Monsieur le ministre, mon collègue Cédric Perrin étant entré dans le détail des questions relatives au programme 146, je voudrais vous interroger sur deux points d’ordre plus général.
Premier point, ce budget de la défense suit l’augmentation budgétaire prévue en 2018 par la LPM. Mais la guerre en Ukraine nous oblige à porter un regard nouveau sur cette trajectoire, dans un contexte international profondément transformé, où la guerre conventionnelle de haute intensité a fait son retour. En effet, le 24 février 2022 constitue un tournant historique et géostratégique majeur pour l’Europe et le reste du monde.
Cette guerre nous oblige à analyser nos forces et nos faiblesses. Nous disposons d’atouts indéniables, à commencer par une armée aguerrie et professionnelle, bénéficiant de technologies parmi les plus avancées au monde, qui repose sur une BITD robuste et façonnée par la commande de l’État.
Les armes que nous avons livrées à l’Ukraine, comme le canon Caesar, sont des armes qui font la différence sur le champ de bataille. Mais, avec dix-huit exemplaires, c’est presque un quart de nos stocks que nous avons cédés…
Ce chiffre illustre nos faiblesses en termes de volumes, sans compter la vétusté de certains équipements comme le véhicule de l’avant blindé (VAB) qui a plus de quarante ans, mais demeure néanmoins en service, dans l’attente de son remplacement par le Griffon, prévu pour 2030. Mais nos lacunes sont encore plus criantes en matière de drones, de défense sol-air ou de capacités de suppression des défenses aériennes adverses. Nos armées sont en effet formatées pour mener des opérations sur des théâtres extérieurs, protéger le territoire, agir en coalition, et reposent surtout sur la maîtrise de notre espace aérien.
Monsieur le ministre, une vision nouvelle s’impose, fondée sur un questionnement prospectif qui semble jusqu’alors faire défaut. Je ne suis pas certaine que la mesure de ce défi ait été complètement prise dans la nouvelle revue nationale stratégique (RNS).
Où en est la réflexion sur notre ambition de défense nationale, voire européenne ? Où sont cette vision globale et le cadrage précis qui doivent être à la base de la prochaine LPM ?
Mon deuxième point porte sur la dissuasion, qui est l’une des pierres angulaires de notre modèle d’armée.
Le chantage nucléaire de la Russie et la possible utilisation d’une arme nucléaire sur un champ de bataille en Europe sont des données nouvelles. Faut-il faire évoluer nos doctrines ?
Sur le plan financier, nous avions compris, lors de l’examen de la LPM en cours, que l’accélération de l’effort en fin de période, avec la « marche » à 3 milliards d’euros, devait notamment servir à financer la montée en puissance du renouvellement des différentes composantes de la dissuasion. Or, monsieur le ministre, cela n’apparaît pas clairement dans les différentes lignes budgétaires. Une partie de l’effort est-elle reportée ?
Je sais ces questions sensibles, mais un minimum de transparence est nécessaire quand vous nous demandez de vous suivre sur les choix stratégiques et donc budgétaires que vous faites.
Enfin, c’est l’ensemble des ministères que vous devez fédérer pour sensibiliser les acteurs économiques et la société civile aux enjeux de souveraineté et de défense.
Le ministère des armées devrait être au cœur de la réflexion sur « l’économie de guerre », et la solidarité interministérielle être pleinement activée. Cela sera-t-il le cas pour le financement de la contribution française à la facilité européenne pour la paix (FEP), comme cela fut le cas pour les surcoûts Ukraine dans la loi de finances rectificative de novembre ?
Il faudrait enfin que l’accès au financement soit facilité, et que les métiers du secteur soient davantage connus et valorisés.
Dans l’attente de vos réponses sur ces sujets de fond, qui vont définir les budgets à venir, et notamment celui du programme 146, nous voterons cette année les crédits pour 2023.