au modèle de société que nous souhaitons soutenir pour les générations futures et pour notre pays.

Cette discussion intervient dans un contexte que nous savons perturbé, au lendemain d’une crise sanitaire. Nos concitoyens doivent désormais faire face à des difficultés liées à l’inflation, à la crise énergétique et aux nombreuses incertitudes qui en découlent.

À ces crises vient s’ajouter celle du logement. Nous le savons, nous devons relever de nombreux défis : rendre plus sobres nos logements pour atteindre la neutralité carbone ; continuer de construire pour soulager les zones tendues et faire face à la demande sur tout le territoire ; et favoriser le parcours résidentiel, source d’épanouissement familial et personnel pour nos concitoyens.

C’est pourquoi nous entendons, monsieur le ministre, rappeler aujourd’hui, au sein de cet hémicycle, que le logement est un bien de première nécessité, et non pas une variable d’ajustement des politiques publiques de l’État.

À ce titre, nous soutenons les mesures prises en faveur de l’hébergement des personnes vulnérables. Nous saluons la revalorisation des métiers du secteur accueil-hébergement-insertion, qui représentera 148 millions d’euros de plus en 2023, ainsi que les nouveaux développements du plan Logement d’abord destiné aux plus fragiles – les crédits supplémentaires s’élèvent à 44 millions d’euros.

Notre pays doit rester fidèle au principe d’accueil inconditionnel : le Gouvernement a d’ailleurs accepté d’amender le budget initial de 40 millions d’euros pour maintenir les 195 000 places d’hébergement, renonçant ainsi à en baisser le nombre.

L’État doit créer les conditions et mettre les moyens nécessaires pour s’assurer que cet accueil inconditionnel est effectivement mis en œuvre, mais il doit l’être de manière maîtrisée et il ne doit pas être dévoyé.

Le volume de places, qui a augmenté pendant la crise du covid-19, doit être maintenu : il constitue désormais un plateau que l’on ne peut restreindre. Nous resterons vigilants sur ce point.

Sur le plan budgétaire, des efforts importants sont également réalisés pour la rénovation énergétique des bâtiments et des logements. En effet, l’Anah voit son budget s’accroître de 900 millions d’euros via le programme 174 et de 219 millions grâce à l’affectation de recettes de quotas carbone.

Dans un contexte où la France se fait rappeler à l’ordre pour son retard en matière de rénovation énergétique des logements, l’Anah doit renforcer son intervention. Rappelons que, entre 2019 et 2021, toutes aides confondues, les décaissements du réseau ont été multipliés par trois et le nombre de logements aidés par cinq.

Concernant MaPrimeRénov’, le compte n’y est pas totalement, malgré des moyens importants : elle a été attribuée à 644 000 logements en 2021 pour un montant moyen de 3 200 euros. MaPrimeRénov’ Sérénité a permis, cette même année, la rénovation de 41 000 logements, dont plus de 23 000 ont bénéficié d’une bonification pour sortie de passoire thermique. MaPrimeRénov’ Copropriétés fait son chemin, avec 12 000 logements concernés en 2021.

J’en viens à un point sur lequel je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre. Si les efforts sont importants s’agissant du dispositif MaPrimeRénov’, il manque malgré tout une réflexion sur ce que devrait être notre ambition : la massification de la rénovation des logements. D’autant que le crédit d’impôt a été supprimé pour les classes moyennes, qui sont aujourd’hui en difficulté.

Les enveloppes déléguées aux préfets de région sont insuffisantes dans certaines régions. Ainsi, dans la mienne, il manque 40 millions d’euros. Nous subissons donc des retards dans l’instruction des dossiers.

Il nous faut aussi intensifier les politiques de sobriété énergétique. Les objectifs à atteindre font face à de nombreuses injonctions contradictoires qui sont imposées aux acteurs du logement.

De l’interdiction progressive de louer des passoires thermiques, votée dans la loi Climat et résilience, au ZAN et sa déclinaison dans nos territoires – j’associe à cette réflexion mon collègue Jean-Baptiste Blanc –, la transition énergétique dans notre pays est trop souvent synonyme d’une vision décliniste du logement.

À la lecture de ce budget, nous avons l’impression qu’il faudrait que nous construisions moins pour loger plus, comme l’a rappelé notre rapporteur pour avis Dominique Estrosi Sassone : l’équation est manifestement insoluble.

Le secteur de la construction de logements neufs est en grande souffrance. Or on ne peut prétendre vouloir protéger les générations futures, si on ne leur laisse pas de place pour se construire un foyer. Il ne s’agit pas là de faire le procès de la transition écologique ; bien au contraire, elle est indispensable, car elle permettra de conforter la situation des ménages grâce à une maîtrise de leurs charges. Je continuerai à défendre la nécessité d’agir à ce sujet, mais il faut être attentif à la mise en œuvre des politiques que nous mettons en place. Il faut marcher sur deux jambes : la rénovation et la construction.

La mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du ZAN, que j’ai l’honneur de présider et dont le rapporteur est Jean-Baptiste Blanc, sera force de propositions en la matière : il sera nécessaire de corriger nos ambitions pour que le ZAN et l’acte de construire puissent converger.

Le conflit entre les objectifs de ces politiques publiques majeures est aujourd’hui manifeste. Les choix politiques opérés, qui auraient dû – et pu ! – s’inscrire dans une logique de développement durable, semblent avoir fait l’impasse sur l’aspect économique et social au profit du seul aspect environnemental, alors qu’il aurait fallu les conjuguer.

En 2023, les crédits consacrés au financement des APL augmentent de 292 millions d’euros. C’est la traduction des décisions votées cet été dans le cadre du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, qui prévoit d’accroître de 3, 5 % les paramètres de calcul des APL en raison de l’inflation.

Nous pourrions nous en féliciter, s’il ne s’agissait pas en fait d’une simple mesure de réaction qui nous rappelle avant tout le contexte dans lequel elle s’inscrit : une crise du logement.

Cette dernière n’épargne pas le monde du logement social, dont les difficultés sont déjà malheureusement bien connues.

Les bailleurs sociaux, fragilisés depuis 2018 par la RLS, voient leurs difficultés s’accroître, notamment en ce qui concerne le manque d’autofinancement. Ils ne disposent plus des mêmes moyens pour financer les nouveaux programmes de construction et la rénovation thermique des logements, et donc pour « dérisquer » leurs locataires. Ils multiplient les alertes sur la hausse des coûts de production et des taux d’intérêt et sur l’impératif toujours plus prégnant de rénovation et de construction.

Nous devons être davantage attentifs à ces signaux. L’État doit être offensif, reprendre toute sa place et financer les politiques du logement plutôt que d’aller chercher les moyens chez les acteurs, qui sont des partenaires, mais qui ne doivent pas être des financeurs.

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